"Vierges pour le bourreau", "Le Monstre au masque", "La Tarentule au ventre noir"… Pour les communs des mortels, ces titres étranges n’évoquent absolument rien. Pour les amateurs de "gialli", par contre, il s’agit de véritables films cultes. Les "gialli", ce sont ces films italiens très kitsch des années 60 et 70, qui mêlaient épouvante et érotisme de manière assez improbable. François Renard et Christophe Lemaire sont passionnés par ce genre populaire très particulier, dans lequel on retrouve à la fois du cinéma d’horreur et de la psychanalyse. Ils appellent ça le "cinéma bis". Autrement dit, des films en marge, des films hors normes. A la fin des années 90, ces deux amis cinéphiles décident de frapper un grand coup: ils partent pour Bologne, en Italie, afin d’y interviewer le réalisateur Marco Corvo, un cinéaste mythique que plus personne n’a revu depuis vingt-cinq ans. En réalité, Corvo a brusquement interrompu sa carrière en 1975 lorsque son actrice fétiche et sa muse Luisa Diamanti a mystérieusement disparu au cours du tournage de "Lumière noire", son dernier film inachevé. Pour François et Christophe, la consigne est claire: interdiction d’aborder le sujet Luisa Diamanti lors de leur rencontre avec Marco Corvo. Malgré un premier contact difficile avec le vieux réalisateur, les deux cinéphiles parviennent à gagner sa confiance et l’amènent à raconter la naissance et la vie d’un cinéma italien aujourd’hui disparu, des péplums aux westerns spaghetti, sans oublier évidemment les fameux "gialli". Mais pendant que les deux hommes interviewent Corvo, une série de meurtres sanglants agite la ville de Bologne. Fait troublant: toutes les victimes meurent brûlées, étouffées avec de la pellicule de film ou les yeux crevés, comme dans les longs-métrages de Corvo. Et surtout, toutes les victimes sont des critiques de cinéma qui avaient autrefois démoli ces mêmes films dans leurs articles. Le grand Marco Corvo aurait-il un effroyable secret? Cette interview aurait-elle réveillé un monstre sorti tout droit d’un "giallo"? Pour François Renard et Christophe Lemaire, la réalité ne va pas tarder à rejoindre la fiction…
Autant le dire tout de suite: "Midi-Minuit" est un roman graphique totalement inclassable. Sur base de sa couverture, on ne s’attend d’ailleurs pas du tout à un récit comme celui-là. Certes, "Midi-Minuit" est un polar plutôt bien mené et agréable à lire, mais c’est avant tout une formidable déclaration d’amour au cinéma populaire italien des années 60 et 70. Un genre aujourd’hui tombé dans l’oubli, malgré les centaines de films produits à la chaîne durant une dizaine d’années, et qui a permis de lancer plusieurs grands réalisateurs transalpins tels que Sergio Leone ou Dario Argento. Ces films ont également influencé de manière très profonde un cinéaste comme Quentin Tarantino, dont l’oeuvre est nourrie par ces thrillers italiens au décorum et à l’esthétique tellement particuliers. En Europe aussi, des réalisateurs actuels se revendiquent encore et toujours des "gialli", notamment Hélène Cattet et Bruno Forzani dans leurs films "L’Etrange couleur des larmes de ton corps" et "Laissez bronzer les cadavres". Ils signent d’ailleurs la préface de cette BD. De manière remarquable, le scénariste Doug Headline et le dessinateur Massimo Semerano parviennent à nous passionner pour ce sujet pourtant assez pointu, notamment en intégrant des vraies images de "gialli" dans leurs planches et en mélangeant réel et fiction. Basé sur une solide documentation, l’album contient également un dossier explicatif sur cet âge d’or du cinéma italien, de même que quelques-unes des affiches de l’époque. Bien sûr, "Midi-Minuit" plaira avant tout aux cinéphiles, mais il ne faut pas avoir fait des études de cinéma pour apprécier ce voyage en terre inconnue. Ceux qui sont vraiment passionnés par le sujet peuvent même aller voir à quoi ressemblent ces fameux films, puisque la plupart peuvent se trouver sans trop de difficultés sur YouTube. Frissons (ou fous rires) garantis.
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