Ce tome regroupe les 5 épisodes d'une minisérie parue en 2013. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, d'un format très légèrement supérieur au format comics (1cm en largeur et 1cm en longueur), réalisée par Ted McKeever (scénario, dessins et encrage). Elle est éditée par Shadowline, la branche d'Image Comics dirigée par Jim Valentino. La précédente histoire de Ted McKeever était Mondo en 2012.
Quelque part dans un coin paumé et désolé des États-Unis, un homme désigné sous le nom de Chomsky (peut-être une allusion à Avram Noam Chomsky), crâne rasé, barbichette et hoodie plongeant ses traits dans l'ombre, contemple le cadavre d'un chat. Cela fait 26 jours qu'il est abstinent après avoir été alcoolo-dépendant. Le cadavre de chat lui parle de Ninkasi, la déesse sumérienne de la bière. Chomsky laisse le chat derrière lui, marche et finit par rentrer dans une supérette pour faire quelques emplettes, sans acheter d'alcool. Il ressort à l'extérieur ; une petite silhouette encapuchonnée se met à flotter à hauteur de son épaule faisant le constat de ses piètres qualités d'être humain. Dans une église non loin de là, un pasteur s'est lancé dans un soliloque à destination de Dieu, en ayant comme seul témoin un enfant. Le Jésus sur la croix accrochée au mur se met à bouger, et descend de la croix. Le pasteur tente de l'écraser sous son pied, voyant dans cette manifestation surnaturelle l'œuvre du Malin.
De comics en comics, Ted McKeever continue de créer une œuvre à nulle autre pareille. Il a commencé par des histoires longues telles que Transit (1987/1988), Eddy Current (1987/1988), Metropol (1991/1992), toutes rééditées par Shadowline (vivement la réédition de "Plastic forks"). Il a collaboré avec Randy et Jean-Marc Lofficier (scénaristes) pour une trilogie Superman's Metropolis (1997), Batman - Nosferatu (1999) et Wonder Woman Blue Amazon (2003), transposant divers films au monde des superhéros DC (Metropolis de Fritz Lang, Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau, et un amalgame de "The Blue Angel" de Josef Von Sternberg et de "Doctor Mabuse - The Gambler" de Fritz Lang). En 2010, il a recommencé à créer des comics sans concession : META 4 (2010), puis Mondo (2012).
Avec "Miniature Jesus", le lecteur plonge dans une vision sans concession. Les dessins sont en noir & blanc, allant du photoréalisme pour certains décors et visages à l'abstraction (case ne prenant son sens figuratif que dans le rapport à la séquence d'images). Un bon tiers du récit est porté par des personnages en train de parler, cadrés en buste, ce qui permet à McKeever de compléter les expressions des visages par le biais d'un peu de langage corporel (mouvement des bras) et de les accentuer par le biais des cadrages (angle de prise de vue plus ou moins incliné).
Au fil des pages, le lecteur peut apprécier la versatilité de McKeever dans les registres visuels. En fonction des séquences, Chomsky pourra disposer d'une allure dramatisé faisant de lui un bel homme tourmenté et romantique, au visage à moitié mangé par l'ombre, ou alors il ne sera qu'une silhouette dénudée, tenant un cadavre de chat devant son sexe pour préserver sa modestie, ou ménager sa pudeur.
Très vite, le lecteur constate que ce qui est représenté n'est pas compatible avec une description prosaïque et premier degré de la réalité. Le cadavre de chat qui parle constitue bien sûr un premier indice, suivi de près par cette petite silhouette encapuchonnée flottante, puis par le Christ en porcelaine se détachant de la croix, etc. Les images permettent donc de prendre conscience que la narration correspond à la vie intérieure de Chomsky, autant qu'à ses actes réels. McKeever pousse ce glissement représentatif jusqu'à l'allégorie ou la métaphore, avec ce Christ ployant sous la semelle d'une chaussure géante, ou la main de Dieu apparaissant pour perforer la toiture de l'église. Ainsi dans chaque séquence, il appartient au lecteur de comprendre que les éléments de nature surnaturelle correspondent à l'interprétation qu'en fait la psyché de Chomsky. Par exemple le policier se transformant en démon doit être vu comme la vision qu'à Chomsky de ce type d'autorité qui lui est insupportable.
La forme de cette histoire traduit l'intention de l'auteur : mettre en scène le cheminement intérieur de Chomsky devenu sobre et devant lutter contre ses démons intérieurs et trouver une raison d'être. Ainsi sa dépendance alcoolique prend la forme d'un démon tentateur, l'une des voies de rédemption prend l'apparence d'un Christ en porcelaine miniature dont le bras gauche est cassé, son inconscient se manifeste sous la forme d'un cadavre de chat. D'un côté McKeever se montre assez habile dans sa manière de mettre en scène le trouble psychologique de Chomsky mêlant ces allégories et les événements réels. De l'autre il apparaît qu'un bon tiers du récit est consacré aux questionnements et hésitations de Chomsky vis-à-vis de la religion (en accord avec le titre). McKeever approche ces questionnements d'une manière très personnelle, évitant de s'attarder sur la dichotomie simpliste Dieu / Diable et s'attachant plus au Christ. Dieu est représenté sous une forme inattendue, mais surtout McKeever insiste sur le caractère impénétrable de sa nature et de ses intentions. Le Christ devient donc le médiateur humain indispensable, celui qui pourrait se révéler comme le sauveur de Chomsky. De ce point de vue, le lecteur a le plaisir de voir que McKeever évite un manichéisme bébête et évoque la religion chrétienne dans ce qu'elle a de spécifique. Par contre, son imagerie manque de finesse, entre le pasteur dont le comportement dénote une incompréhension des préceptes de sa foi (un commentaire anticlérical dépourvu de toute nuance) et un Christ muet (pour que le lecteur comprenne bien que Chomsky ne peut pas entendre sa parole). Au final le personnage de McKeever refuse de troquer l'asservissement à l'alcool, par une autre forme de soumission aveugle à un credo qui ne lui parle pas.
Avec cette histoire, McKeever met en scène avec inventivité l'expérience douloureuse d'un ancien alcoolique devant réinventer sa position dans l'ordre des choses. Il utilise une imagerie sophistiquée et inventive pour donner à voir le processus psychologique de son personnage, son questionnement, ses convictions. Derrière cette forme élaborée, le lecteur découvre une réflexion personnelle et particulière, mais manquant un peu de fond quant au religieux et à la spiritualité.