Moi, assassin
6.9
Moi, assassin

BD (divers) de Antonio Altarriba et Keko (2014)

La critique de la déconstruction pure, comme dirait Kant ...

Moi, Assassin est un roman graphique espagnol paru en 2014, scénarisé par Antonio Altarriba et dessinée par Keko. Le scénariste nous a déjà donné, en 2011, le roman graphique « L'art de voler », qui avait eu plutôt bonne presse, en racontant l'histoire quelque peu romancée de son père. Pour cet ouvrage-ci, la démarche est sensiblement la même, sauf que sa source d'inspiration est plutôt lui-même et l'environnement dans lequel il vivait tous les jours : Une université espagnole vue par le prisme d'un professeur. 
L'histoire nous présente en effet Enrique Rodríguez Ramírez, professeur d'histoire de l'art à l'université du Pays basque de plus de 50 ans, spécialisé dans l'étude de la représentation du supplice et de la cruauté dans l'art. Et aussi, il a un léger passe-temps : il tue. Oh, pas souvent, juste 2 ou 3 fois par an, et jamais des gens trop proches de lui, souvent de simples inconnus, juste pour la beauté du geste, pour pratiquer l'art de tuer. Seulement, en revenant d'une longue absence lié à un meurtre particulièrement travaillé, à savoir Découper en morceaux un homme qui s'était plaint à notre protagoniste de manquer de cohésion, celui-ci est arrêté par la police pour un autre meurtre, celui de son rival à l'université. Le problème, c'est qu'en se dédouanant de ce crime, il pourrait donner des pistes sur son autre crime … Cornélien, n'est-il pas ?
L'histoire est intrigante et prenante, avec beaucoup de soin apporté aux contextes, que ce soit le monde de l'art et ses multiples tableaux de Goya et Grünewald, par exemple ; ou encore le contexte universitaire du Pays Basque avec les questions qui s'y posent : Faut-il absoudre les crimes commis par L'ETA ? Comment faut-il se positionner par rapport à l'Espagne ? De même, nous assistons aux déboires sentimentaux d'Enrique, entre son épouse qui aborde la ménopause, sa propre vasectomie pour s'empêcher d'avoir des enfants ou encore la doctorante avec laquelle il couche. Il est aussi intéressant de voir que l'histoire principale non seulement se déroule sur de nombreux mois, mais fait également quelques flash-backs afin de nous montrer de façon plus frappante les motivations de notre protagoniste.
Le style de dessins est magnifique : On a ici affaire à une bande dessinée en noir et blanc, avec une seule couleur d'autorisée : le rouge. Mais attention, toutes les occurrences du rouge ne sont pas dessinées : non, le rouge n'est dessinée que dans deux cas : le meurtre ou le sexe. Que ce soit le rouge sang représenté sur de réels tableaux autrement monochromes, le rouge des pommes disséminées ici et là, la devanture du magasin où Enrique se fournit pour préparer ses meurtres ou encore le rouge apparaissant dans les yeux des personnages quand ils parlent ou pensent au sexe ou au meurtre. Notons aussi une superbe utilisation du noir avec de très nombreux jeux d'ombre saisissants, comme lors d'un dîner où la chaleur de la discussion descend avec le soleil et où les ombres s'allongent de plus en plus, comme autant de choses inavouées dans le couple.
La narration liée aux activités morbides du personnages est finalement très bien faite, et évite surtout de nous donner une morale, comme une condamnation ou une approbation de ses agissements, ce qui aurait pu briser le charme. Non, nous suivons juste ce personnage qui s'enfonce lentement dans une voie, une voie qu'il a choisie, une voie dont il ne voudrait pour rien au monde s'en détourner, pour l'amour de l'art.
Car voilà qu'elle est la motivation, finalement, du personnage : l'art. Heureusement, il en est aussi de même pour les auteurs, qui ont donnés naissance à une excellente bande dessinée, elle aussi largement primée actuellement. En attendant, gardez l’œil sur vos professeurs, ils sont parfois un peu plus "*Vivant*" que l'on ne pense ...

Disclaimer : Cette critique a d'abord été écrite pour Radio Campus Grenoble.

Sn_Parod
9
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le 10 avr. 2015

Critique lue 317 fois

Sn_Parod

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