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Comics de Ted McKeever (2012)

Qui vient le premier l'oeuf, la poule..., ou le poulet ?

Ce tome regroupe les 3 épisodes d'une minisérie parue en 2012. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, d'un format très légèrement supérieur au format comics (1cm en largeur et 1cm en longueur), réalisée par Ted McKeever (scénario, dessins et encrage). Elle est éditée par Shadowline, la branche d'Image Comics dirigée par Jim Valentino. La précédente histoire de Ted McKeever était Meta 4 en 2010.


Venice Beach, en Californie, les informations télévisées apprennent au lecteur que la population manifeste contre les terrassements effectués par des entreprises dans le cadre d'un projet initié par le maire. Dans la cantine d'une usine fabriquant des poulets augmentés par un processus à base de radiation, Catfish (l'agent d'entretien) se fait houspiller par 2 de ses collègues qui l'insultent et le font trébucher avec son plateau. Catfish Mandu a le visage mangé par la barbe, un corps fluet, et une aversion maladive envers tout ce qui ressemble à un conflit. Il se laisse maltraiter sans répondre et retourne vaquer à ses obligations professionnelles. À la fin de sa journée de travail il rentre dans son petit appartement, mais il remarque qu'il est suivi par un poulet qui dépose un oeuf devant sa porte. Le lendemain, Catfish Mandu prend sa douche avant de se rendre au travail. Il est interpellé par sa logeuse qui se plaint de sa discrétion. Ce jour, il est chargé d'alimenter la chaîne du processus industriel en poulets. Il a donc revêtu sa combinaison antiradiation. Un accident se produit qui le transforme en un individu aux muscles saillants. Non loin de la plage, Kitten Kaboodle (une jeune femme en short, top, et rollers) arrache le bras de quelqu'un qui lui a touché l'épaule et lui enfourne dans la bouche.


Le fait que cette histoire soit publiée par Shadowline indique déjà qu'il s'agit d'un comics qui sort de l'ordinaire. L'identité de l'auteur confirme qu'elle ne ressemblera à aucune autre. La trame principale est donc la transformation de Catfish Mandu en un gugusse super balèze qui va taper sur tout ce qui bouge. De ce coté McKeever s'amuse avec la silhouette de son héros, frêle et tassée au début avec un regard éteint ou apeuré en fonction de la situation, massive et bizarre par la suite. En effet après sa transformation par irradiation, son bras gauche reste atrophié, alors que le droit est développé au point que son biceps est aussi large que sa taille. En fonction des pages, McKeever dessine Catfish avec un cou de taureau, ou sans cou avec la tête directement rattachée au tronc. Il joue également sur le développement des muscles trapèzes, d'un volume normal à une hypertrophie résultant d'années de consommation abusive et déraisonnable de stéroïdes anabolisants.


Cette transformation de Catfish Mandu s'accompagne de démonstrations de force, et de bagarres en bonne et due forme contre une sorte de pieuvre mutante géante, évoquant plus HP Lovecraft que le règne animal. Le personnage de Kitten Kaboodle apporte également sa contribution à cet aspect de la narration : grosses bastons brutales et usage d'armes à feu de gros calibre. Pour faire bonne mesure coté action, McKeever intègre l'intervention de l'armée et le risque de chute d'un satellite artificiel baptisé Uranus sur Venice.


Il y a également une composante de science-fiction bon marché, dérivative et second degré. Les poulets irradiés ont remplacé les poulets aux hormones, les radiations transforment le personnage principal en un individu doté d'une force inhumaine, comme le premier Bruce Banner venu, avec la même augmentation de masse musculaire et osseuse (étrange génération spontanée de matière). C'est bien connu que les radiations sont bonnes pour la santé. Il y a ce poulet qui semble doué de conscience, mais dont les intentions sont indiscernables. Je n'évoquerai pas les motivations du maire pour faire excaver la plage car elles sont rationnelles, par contre je me pose encore des questions sur la pieuvre géante et ses gardiens.


Ted McKeever n'est pas seulement un scénariste surréaliste à tendance poétique, il est également un dessinateur avec un style affirmé mariant aussi bien l'exagération à des fins comiques, que l'exagération des formes jusqu'à une épure abstraite. De ce coté, le lecteur peut se repaître tout son content de fulgurances étourdissantes. Cela commence par un entrelacs de traits larges et plein que seules les cases adjacentes permettent d'identifier comme l'écoulement du café vers le siphon de sol. Il y a cette case terrifiante où un minuscule oeuf tout blanc est noyé dans l'ombre démesurée de Catfish ouvrant sa porte et éclairé par derrière. Il y a ce même oeuf sur fond noir avec des grosses taches blanches en haut et en bas de cases (les dents de Catfish). Il y a ces reflets déformés dans l'iris de l'observateur qui aboutissent à des cases totalement conceptuelles, etc.


Au fil des pages, le lecteur se laisse porter par ce récit simple et délirant, de visuel bizarre en apparition singulière, de représentation figurative en case conceptuelle. Le tout est relevé par quelques pointes d'humour second degré, parfois noir, s'exprimant soit visuellement, soit au travers d'une situation, ou d'une contrepèterie (par exemple "Fustercluck on Venice Beach", le titre de la troisième partie) ou d'un jeu de mot (un présentateur se demandant s'il peut vraiment parler de Cock à une heure de grande écoute). Arrivé à l'issue de cette histoire, le lecteur ne peut que se demander pourquoi le poulet a traversé la route. Selon Aristote, c'est dans la nature du poulet de traverser les routes. Ce serait donc dans la nature de Ted McKeever de raconter des histoires surréalistes qui ne parlent pas forcément à tous les lecteurs. Selon Albert Einstein, le fait que le poulet traverse la route ou que la route se déplace sous le poulet dépend du référentiel de l'observateur. Et là, en l'occurrence, je crains que mon plaisir de lecture ne dépende de mon référentiel, pas assez proche de celui de Ted McKeever.

Presence
6
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le 12 avr. 2020

Critique lue 47 fois

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