Il s'agit d'une bande dessinée de 62 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2018, écrite par Thomas Römer, dessinée et mise en couleurs par Léonie Bischoff. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.


Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle s'ouvre avec un avant-propos de David Vandermeulen de 7 pages, plus une page de notes. Il commence par un titre sarcastique : les dragées Fulda, du nom d'une petite ville dans le Land de Hesse en Allemagne, comptant 60.000 habitants. En 2015 s'y est tenue la quinzième édition de son Forum Deutscher Katholiken. Au cours d'une conférence sur le thème Mariage et famille, une mission voulue par Dieu et une voie vers le bonheur, monseigneur Vitus Huonder a cité un extrait du chapitre 20 du Lévitique qualifiant les relations homosexuelles d'abomination. Après avoir ainsi établi l'influence de la Bible, il rappelle que la tradition juive et l'herméneutique chrétienne avaient développé l'interprétation des textes sacrés selon 4 axes : imitation, allégorie, tropologie, anagogie. Il expose ensuite la datation de la naissance du monde réalisée à partir des textes bibliques et établie par l'archevêque irlandais James Ussher.


La bande dessinée commence avec le constat que durant des siècles et jusqu'à aujourd'hui, les textes de la Bible ont été utilisés pour légitimer la guerre, la condamnation de l'homosexualité, la place inférieure de la femme dans la société, l'esclavage, les invasions, l'occupation de territoires. Puis Léonie Bischoff pose des questions à Thomas Römer sur la nature des origines de la Bible et son inspiration divine. Ce dernier répond en établissant la distinction entre la foi religieuse et les modalités d'écriture des textes, et pointe du doigt une incohérence interne, 2 textes donnant 2 versions différentes d'un même événement (le recensement du peuple par David), figurant dans le deuxième livre de Samuel, et dans le premier Livre des Chroniques. Pour lui, cette incohérence interne présente dans la Bible est une invitation à la réflexion et à l'interprétation des textes. Répondant à une question de Léonie, Thomas indique qu'il faut distinguer 3 Anciens Testaments (Catholique / Orthodoxe / Protestant) et que la Bible juive est encore différente. Il propose alors de se représenter la Bible sous la forme d'une bibliothèque organisée en 3 rayons : le Pentateuque (Torah), les Prophètes (Nevi'Im), et les Écrits (Ketouvim). Le pentateuque comprend 5 livres : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome. Au sein même de la Genèse, se trouvent 2 récits différents de la création du monde et des humains.


On peut faire confiance à David Vandermeulen pour trouver l'exemple qui fait mouche et qui concrétise la nécessité de parler des textes de la Bible aujourd'hui, dans une démarche qui n'est pas spirituelle, sans pour autant exclure la foi. Son avant-propos devient extraordinaire quand il remet en perspective l'utilisation faite des textes bibliques au temps présent, par rapport à un développement historique. À l'opposé d'une charge bête et méchante contre le cléricalisme, il évoque la tradition juive et l'herméneutique chrétienne, soit la capacité de ces institutions à voir plus loin que le bout de leur capacité à se montrer prosélyte. Il fait ainsi apparaître qu'il y a eu nécessité d'interprétation depuis des siècles, que ce besoin n'est pas nouveau, et qu'en plus il a été prôné par les institutions religieuses elles-mêmes. Enfin il introduit l'angle d'approche des auteurs, consistant à expliquer comment la Bible a été construite au fil des décennies et des siècles. Il ne reste plus au lecteur à garder à l'esprit qu'il s'agit d'un ouvrage de vulgarisation de 62 pages, et pas d'un ouvrage universitaire à vocation encyclopédique. L'intérêt du lecteur est donc plus ou moins grand en fonction de sa connaissance préalable du sujet, ou s'il s'est déjà plongé dans des études comme Corpus Christi de Gérard Mordillat & Jérôme Prieur.


Pour mettre en images l'exposé de Thomas Römer, les auteurs ont choisi de se mettre en scène sous la forme d'avatars, intervenant dans les cases, observant ce que montrent les dessins, relançant l'exposé en posant des questions. Ils apparaissent ainsi dans 30 pages sur 62. Ce dispositif narratif apporte des respirations, des transitions et du rythme, tout en soulignant qu'il s'agit bel et bien d'un exposé mis en bande dessinée. L'exposé est découpé en 7 parties : (1) La Bible, un livre dangereux ?, (2) La Bible : une bibliothèque, (3), Qumran et les premiers manuscrits de la Bible, (4) Les origines de la littérature biblique, (5) L'exil et la naissance de la Bible, (6) L'édition du Pentateuque à l'époque perse, (7) La constitution des prophètes et des écrits. Le sujet est effectivement particulièrement ardu puisque le scénariste ne peut pas parier sur une connaissance a priori de la Bible par les lecteurs, sinon il n'y aurait pas besoin d'un ouvrage de vulgarisation, et qu'en conséquence il doit donc présenter énormément d'informations sur sa structure, sur le contexte politique de chacune des époques concernées, sur la façon dont chaque texte reflète son époque.


Thomas Römer commence par préciser de quelle Bible il parle : la Bible hébraïque (canon massorétique), constituée du Pentateuque, des Livres Prophétiques et des autres Écrits. Il évoque les 2 récits de la création de l'homme présents dans la Genèse, en en pointant les différences irréconciliables. L'auteur suit ensuite la trame générale de la Genèse, puis passe aux autres livres du Pentateuque. Il pointe du doigt le fait que la Genèse aborde des thèmes qui sont évoqués par presque toutes les religions et dans de nombreux systèmes philosophiques. En passant à l'Exode, il adopte un angle de vision combinant histoire et géopolitique pour montrer comment ces textes répondent à des événements historiques, parfois à une relecture, ou à une intention politique. De ce fait, au fil des pages, le lecteur retrouve des événements bibliques passés dans la culture populaire : l'histoire de Caïn & Abel, le Déluge, la Tour de Babel, le panier en osier transportant Moïse nourrisson sur le Nil, le Veau d'Or, l'Arche de l'Alliance, les murailles de Jéricho, etc. Dans le même temps, l'auteur établit les liens entre les textes et l'Histoire. Par exemple, il indique que le fait que Pharaon ait bien accueilli Joseph, ses frères et son père peut être corrélé avec les judéens qui ont dû s'exiler en Égypte et qui voulaient montrer que l'on peut très bien y vivre. Au travers de ces exemples, l'auteur fait apparaître que le sens de ces textes varie fortement avec l'époque à laquelle ils sont lus et interprétés, en fonction de la culture et des références du lecteur, illustrant le principe d'historicité de la littérature.


De fait, Thomas Römer reste dans le domaine de l'Histoire, sans jamais porter de jugement d'ordre spirituel ou religieux, sans critiquer ou encenser les religions issues de la Bible. S'il y est sensible, le lecteur peut même détecter quelques remarques sur l'apport spirituel de la Bible, à commencer par la constitution d'une religion monothéiste. Face à un texte aussi dense en informations, Léonie Bischoff n'a d'autre possibilité que de se mettre à son service. Il n'y a que très peu de scènes qui se déroulent sur plusieurs cases. Les cases sont accolées dans la logique de l'exposé, illustrant un propos ou proposant une mise en scène. L'artiste dessine de manière réaliste avec un faible degré de simplification. Elle passe sans difficultés d'une reconstitution historique (l'arrivée des judéens à Babylone), à une scène mythologique (la chute des murailles de Jéricho, le Buisson Ardent), à une mise en scène métaphorique (Elle et Römer) se promenant dans la bibliothèque qu'est la Bible (ou même dans le jardin d'Éden). Ses dessins sont en phase avec le discours : ne pas porter de jugement de valeur sur les croyances ou la foi, en représentant tout de manière littérale, y compris David portant la tête de Goliath.


Le lecteur peut s'interroger sur une bande dessinée qui ne fait qu'illustrer le propos d'un auteur déroulant un exposé. Mais il est vraisemblable que s'il s'est dirigé vers une bande dessinée, c'est qu'il n'aurait pas forcément fait l'effort de lire un ouvrage universitaire sur ce thème. En outre, les dessins de Léonie Bischoff sont très agréables à regarder et évitent les clichés visuels bibliques, en évitant de dramatiser ou de jouer sur la dimension spectaculaire. En outre l'absence de solution de continuité entre les différents modes narratifs (historique, mythologique, métaphorique) permet de donner à voir le lien qui existe entre eux, avec une bonne qualité de reconstitution historique. Ils permettent également de mieux visualiser chacun des lieux évoqués et de les différencier. Ils renforcent également le lien entre des événements quand il apparaît un motif visuel tel que la séparation des eaux (le partage des eaux de la Mer des Joncs, la séparation des eaux de l'abîme que l'on appellera Tehom), ou les différentes zones désertiques.


Avec cet ouvrage, le lecteur a bénéficié d'une explication limpide des liens entre les textes de la Bible et le contexte dans lequel ils ont été écrits et composés. Les dessins sont entièrement au service de l'exposé, donnant à voir des éléments historiques ou des environnements qui viennent expliciter ce qui est dit. Il s'agit donc bien de découvrir comment elle a été écrite, en prenant des exemples concrets, en resituant l'importance des manuscrits de la Mer Morte retrouvés dans les grottes de Qumran.

Presence
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le 12 avr. 2019

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