Cette BD documentaire sur l'atroce génocide du Rwanda gagne à être lue en commençant par la fin, où se trouve un texte de Cécile Grenier qui met en contexte l'évènement, décrit la pays, les moeurs des habitants, et les manigances des Belges (puissance coloniale locale à l'époque) qui, pour sauvegarder leur influence, ont dressé Hutus contre Tutsis, créant de toutes pièces un clivage ethnique qui n'était pas fondé dans la réalité.
Cette manière de présenter les choses n'est pas acceptée par tous le monde, et certains prétendent que Hutus et Tutsis sont véritablement deux peuples différents, arrivés au Rwanda à des dates différentes, et ayant des modes de vie différents. (Voir l'article de Wikipédia sur les Hutus).
Toujours est-il que les Français ont remplacé les Belges à une date plus récente, entraînant au combat certains groupes qui ont joué un rôle important dans le génocide opéré par les Hutus contre les Tutsis. De là à placer la France comme complice du génocide, il n'y pas loin, selon les auteurs.
Mais on est dans une BD, qui bénéficie des excellents dessins, à la fois tendres (quand il le faut) et réalistes de Pat Masioni. L'équilibre entre la précision des détails et la luminosité des plages de couleurs est excellent. Beaucoup de dessins sont manifestement inspirés d'images glanées sur place, ou bien de photos et de portraits bien réels.
Le récit met en scène une mère Tutsi pourchassée et torturée partout où elle cherche à se dissimuler, et qui recherche son enfant qu'elle a perdu de vue au cours de sa fuite. Les méthodes des Hutus sont empreints d'une férocité et d'une cruauté égalant au moins celles dont les nazis ont fait preuve en leur temps : massacres à la machette, au crochet de boucher, amputations, éventrations, combustions... L'album témoigne de la longue liste de ces horreurs, et montre que la nature humaine repose sur un fond effrayant de prédation meurtrière dès lors que l'impunité est assurée. Le côté éradicateur des pulsions enfantines (avez-vous vu un enfant s'acharner sur une fourmilière ?) ressort avec puissance, et chacun se découvre des aptitudes à éliminer le Mal absolu représenté par la victime désignée.
Sauf que là, ça se passe entre populations noires. C'est du racisme, ou pas, pour ceux qui ont du temps à perdre en ergotages lexicaux ?
En tout cas, s'il y a un tribunal de Nuremberg pour ce génocide, il se fait discret-discret.