Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits par Christopher Sebela, dessinés, encrés et mis en couleurs par Joshua Hixson. Il contient les couvertures alternatives réalisées par Tyler Boss, Chris Visions (*2), Adam Gorham, Robert Wilson IV. La quatrième de couverture comprend des phrases de louanges rédigées par Warren Ellis, Ed Brubaker, Robert Kirkman et Kelly Sue DeConnick.
Molly Wolfram fait partie de la cargaison d'êtres humains, drogués à Portland, et vendus à un capitaine de navire, par une bande organisée sévissant dans la ville de Portland dans l'Oregon. Alors que le navire est proche d'arriver à sa destination, Jack un jeune homme, s'en prend à celui qui est venu l'annoncer dans la cale. Il s'empare d'une lanterne et met le feu à l'homme d'équipage, s'empare de son couteau, monte sur le pont et assassine froidement tous ceux qui passent à sa portée. D'abord interloqués, les autres prisonniers ont fini par lui emboîter le pas et s'en prennent eux aussi à l'équipage jusqu'à se rendre maître du navire. Jack décide de prendre le commandement de ces individus et leur ordonne de se mettre à l'ouvrage, de s'improviser marins et mettre les voiles vers Portland. En cours de voyage, il doit faire face à une tentative molle de mutinerie qu'il déjoue sans avoir besoin de recourir à la violence ou même à l'affrontement. En outre, ayant découvert la cassette du capitaine, il indique que tous les membres de l'équipage auront droit à un salaire. Jack est en fait une femme appelée Molly Wolfram à qui son père a appris à se défendre dès son plus jeune âge. Elle s'est fait avoir alors qu'elle prenait un verre dans un bar. Elle subvenait alors aux besoins financiers de sa mère Siobhan et de sa petite sœur Katie.
Herman Wolfram avait appris à ses filles à se battre et à se servir d'armes à feu, ainsi que d'armes blanches. Il avait quitté la famille suite à une récolte désastreuse ayant généré chez lui une forte dépression en constatant que ses efforts n'étaient pas récompensés. En voyageant pour trouver un endroit où s'installer les 3 femmes (la mère et ses 2 filles) avaient vite dû constater la propension des hommes à les considérer comme des proies faciles, et avaient vite dû apprendre à se défendre, quitte à tuer leurs assaillants. Au temps présent (deuxième moitié du dix-neuvième siècle), le navire des révoltés arrive à bon port. Jack paye les marins. Seul Boston souhaite rester avec elle, et l'attendre sur le navire le temps qu'elle règle ses affaires. Molly/Jack (aussi surnommée Red) descend du navire et se rend dans le quartier de Whitechapel, celui où se trouve l'établissement où son verre a été drogué, et où 2 individus l'ont escamoté par les tunnels situés sous la ville.
A priori, le lecteur n'a pas de raison de jeter son dévolu sur ce recueil plutôt que sur d'autres, lorsqu'il sort dans une période de production pléthorique en termes de comics, et de nouvelles séries publiées par Image Comics. Peut-être a-t-il déjà lu une série écrite par Christopher Sebela, ou est-il attiré par ce titre mystérieux, ou a-t-il déjà entendu parler des tunnels sous la ville de Portland. Toujours est-il que, guidé par sa curiosité, il se retrouve à plonger dans cette histoire de vengeance implacable, réalisée par une femme. Les auteurs ont repris des faits réels : l'existence de ces tunnels (même s'ils n'étaient pas utilisés pour ce commerce de main d'œuvre non consentante), ledit trafic d'êtres humains, l'implantation de la pègre dans la société de Portland à cette époque. De fait, le récit comporte bien une forte fibre de reconstitution historique. Joshua Hixson réalise des cases de type descriptive. Il dessine avec un niveau de détails cohérent avec le principe de montrer la reconstitution de cette époque, les décors étant en particulier représenté dans plus de 90% des cases. Le lecteur peut ainsi se projeter dans les différents lieux où se trouve Molly/Jack.
L'histoire commence sur un vieux grément, dans ses cales avant de passer sur le pont. Les dessins ne sont pas de nature photographique, mais ils montrent la forme de la coque, des voiles, les cales où s'entassent les prisonniers. Par la suite, le lecteur peut monter à côté de Molly dans la carriole tirée par les chevaux alors que la famille déménage, admirer le port de Portland depuis le navire des révoltés, arpenter les rues des quartiers malfamés, aller prendre un verre dans des rades minables, passer une nuit dans la chambre d'un lupanar (mais en tout bien, tout en honneur), se pointer dans le bureau luxueux d'un homme d'affaires (louches) dans la mairie, et bien sûr chercher son chemin à tâtons dans les souterrains de la ville. Les traits encrés de Hixson sont un peu gras, parfois un peu secs, d'autres fois un peu appuyés, montrant une réalité dure, usante et agressive vis-à-vis des êtres humains. Les individus sont représentés avec ces mêmes traits de contours, montrant des personnes marquées par la vie, endurcies par les coups du sort et les coups encaissés. Il n'y a pas trace d'embellissement romantique dans leur apparence. L'artiste réussit à représenter Molly de telle sorte à ce que le lecteur puisse croire au fait qu'elle peut passer pour un homme sans difficulté. Il peut la voir se comporter comme un homme, à la fois dans ses gestes, à la fois dans ses actions. Son jeu d'acteur est de type naturaliste, sans aucune case voyeuriste, que ce soit pour sa silhouette, ou pour ses blessures, par exemple les cicatrices laissées par les coups de fouet.
Le lecteur s'immerge donc dans cette reconstitution efficace, sans être surchargée, ni superficielle. Il apprécie que le dessinateur se concentre exclusivement sur la narration, débarrassée de tout effet de manche. Il y a peut-être une ou deux exagérations qui font tiquer : un individu en train de brûler dans la cale du bateau sans que personne ne s'inquiète de savoir si ça ne va pas mettre le feu partout, ou une demi-douzaine de policiers qui canardent un individu à cheval qui s'en tire vraiment à bon compte. Mais tout le reste (soit plus de 99% du récit) montre les événements de manière factuelle, sans céder à la tentation du spectaculaire pour en mettre plein la vue. La perte de contrôle de Jack sur le navire n'en fait que plus froid dans le dos, la sauvagerie avec laquelle elle plante froidement son couteau dans un homme après l'autre, la façon dont elle attend sa victime dans les souterrains pour lui sauter dessus. Hixson s'avère tout aussi convaincant quand il s’agit de mettre en scène des discussions normales entre civils. Là encore la direction d'acteurs reste naturaliste, avec des adultes ayant des gestes mesurés qui font apparaître leur état d'esprit de manière normale. Le lecteur ressent toute la tension quand Molly retrouve sa sœur Katie. Il observe la circonspection de Boston quand Molly lui explique son obsession de vengeance. Il est épaté par le calme de Bunco Kelly alors que son assassin est de l'autre côté de la porte de son bureau.
Les dessins un peu secs de Joshua Hixson rendent très bien compte du caractère obsessionnel de la vengeance de Molly Wolfram, du fait qu'elle se mette en danger pour l'assouvir. Très rapidement le scénario se focalise entièrement sur cette vengeance, sur la manière dont Molly traque les individus qui l'ont droguée et vendue pour 50 dollars. Le lecteur a pu voir les sévices dont elle a souffert, il a pu voir les marques sur son corps. Du coup, l'obsession de Molly fait sens et ne semble pas disproportionnée. En outre, elle n'a rien d'un héros infaillible au cœur pur, qui surmonte toutes les épreuves sans coup férir. Elle se trompe, elle se fait tabasser, elle se jette dans la gueule du loup sans réfléchir. Elle se conduit comme un homme qui fonce dans le tas. Elle descend des gorgeons pour tenir le choc émotionnellement, pour s'anesthésier. En la voyant se conduire ainsi, le lecteur se fait l'observation qu'elle ne fait pas que s'habiller pour passer pour un homme, elle en a aussi adopté la mentalité. À nouveau, cela semble naturel. Leur père a élevé Molly et sa sœur comme des hommes, en leur apprenant à manier les armes à feu, l'arme blanche, à se défendre. Il est donc normal qu'elles mettent en pratique ce qu'il leur a appris. En outre elles ont dû le faire très rapidement dès sa disparition, alors qu'elles et leur mère sont devenues la cible de profiteurs mâles de tout acabit. Le lecteur ne peut pas cautionner les actions de Molly Wolfram, mais dans le même temps il ressent une forte empathie pour elle, il comprend qu'elle ne peut pas oublier ou pardonner.
Christopher Sebela et Joshua Hixson ont concocté une histoire de vengeance implacable menée par une femme qui a été maltraitée. Il ne s'agit pas d'un récit féministe, mais d'une histoire noire se déroulant dans un milieu spécifique. La reconstitution historique est de bonne qualité, et cet environnement (Portland à la fin du dix-huitième siècle) a une incidence directe sur le récit, ce n'est pas un décor sur lequel est plaquée une intrigue générique. Le lecteur se retrouve à admirer cette femme souffrant d'un syndrome de stress post traumatique et accomplissant sa vengeance, racontée de manière naturaliste.