Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre qui a été rééditée dans le recueil Elseworlds: Superman Vol. 1. Elle est initialement parue en 1993, écrite par John-Marc DeMatteis dessinée et encrée par Eduardo Barreto, avec une mise en couleurs réalisée par Les Dorscheid. Il s'agit de la première histoire estampillée Elseworlds consacrée à Superman.


Le narrateur non identifié s'interroge parfois sur la manière dont auraient pu tourner les choses : cette minuscule fusée partie de la planète Krypton, ce long voyage dans l'espace, et la possibilité qu'une saute de vent ait suffisamment décalé la trajectoire de cette capsule qui aurait alors atterri en Afrique, en Chine, dans un pays sous une dictature, au pied d'un prêtre hindou. La terre aurait-elle alors été privée de son plus grand héros ? Non, ces événements n'ont pu se dérouler que d'une seule manière. La capsule atterrit dans une zone vierge au nord de Gotham. Un couple sort de sa voiture alors qu'ils se rendaient à un dîner organisé par le gouverneur de l'état pour sa campagne politique : Martha et Thomas Wayne. L'enfant est vite adopté et intégré à la vie de famille dans la grande demeure : ils l'appellent Bruce. Le garçon gagne également vite le cœur d'Alfred Pennyworth. Les années passent. Un soir, Martha et Thomas Wayne emmènent le jeune Bruce voir un film à Gotham. L'esprit du garçon a été marqué par le costume et l'héroïsme de Zorro. Alors qu'ils se dirigent vers leur voiture en passant par une ruelle déserte, ils sont agressés par un individu armé : Joe Chill. Martha refuse de donner son collier de perles. Joe Chill tue les parents et la réaction de Bruce est terrible.


Les policiers retrouvent Bruce Wayne choqué, répétant inlassablement : les balles, les balles. Alfred Pennyworth s'occupe d'élever Bruce jusqu'à l'âge adulte, le jeune homme préférant vivre coupé du monde, en reclus dans le manoir familial. Il se lève vers huit heures le soir, et Alfred lui sert son petit-déjeuner. Il prend connaissance des nouvelles (ce jour-là l'installation de Lex Luthor à Gotham), et va se recueillir dans son bureau décoré avec les articles de journaux du meurtre de ses parents et de nombreux autres par la suite. Alors qu'il en ressort ce soir-là, 2 cambrioleurs se sont introduits dans le manoir avec l'intention de dévaliser Bruce Wayne. La confrontation prend une tournure inattendue. Cet affrontement physique fait resurgir les souvenirs enfouis de la nuit du meurtre des époux Wayne. Bruce se souvient enfin de ce qui s'est passé. Constatant ça, Alfred décide de l'emmener dans la grotte souterraine sous le manoir, où se trouve la capsule spatiale qui a amené le nouveau-né. Bruce Wayne touche les documents qui y sont contenus et prend connaissance de son héritage extraterrestre. Il s'envole et effectue des acrobaties dans la grotte, au milieu des chauves-souris.


En 1989, l'éditeur DC Comics publie Gotham by Gaslight (par Brian Augustyn & Mike Mignola), une histoire de Batman qui en propose une version alternative. En 1991, sort une deuxième histoire de Batman sur la base d'une autre version alternative : Holy Terror (par Alan Brennert & Norm Breyfogle) portant le sigle Elseworlds. Il s'en suit de nombreuses versions alternatives de nature très diverse, de Batman, mais aussi de Superman et la Ligue de Justice. Speeding Bullets est la première du genre consacrée à Superman. À l'époque, JM DeMatteis est déjà un auteur bien établi et le lecteur reconnait tout de suite sa patte littéraire avec le monologue intérieur d'un narrateur non identifié. Eduardo Barreto est un dessinateur régulier des séries DC Comics, en particulier de Batman: Master of the Future (1991, scénario de Brian Augustyn), la suite de Gotham by Gaslight. Comme pour la plupart des récits Elseworlds, il s'agit d'une histoire complète, parue sous un format plus étoffé que celui des comics mensuels, avec une pagination plus importante de 48 pages. Le lecteur sait par avance que l'histoire va devoir avancer rapidement pour que les auteurs puissent raconter quelque chose de conséquent en 48 pages, ce qui explique des sauts dans le temps, ainsi que des cartouches de texte qui peuvent être un peu fournis sur certaines pages.


Le lecteur saisit la nature du jeu dès la première page. Il est plus que vraisemblable qu'il connaît bien l'histoire des origines de Superman, et qu'il est familier de ses principales caractéristiques. Il va donc repérer les éléments spécifiques de sa mythologie : Lex Luthor, Lois Lane, Perry White, et bien sûr ses superpouvoirs. Il est tout aussi vraisemblable qu'il connaisse bien également les origines de Batman, ainsi que sa mythologie : l'assassinat de ses parents, le soutien indéfectible d'Alfred Pennyworth, la grotte sous le manoir, Joe Chill, Gotham ravagée par le crime. À l'évidence, le scénariste sait qu'il sait : il doit donc inclure les éléments attendus, tout en introduisant assez de variations pour que le déroulement de l'intrigue présente un quelconque intérêt. À ce petit jeu, l'artiste dispose de plus latitude pour introduire des variations dans les représentations. Barreto dessine dans un registre descriptif et réaliste très classique, sans le degré de simplification des décennies passées, sans la volonté d'esbroufe des années 1990. Il sait utiliser de manière compétente les raccourcis graphiques qui permettent de réaliser des pages plus vite, à commencer par les trucs et astuces pour éviter d'avoir à représenter les décors en arrière-plan. Au fil des pages, le lecteur peut voir qu'il fait preuve d'inventivité pour les mises en pages, peut-être pour partie en suivant les indications du scénariste. C'est ainsi que le récit s'ouvre avec un dessin en pleine page de la capsule spatiale de Kal-El. L'artiste réussit à la fois à reprendre le visuel de John Byrne pour Man of Steel, et à la fois à proposer un angle de vue original.


Par la suite, le lecteur apprécie le résumé de l'intégration du jeune garçon dans le manoir, sous la forme de 6 dessins disposés comme dans un album photographique, avec des textes à côté, le collier de perle de Martha sans chercher à singer les cases de Frank Miller ou de David Mazzuchelli, les dessins de décor servant de fond de page sur lequel sont apposées les autres cases. L'artiste doit donc insuffler une sensation différente pour la manifestation des pouvoirs de Bruce / Kal-El, et pour la première apparition de cette version de Batman. Le vol autonome de Bruce dans la grotte enténébrée au milieu des chauves-souris est magnifique et inquiétant. La première apparition de Batman s'effectue sur un toit dans un dessin en pleine page, une silhouette imposante, et Bruce essayant une posture pour effrayer le criminel. Barreto sait montrer que ce Kal-El n'est pas Superman en ne reprenant pas ses postures habituelles, et qu'il n'est pas Batman en ne reprenant pas non plus ses postures habituelles. Il développe une gestuelle spécifique pour ce nouveau héros, un individu sombre utilisant des superpouvoirs extraordinaires. Dans le même temps, Lois Lane et Perry White sont parfaitement conformes à l'allure qu'ils avaient dans les séries Superman à l'époque, montrant qu'il s'agit bien des mêmes individus.


Au regard des comics industriels paraissant mensuellement, la narration visuelle de celui-ci est d'une qualité meilleure. Il en va de même pour la narration du scénariste. Le lecteur sait donc que Kal-El est recueilli par les époux Wayne. Il connaît à l'avance le sort de ces 2 parents adoptifs, ainsi que le traumatisme qui va en découler et la conséquence sur le jeune Bruce. Effectivement, le scénariste ne dispose pas de beaucoup de latitude pour insuffler de l'originalité dans l'intrigue proprement dite, d'autant qu'il annonce rapidement la couleur sur l'ennemi (Lex Luthor). Le lecteur reconnaît donc tout l'art de DeMatteis au fait qu'il s'intéresse aux personnages. Le scénariste joue avec la connaissance que le lecteur a d'eux, mais avec parcimonie. Il indique que le jeune Bruce est un véritable rayon de soleil dans la maisonnée, ce qui évoque le caractère positif de Kal-El en tant que Clark Kent. À peine Bruce Wayne (Kal-El) se retrouve-t-il devant Lois Lane qu'il se montre maladroit, faisant sourire le lecteur qui y voit une référence au comportement de Clark Kent pour maintenir son identité secrète. Par petites touches, DeMatteis donne de la personnalité à ce Bruce Wayne, montrant en quoi les mêmes causes produisent les mêmes effets (le meurtre des parents), mais une personnalité différente conduit à une évolution différente. Il s'y prend avec assez de sensibilité pour que le lecteur soupire d'aise en voyant la trajectoire de Bruce/Kal-El s'infléchir. Il apprécie tout autant la personnalité inchangée de Lois Lane, second rôle important dans cette histoire.


L'exercice créatif d'un récit Elseworlds est très contraint : reprendre les caractéristiques qui font la personnalité d'un superhéros, tout en intégrant les variations d'un ou deux paramètres, dans une histoire plus ou moins originales, ou en reprenant la trame d'une histoire déjà connue. À ce petit jeu, Eduardo Barreto se montre très habile à proposer des variations visuelles enrichissantes sur le personnage. John-Marc DeMatteis fait preuve d'une inventivité créatrice nuancée pour pouvoir reprendre l'histoire des origines de Batman et donner une personnalité différente à cette version de Bruce Wayne pour rendre le récit intéressant. Il reste qu'il est un peu court et un peu prévisible.

Presence
7
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le 23 janv. 2020

Critique lue 210 fois

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6

FUUUUU-SION !!!

À la fois one-shot et exercice de style, Speedings Bullets fait en partie penser à Red Son qui s'amusait à détourner l'histoire du kryptonien pour lui donner un autre destin. Mais ça va ici beaucoup...

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