Ce tome fait suite à Zero Volume 2: At the Heart of It All (épisodes 6 à 10) qu'il faut avoir lu avant. Comme il s'agit d'une histoire complète en 4 tomes. Il faut avoir commencé par le premier. Il comprend les épisodes 11 à 14, initialement parus en 2014, tous écrits par Ales Kot, et mis en couleurs par Jordie Bellaire. L'épisode 11 a été dessiné et encré par Ricardo Lopez Ortiz, le 12 par Adam Gorham, le 13 par Alberto Ponticelli, et le 14 par Marek Oleksicki. Le design de la série a été conçu et réalisé par Tom Muller.


Septembre 2025, en Islande, la vue traverse les nuages pour se rapprocher de plus en plus de l'île qu'est l'Islande, jusqu'à se retrouver au pied d'un volcan dont s'échappe des volutes denses. Le temps est au brouillard épais qui gomme le paysage, qui le noie dans une grisaille quasi uniforme. Le premier jour. Edward Zero se trouve avec Penn : ils sont nus dans le lit sans couverture, d'une petite maison à l'écart de la ville, elle aussi noyée dans le brouillard. Penn se tient tout contre Edward et lui dit qu'elle aime quand il rit (il a ri pendant qu'ils faisaient l'amour). Il lui répond que rire ne lui vient pas avec facilité. Penn commence à embrasser sa lèvre supérieure, puis lui mordille la lèvre inférieure. Il a une érection. Elle descend un peu dans le lit, et commence à lui faire une fellation. Il s'adonne à ce plaisir. Jour deux. Penn demande à Edward ce qui se passera si le volcan ne s'arrête pas. Il lui répond qu'il s'arrêtera car tout change. Jour trois. Ils sont assis à table face à face, et ils savourent une soupe. Jour 4. Le brouillard est toujours aussi intense. Quelqu'un observe la maison à la jumelle. Penn & Edward sont sortis dans la basse-cour pour donner à manger aux poules. Penn réussit à convaincre Edward de leur parler, parce que les œufs sont de meilleure qualité depuis qu'elle le fait.


En octobre 2025, dans un endroit tenu secret du Royaume Uni, Edward Zero avance dans une maison envahie par une végétation étrange : il est vêtu d'une combinaison étanche qui le couvre de la tête aux pieds. Dans le salon, il regarde un homme à moitié couvert de champignons, debout, en train de divaguer. Il raconte qu'il pensait que c'était une malédiction, mais en fait il s'agit d'une bénédiction. Les meilleurs sont restés à l'intérieur, mais ils ne peuvent pas bouger. Une arme. Un monde sans pistolet chargé. Ils ne comprennent pas. Zero le laisse continuer de parler et avance : il entre dans une grande pièce sans meuble. Un jeune adulte se tient dans un coin, tourné vers l'intérieur de l'angle. La pièce est également envahie par cette étrange végétation, sauf un quart de cercle dégagé autour du jeune homme. Il est en train de se soulager contre le mur. Il s'adresse à Zero en lui disant que sa combinaison ne le sauvera pas. À l'extérieur le pavillon est recouvert d'une bâche, l'isolant de l'air, et des individus en combinaison blanche s'affairent autour et empêchent quiconque d'approcher. Le jeune homme engage la discussion : Zero lui confirme qu'il a une mission à effectuer. Le jeune homme indique que ça va être difficile parce que les spores le protègent.


Le premier tome avait demandé un réel effort au lecteur pour comprendre la structure narrative et être certain d'avoir bien identifié les personnages principaux. Le second tome se lisait d'une traite avec la part belle faite à l'action et à l'histoire de Roman Zizek et de Sarah Cooke. Le lecteur est impatient de découvrir la suite, de savoir comment Edward Zero se retrouve assis sur une chaise en 2038, menacé par un jeune garçon avec une arme à feu, au bord d'une falaise au Royaume Uni. Il retrouve le personnage principal en Islande, en 2025. Il se souvient qu'il y a séjourné en 2022 dans l'épisode 10, le dernier du tome précédent, mais il ne semble pas y avoir de lien direct. Peut-être qu'Edward Zero y resté en attendant. Cette fois-ci, le scénariste choisit de respecter l'ordre chronologique, et l'épisode 14 commence exactement là où se termine l'épisode 13. Dès l'épisode 11, le lecteur est frappé par la facilité de compréhension : un laps de temps court, une narration linéaire, le calme du couple, suivi par un affrontement rapide entre Zero et une personne venue pour l'assassiner. Le deuxième épisode est également mené tambour battant : une mission compliquée (Comment tuer ce jeune homme ?), suivie par une proposition très inattendue et très tentante pour Zero, à nouveau avec un déroulement strictement chronologique, dans une durée réduite de 2 ou 3 jours. Enfin un commando s'introduit dans le quartier général de l'Agence et tue systématiquement tous ceux qui sont présents. Leur objectif : tuer Edward Zero, et ne laisser personne vivant. Il s'agit donc essentiellement de 4 épisodes consacrés à l'action, à des missions d'assassinat, perpétrées par Zero, ou dont Zero est la cible.


Comme depuis le début, le dessinateur change à chaque épisode. Pour les 10 premiers, cela faisait sens d'un point de vue narratif, car chacun se déroulait dans une année différente. C'est moins une évidence ici où tous les épisodes semblent se suivre de manière chronologique à peu de jours d'intervalle. À nouveau, Kot a choisi ses collaborateurs parmi les artistes indépendants, avec un rendu d'où sont absents tous les clichés des comics de superhéros, avec une apparence inscrivant ces artistes dans un registre indépendant, à l'écart des standards de la production industrielle de masse. Comme pour les 2 tomes précédents, la mise en couleurs de Jordie Bellaire installe une unité pour l'ensemble, tout en utilisant des variations discrètes, d'une part pour être en phase avec la nature de chaque séquence, d'autre part pour compléter au mieux les spécificités graphiques de chaque artiste. Ricardo Lopez Ortiz dessine dans un registre descriptif en se concentrant sur certains détails, et en s'en tenant aux formes générales pour le reste. Il ajoute des petits traits de texture dans les formes détourées, ainsi que l'équivalent de tramage à demi effacé. Il met en œuvre quelques caractéristiques des seinens, comme les traits de vitesse, ou les exagérations d'expression pour l'agresseur, ou encore les traits droits pour le visage d'Edward Zero, sans pour autant donner l'impression de singer un mangaka. Avec l'apport de Jordie Bellaire, il rend bien compte de l'épais brouillard. Sa mise en scène du combat physique dans la maison est sèche, claire, structurée et elle rend bien compte de sa brutalité.


L'épisode 12 s'ouvre dans une teinte verte pour rendre compte de la présence des végétaux dans la maison, ce qui tranche avec la grisaille de l'épisode précédent. Les dessins d'Adam Gorham ne portent pas la trace de l'influence manga. Ils rendent très bien compte de la texture des différentes plantes. Le lecteur ressent pleinement la bizarrerie inquiétante de la présence d'une flore mutante, une menace certainement, mais impossible à évaluer, à cerner. Gorham sait rendre l'étrangeté de ce face-à-face entre Zero enveloppé dans sa tenue contre les risques biologiques, et ce jeune homme détendu qui explique sa situation. Après la mission, la mise en scène du débriefing est très statique : un échange formel d'informations ou Zero et Cooke restent sur leur quant-à-soi sans rien laisser paraître. Ce parti pris narratif est fait sciemment, car les émotions se révèlent une fois l'entretien terminé, chacun s'étant isolé de son côté. Le lecteur retrouve avec plaisir Alberto Ponticelli, l'artiste de la série Unknown Soldier de Joshua Dysart. Il se rapproche d'un registre plus réaliste, faisant contraster le niveau de détails des personnages avec les arrière-plans, pour mieux les faire ressortir. Il illustre l'avancée d'Edward Zero pour éliminer les intrus dans une séquence de 14 pages, très violente, sans pitié, avec des coups portés brutaux et sans élégance, entièrement dans l'efficacité pour faire mal et neutraliser. Ce n'est pas de la violence spectacle, c'est écœurant, en cohérence totale avec la nature du récit. Marek Oleksicki prend le relais de Ponticelli dans un registre visuel très proche, avec des traits de contour un peu plus gras, moins effilé, et un sens de la violence tout aussi viscéral, dépourvu de tout romantisme. Le lecteur ressort écœuré de ce corps à corps sans pitié, jusqu'à la mort, avec une volonté de tuer qui met en valeur les compétences extraordinaires de combattant à main nue.


D'une certaine manière, il est donc possible de lire ces 4 épisodes très vite, uniquement comme une suite de combats acharnés d'une rare violence, avec une volonté de tuer d'une rare intensité, nourrie par une détermination sans faille et des capacités niveau expert. Il est donc possible de les prendre pour un récit d'espionnage et d'opérations clandestines, basés sur l'action, et c'est tout. Pourtant, s'il a lu les tomes précédents, le lecteur sait qu'il s'agit d'une histoire animée par une réelle qualité littéraire, et il aborde ces affrontements successifs, avec un autre état d'esprit. Il relève forcément quelques détails. Le plus évident : dans la dernière page du dernier épisode un jeune adolescent demande à l'agent Zero où sont passés les chevaux. Cela renvoie à l'anecdote racontée dans l'épisode 6 sur un collectionneur de chevaux pendant la guerre. De même au cours de l'épisode, il note qu'Edward Zero est majoritairement représenté sous son profil gauche, ce qui met en évidence son œil aveugle. Il ne peut pas s'agir d'une coïncidence : ce sont des plans de prise de vue sciemment construits, pour évoquer l'aveuglement passé de Zero, et s anouvelle façon de voir les choses avec un œil en moins. Ales Kot continue de faire évoluer Edward Zero : ce dernier a pris conscience de la destination vers laquelle l'entraîne son mode de vie. Il a commencé à questionner le métier qui lui a été inculqué dès le plus jeune âge, à prendre conscience du cercle vicieux de la violence. Il a commencé à percevoir les autres comme des individus plutôt que comme des cibles associées à des missions. Quand il se bat dans le premier épisode, c'est son éducation, son endoctrinement qui s'exprime sans laisser de place à sa personnalité, comme un automate aveugle en pilotage automatique. Son parcours est un questionnement sur la force comme mode de vie.


Avec ce troisième tome, Ales Kot et les artistes continuent de raconter une histoire d'espionnage musclée en mettant en œuvre les conventions du genre au premier degré, tout en montrant comment un tel mode de vie façonne l'individu, le cantonne à un système relationnel destructeur pour les autres et pour lui, avec des dessins en révélant toute la crudité. Un récit à vif, sans fard, d'une force terrifiante.

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le 18 août 2020

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