Décidément, il y a de plus en plus de ponts entre la BD européenne et la BD asiatique. Dans la foulée des très réussis mangas à la française que sont Lastman et La république du catch, voici que paraît un nouvel album étonnant, à mi-chemin entre Hong Kong et Bruxelles. « The Beast », un roman graphique qui vient de sortir aux Editions Kana, marque la rencontre inattendue entre le scénariste belge Jean Dufaux, un des grands noms de la BD franco-belge, et le dessinateur chinois Li Chi Tak, l’un des auteurs les plus importants de la BD made in Hong Kong, comme l’a démontré la récente exposition de ses oeuvres au Festival d’Angoulême. Un mélange improbable, dont le résultat tient presque du miracle, étant donné que les deux hommes, qui parlent forcément deux langues différentes, ne parlent ni l’un ni l’autre l’anglais. C’est sans doute cette difficulté de communication qui explique en partie pourquoi leur projet commun a mis 10 ans à aboutir. D’autant plus que la langue n’était pas le seul obstacle à franchir. Comme l’explique un article du journal « Le Monde », Jean Dufaux et Li Chi Tak ne partagent pas non plus la même façon de faire de la bande dessinée, l’auteur hongkongais étant peu habitué aux récits linéaires à l’européenne. Mais ce qui les a rapprochés, c’est leur amour du cinéma. On connaissait déjà la passion de Jean Dufaux pour le 7ème art, puisqu’il a reçu récemment une « carte blanche » de la Cinematek de Bruxelles pour y programmer quelques-uns de ses films préférés. Il apparaît que Li Chi Tak est lui aussi davantage influencé par les films que par les autres auteurs de BD. « Mon inspiration se situe plus naturellement du côté du cinéma, que ce soit la nouvelle vague hongkongaise ou le cinéma d’art et d’essai », explique l’auteur asiatique, qui a d’ailleurs participé à l’adaptation à l’écran d’une de ses bandes dessinées, en l’occurrence « Black Mask ». Dans le casting de ce film sorti en 1996, on retrouvait notamment Jet Li, l’une des stars du cinéma de Hong Kong.
On retrouve clairement cet amour pour le cinéma dans « The Beast ». Ce polar fantastique envoûtant tourne autour de trois personnages principaux: Lucie Wales, Wong Jim et le docteur Claude Hakin. Sans qu’on sache vraiment pourquoi, ces trois personnes sont les seules à avoir le don de repérer la trace d’une mystérieuse bête sur le visage puis dans les entrailles de leurs victimes. Ce qui donne lieu à des séquences particulièrement spectaculaires et angoissantes. La scène d’introduction, lors de laquelle la jeune Lucie Wales quitte une réunion d’affaires pour retrouver aux toilettes un mystérieux interlocuteur qui lui demande d’aller assassiner puis charcuter un homme dans une chambre d’hôtel afin de repérer s’il n’est pas contaminé par la bête, est digne des meilleurs films d’action. On est directement dans l’histoire! Le reste de l’album est à l’avenant: « The Beast » est un thriller plein de rythme et très noir, dans lequel Jean Dufaux et Li Chi Tak plongent leurs lecteurs dans un Hong Kong à la fois intemporel et irréel. Dans leur roman graphique, la ville est coupée en deux entre d’une part un quartier d’affaires ultra-moderne et d’autre part une « cité noire » pleine de mystères, de dragons et d’esprits malfaisants. « Il existe au coeur de la ville une enclave avec un coeur sombre, défendue par de hauts murs ; derrière ces murs, c’est l’enfer avec ses différents cercles », résume le quatrième de couverture de l’album. Bien évidemment, on ne va pas tarder à découvrir ce qu’il y a derrière ces immenses murs, tandis que la fameuse bête va révéler son vrai visage. Un grand moment de bande dessinée, qui prouve que les grands esprits finissent toujours par se rencontrer… même quand ils ne parlent pas la même langue!
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