Borley Rectory, le presbytère des horreurs
Très beau travail réalisé par Eric Liberge qui n'a lésiné ni sur les effets graphiques, ni sur l'abondance et l'ampleur des manifestations parapsychologiques.
La mise en images use amplement des surimpressions et des juxtapositions non délimitées par des cadres de vignettes. Ces compositions soulignent le côté chaotique et délocalisé des phénomènes terrifiants narrés dans l'album. Les sens, et surtout la vue et l'ouïe sont désorientées par ces procédés, sans compter l'efficacité de certains rendus tactiles (les colonnes de froid localisées).
La première planche donne le ton : en pleine page, la silhouette dominante d'un édifice médiéval fortifié, à créneaux et lourds contreforts, qui pourrait ressembler au Mont Saint-Michel si l'architecture n'en différait sensiblement. En surimposition partiellement transparente, une très élégante calligraphie d'expressions latines, visiblement tirées d'oraisons de repentir et de contrition (ça met dans l'ambiance), deux gardes complètement enfermés dans de lourdes armures inquiétantes. Et, en bas de page, une seule vignette délimitée par un cadre rectangulaire.
La réussite est d'autant plus grande que l'atmosphère est hyper- "gothique", alors que les architectures et le répertoire des formes ne le sont pas forcément; les portes et fenêtres du prieuré hanté ont un profil fort inhabituel pour un décor gothique. L'art du dessin joue du contraste entre les personnages, souvent dessinés au moyen de tracés filiformes d'une grande finesse, et tout ou partie du décor, noyé dans un flou brun, marron ou verdâtre, maculé d'étranges taches lumineuses.
La multiplication des apparitions spectrales hurlantes, des écritures pathologiques tracées ici et là par des mains invisibles, des explosions de débris jaillis de nulle part constituent un festival d'horreur qui vaut bien certaines réussites cinématographiques.
Le scénario a l'astuce de minimiser l'explicative des phénomènes surnaturels en les réduisant à de simples rémanences dans les murs du prieuré d'effluves maléfiques liées à des actes criminels. Mais la narration montre que l'on ne se limite pas à une "mémoire des pierres", comme Seignolle parlait d'une "mémoire du bois". Des poltergeists tourbillonnaires et rageurs dévastent régulièrement l'édifice, toute la gamme des bruits et des apparitions terrifiantes est utilisée, et le thème de l'enfouissement du Mal, de la descente dans le puits maudit est bien mise en scène.
Un excellent moment donc pour qui aime le surnaturel. Il n'y manque ni les rivalités entre parapsychologues présomptueux, se rengorgeant dans la fatuité de leurs supposées compétences, ni l'intervention d'un exorciste de onzième zone, aussi efficace sur le Mal que l'aspirine sur le SIDA, ni une parapsychologue alcoolique, attendant que le héros lui témoigne quelque attention, ni la séance de spiritisme canonique ni le thème de l'amour maudit par-delà la tombe.
L'intérêt est encore renforcé par la part autobiographique de cette narration. Eric Liberge affirme s'être inspiré d'un livre donné à lui par une vieille tante experte en occultisme, livre qui parlait de la "maison la plus hantée d'Angleterre", le Borley Rectory. Ce presbytère a vraiment existé (il a été détruit par le feu en 1929). Tapez "Borley Rectory" sur Wikipédia pour en savoir plus.
Très beau travail sur les domaines de l'ombre.