Plutôt génétique ou plutôt cybernétique ?

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2008, écrits par Jonathan Hickman, dessinés, encrés et mis en couleurs par JM Ringuet. Le tome commence par une courte introduction rédigée par le professeur Anton Rebere de l'Institut pour la Génomie intégrative, à l'université de Princeton, texte qui s'avère peu flatteur.


Un commentaire annonce qu'il s'agit d'un documentaire financé par New Group, en partenariat avec le Conseil sur la Génétique, une branche de l'Institut National de la Santé. Une vingtaine d'années dans le futur, Heinrich Dowidat, un homme en costume avec des lunettes, se tient devant un bâtiment dénommé Immeuble Adams, ayant abrité les laboratoires de recherche et développement de iPharm. La présentation de Dowidat est entrecoupée de brefs entretiens, le premier est avec le professeur Anton Rebere, précédemment directeur de iPharm. Dowidat lui demande de définir ce qu'est le concept de Transhumain, et celui de Posthumain. Il lui demande de confirmer qu'il était le responsable du projet d'amélioration génétique, ce que son interlocuteur confirme. Il lui pose une question sur son ancien collaborateur Ingdad Padash. Rebere indique que l'entretien est terminé. La séquence suivante correspond à une interview d'Ingdad Padash. Dowidat lui pose des questions sur Rebere, puis sur la nature des recherches menées chez iPharm, et enfin sur l'arrivée de Dave Apple chez iPharm. Avant de passer à David Apple, Heinrich Dowidat évoque Janice DeAugustino, l'ex-femme d'Apple. 3 collaborateurs donnent leurs avis très tranchés et très différents sur elle. Puis elle répond à une autre question, relative à la création de l'entreprise ChimeraCorp.


Janice DeAugustino explique qu'elle avait été appelée pour effectuer un audit de iPharm. Ayant mesuré toute l'importance de leurs recherches, elle a fait en sorte de débaucher ses chercheurs et de fonder ChimeraCorp, avec même un poste pour son ex-mari. Consciente de l'urgence de mettre un produit sur le marché, avant qu'une autre entreprise ne pille leurs idées, elle fut d’abord satisfaite de l'enthousiasme des chercheurs, avant de commencer à se poser des questions et d'embaucher un auditeur indépendant pour évaluer les résultats de laboratoire sur les chimpanzés. Avant de poursuivre, Heinrich Dowidat effectue une intervention pour expliquer que ChimerCorp travaillait sur des améliorations de type génétique, alors que pendant ce temps-là le professeur Ingdad Padash et son équipe travaillaient sur des améliorations de type prothèse pour Humonics, une entreprise également nouvellement créée, avec le même objectif de transhumanisme. Mais ChimeraCorp et Humonics devaient faire face au même défit : trouver des capitaux pour se développer rapidement, afin de minimiser les risques d'espionnage et de piratage industriel.


Selon toute vraisemblance, le lecteur est attiré par ce tome, parce qu'il s'agit de l'une des premières œuvres Jonathan Hickman, scénariste ayant connu le succès par la suite avec des séries comme East of West et The Manhattan Projects, ainsi que Secret Wars avec Esad Ribic pour Marvel. Il connait déjà l'inclination de cet auteur pour une présentation avec des têtes de chapitre, et c'est qu'il retrouve ici, avec des couvertures conceptuelles relevant plus de l'infographie que de l'illustration. D'ailleurs en commençant sa lecture, il se dit que Jonathan Hickman a fait exprès de contrevenir aux principes basiques d'une bande dessinée. Il ne s'agit pas d'un récit d'action. La narration s'effectue principalement sur la base de ce journaliste s'adressant face caméra, comme dans un reportage, et par des entretiens en tête à tête. Il a donc choisi une forme très statique, les 2 tiers du récit se présentant sous la forme de gros plan sur un personnage en train de parler lui aussi face caméra. Un tel dispositif va à l'encontre d'une narration visuelle, à la fois parce que l'intérêt visuel de ce type de cadrage est limité, à la fois parce que les cases ne sont reliées les unes aux autres que par la logique de l'exposé et presque jamais par la continuité d'une action. Il faut donc que le lecteur parte avec une réelle motivation initiale pour affronter le monologue d'Heinrich Dowidat, dense, sans pour autant occuper plus de place que les dessins.


JM Ringuet est un artiste français ayant précédemment travaillé dans l'industrie vidéoludique, essentiellement comme concepteur graphique. De prime abord, l'apparence de ses pages n'est pas très engageante non plus. Il utilise une palette de couleurs un peu ternes, ajoutant des petits points noirs, comme mouchetés par-dessus ses dessins, en faible nombre, mais apportant comme une impression de salissure, à l'opposé d'une esthétique rutilante et propre sur elle, ou aseptisée et neutre. Ses traits de contours ne sont pas lissés. Ils présentent parfois des cassures, des angles y compris sur les visages humains, ou des variations d'épaisseur de trait qui ne semble pas signifiantes. Dans un premier temps, le lecteur se dit qu'en plus il n'a pas trop à se fatiguer pour représenter les décors, du fait de la prépondérance des gros plans sur Heinrich Dowidat et sur ses interlocuteurs. Au fil des pages, il se rend compte que le scénario comprend quand même différents environnements, ne serait-ce que parce que le journaliste se déplace en voiture pour se rendre d'un endroit à un autre. Du coup, le lecteur peut observer l'immeuble Adams, le bureau cossu d'Anton Rebere, le bureau spacieux avec baie vitrée de Dave Apple, un bar avec d'importants volumes à Miami, le laboratoire de Jay Wooster, le yacht privé de Douglas William Stevens, le bâtiment qui abrite la Cours Suprême de Justice des États-Unis. Finalement, il y a bien des informations visuelles autres que les simples visages et bustes des protagonistes.


JM Ringuet se retrouve donc avec une mise en scène très contrainte de gros plans sur différents personnages, juste en train de parler, le plus souvent sans accomplir d'activité particulière. Il a effectivement su concevoir des apparences singulières pour chaque protagoniste, que ce soit leur morphologie, la forme de leur visage, leur chevelure, leur tenue vestimentaire, et la façon de se tenir, leurs postures. Au fil des interviews, le lecteur se rend également compte que sous une apparence un peu brute, les visages s'avèrent expressifs. Il ne s'agit pas d'une comédie de situation ou d'une comédie dramatique, mais outre le langage corporel de la posture, la personnalité et les émotions affleurent parfois. Janice DeAugustino a un visage fermé, un peu pincé, sévère et autoritaire. À l'opposé, son ex-mari David Apple a un visage avenant, ouvert et souriant, même si le lecteur sent bien dans ses propos qu'il dispose d'un caractère bien affirmé. Du coup, ces interviews deviennent plus expressives que leur équivalent télévisuel, car l'artiste capture l'expression d'une émotion fut-elle fugace, et le lecteur perçoit bien ces différences de caractère. Après quelques pages, il découvre également que le scénariste a intégré quelques moments qui sortent du cadre imposé du gros plan. Cela commence avec une double page comprenant 4 singes en médaillon sur chaque page, et les conclusions des chercheurs à côté. Double page, suivante, le lecteur découvre Heinrich Dowidat en train de commenter un schéma biologique du corps humain. Ainsi dans chaque épisode, le lecteur découvre 2 ou 3 pages qui sortent du moule et qui n'en ont donc que plus d'impact.


Une fois qu'il a fait l'effort de s'astreindre à la forme du récit (lire posément les commentaires et les explications de l'exposé d'Heinrich Dowidat), le lecteur découvre tout d'abord un sympathique récit d'anticipation qui tient la promesse du titre : parler de transhumanisme. Il ressent que le scénariste ne joue pas entièrement franc jeu avec lui, car les effets de ces technologies génétiques et cybernétiques ne sont pas montrés, juste évoqués en arrière-plan. Il apprécie l'opposition des 2 directions de développement du transhumanisme, entre génétique et prothèse cybernétique. Il découvre la rivalité entre es 2 entreprises pionnières, chacune dans une branche, et la course qu'elle se livre pour être la première sur le marché. Il ne s'attend pas à l'intégration de la dimension financière qui prend la forme des investissements de type capital risque, bien menée. Mine de rien, Jonathan Hickman se livre à une explication par l'exemple du principe, et les 2 entreprises s'adressent à des professionnels de ce métier, des individus habitués à prendre des risques financiers et à s'assurer qu'ils portent leur fruit. Le scénariste se tient à l'écart d'une caricature facile ou d'un système de type mafieux, restant dans le domaine de la vulgarisation appliquée à son histoire. Le récit prend alors une autre envergure. Le lecteur n'est pas au bout de ses surprises. Hickman montre comment cette révolution scientifique et technologique part d'un petit groupe d'individus, certains liés entre eux par une histoire personnelle qui a des conséquences directes sur les entreprises. Avec le troisième épisode, le récit acquiert encore une autre dimension, les recherches sur le transhumanisme ayant des conséquences sur différents cobayes. Le lecteur sourit en voyant apparaître une tentative de monétarisation d'une partie des réussites, sous la forme de superhéros, sans moquerie méchante ou caricature, mais bien vite oubliée par les investisseurs et les PDG. Ce récit d'anticipation a alors pris son envol vers des territoires peu fréquentés tels que les fonds d'investissement, et quasiment jamais en comics, justifiant entièrement la forme narrative, pourtant peu enthousiasmante a priori.


Venu pour une histoire de jeunesse de Jonathan Hickman, le lecteur commence par éprouver un mouvement de recul en voyant la forme : des individus qui parlent face caméra, et des dessins à l'apparence peu agréable. Sous réserve qu'il fasse l'effort de surmonter ses a priori, il découvre un récit d'anticipation maîtrisé et ambitieux, avec une présentation un peu roublarde qui paye à la fin, et des dessins beaucoup plus expressifs qu'il ne le subodorait.

Presence
9
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le 2 avr. 2020

Critique lue 144 fois

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