Les bandes dessinées métaphysiques ne se bousculent pas au portillon, alors profitons de "Vapor" !
Nicodème, un humain affublé d'un nez démesurément long en forme de frite française, vêtu d'une robe qui lui donne un aspect monastique, visiblement épris d'absolu et de transcendance radicale par la voie de l'ascèse et du dénuement, s'abandonne au néant, couché dans un désert. Sa vocation mystique ne fait aucun doute. Rien que son nom (Nicodème) est celui d'un disciple supposé de Jésus. Ses références avouées sont les grands mystiques des premiers temps chrétiens : Antoine, Paul, Simon, les Pères du Désert. Grand quêteur de sens (qui se dérobe constamment, comme d'habitude), Nicodème passe par quelques épreuves classiques : rencontre d'un démon tentateur, matérialiste et grossier, "Moïse / Mosh", qui revêt bizarrement les traits de "Krazy Kat", de George Herriman; Juanita, l'oiseau céleste qui lui fournit nourriture et eau; échec des méditations face à l'émergence des fantasmes sexuels liés à la frustration; création par l'imaginaire de paysages et de personnages qui se dissipent rapidement; combat et divorce avec sa propre ombre (thème classique junguien), ce qui le menace de dissolution corporelle, puisque c'est l'ombre qui porte son côté sombre et matériel; transe hallucinatoire, pendant laquelle Nicodème se métamorphose; un savoureux défilé de la Reine de Saba, aussi surréaliste que les visions d'Alice au Pays des Merveilles.
Vapor (dont l'existence lui est révélée par Moïse (passeur de frontières)) est rencontré en fin d'album. On est alors dans la plus pure tradition mystique... Fusion avec l'Invisible ? Passage dans une autre dimension ? Chacun apportera sa lecture...
Le dessin, ligne claire très lisible et dépouillée (on est dans un désert, le rêve pour les dessinateurs qui s'ennuient à fignoler les décors), est en harmonie avec le propos ascétique de Nicodème. Les dialogues, rigoureux et de belle tenue, sont à la hauteur du sujet, jusque dans les passages délirants et paroxystiques.
Enigmatique, cet album nous renvoie à l'essence supposée de chacun d'entre nous : est-elle autre chose que pur néant ?