À bord de l'Étoile Matutine
7.2
À bord de l'Étoile Matutine

BD franco-belge de Riff Reb's (2009)

Un titre évocateur... Une goélette sur un océan chahuteur... Je contemple la couverture et déjà mon imagination hisse les voiles. En doux rêveur, j'esquisse des odyssées maritimes et des contrées exotiques. J'entrevois des tempêtes et des canonnades mémorables. Je fantasme des sirènes tentatrices, des héroïnes en détresse et leurs sauveurs courageux. Le souffle épique d'une belle aventure de pirates...

Diable ! Si l'ombre d'une histoire de flibuste plane sur les planches de cet album, c'est à mille milles de ce pittoresque attendu. Adieu folklore. Adieu romantisme. Adieu bravoure et gloriole. Par la voix d'un antique frère de la côte en quête d'absolution, l'auteur dépeint l'univers sauvage de ces écumeurs de mer en une fresque désenchantée. Le journal de la fuite en avant d'un gosse à l'imaginaire abreuvé par les récits de matelots de passage ; souvenirs fétides d'un jeune assassin contraint d'abandonner son village natal de Bretagne pour embarquer comme mousse sur le schooner « l'Etoile Matutine ».

En conteur rompu à l'art de l'ellipse, Riff Reb's éclipse habilement l'action et le spectaculaire. Suggérant les faits d'armes, interpellant le lecteur entre les batailles, il lui offre à découvrir en priorité les coulisses ou les épilogues. En plusieurs saynètes distinctes, il s'attache à brosser le quotidien sombre et tourmenté de ses boucaniers. Anecdotes sans pitié, réminiscences nostalgiques, bravades timorées ou péripéties amorales, c'est par petits traits grinçants ou plus sanguinaires qu'il évoque les mœurs et états d'âme de marins honorant les codes d'une éthique très subjective. Ils sont naïfs, mais cruels, superstitieux, mais impitoyables. Lâches, cyniques, violeurs et meurtriers ordinaires, leur humanité depuis longtemps privée de repères est définitivement noyée par la solitude, le danger et l'exigence de survie. Ce n'est qu'en quelques occasions furtives que l'Homme laissera émerger son vrai visage oublié.

Que tous ces personnages sont magistralement croqués ! Affublés de trognes burinées, si graves, néanmoins engageantes. Une ligne méticuleuse, détaillée, qui, métissant réalisme et caricature, dissimule une impression d'humour derrière un récit poisseux. Sa mise en couleur pianote sur la gamme d'une bichromie variant les effets et les ambiances. L'alternance de cinq ou six tonalités qui confère une psychologie propre à chacun des chapitres. Cette esthétique conjuguée à la prose de Mac Orlan catalyse une « harmonie antipodale » et libère un lyrisme et des échappées poétiques aussi fulgurants que le désespoir est gluant. Ensorcelé par l'image (c'est trop beau !), happé par les mots, on s'abandonne avec délice aux dérives du scénario.

Un antimythe vraiment efficace !
Sejy
8
Écrit par

Créée

le 19 août 2011

Critique lue 423 fois

3 j'aime

Sejy

Écrit par

Critique lue 423 fois

3

D'autres avis sur À bord de l'Étoile Matutine

À bord de l'Étoile Matutine
belzaran
8

Des anecdotes de piraterie disparates

En 2009, Riff Reb’s publie « À bord de l’Étoile Matutine », librement adapté du roman de Pierre Mac Orlan. C’est le début d’une trilogie d’adaptation de romans et nouvelles maritimes, dont le point...

le 8 sept. 2016

1 j'aime

À bord de l'Étoile Matutine
LaurentProudhon
7

Hommage poétique aux gueux de l’océan

« À bord de l’Etoile Matutine » était la première brique de la trilogie marine de l’auteur havrais. Certes, pas la plus marquante mais déjà d’une très bonne tenue par rapport à ses deux chefs d’œuvre...

le 26 févr. 2020

À bord de l'Étoile Matutine
YvesMabon
10

Critique de À bord de l'Étoile Matutine par Yv Pol

Deux albums qui font partie d'une trilogie consacrée à l’adaptation en bande dessinée de récits de mer. Hommes à la mer est un recueil de nouvelles de William Hope Hodgson, Pierre Mac Orlan, Marcel...

le 11 févr. 2020

Du même critique

Un printemps à Tchernobyl
Sejy
9

Effroyable beauté...

Regard oblique. Vision biaisée d’un no man’s land au temps suspendu. Sensation indésirable de plénitude. L’auteur peste, témoin impuissant à retranscrire l’horreur du désastre. Pourtant dans ses...

Par

le 18 oct. 2012

14 j'aime

Mémoire morte
Sejy
9

Critique de Mémoire morte par Sejy

Mémoire morte est, à mes yeux, l'œuvre la plus accessible de l'auteur. Les métaphores sont limpides et le scénario, malgré de savoureux et traditionnels accents d'absurdité, est d'une logique...

Par

le 19 août 2011

12 j'aime

Hallorave - Le Roi des mouches, tome 1
Sejy
10

Critique de Hallorave - Le Roi des mouches, tome 1 par Sejy

Je flotte, ahuri. Prisonnier de la bulle nihiliste et lumineuse que Mezzo et Pirus ont créée pour moi. Je vagabonde entre les états d'âme. Béat, repus du plaisir, que dis-je, de la jouissance...

Par

le 19 août 2011

11 j'aime

4