Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2017, écrits par Greg Rucka, dessinés et encrés par Leandro Fernández, mis en couleurs par Daniela Mywa. Il reprend également les couvertures alternatives dessinées par Leandro Fernández, Nicola Scott, Chris Samnee et Michael Lark.


De nos jours, une femme (Andy) d'apparence jeune se réveille dans le lit d'un jeune homme. Juste avant elle cauchemardait une succession de batailles dans lesquelles elle mourrait tuée par l'ennemi à chaque fois. Elle quitte son amant d'une nuit sans beaucoup d'égard à son encontre et sort dans les rues de Barcelone. Dans un café proche, elle rejoint Booker, Joe et Nicky. Booker indique qu'ils ont été contactés par Copley qui souhaite leur confier une mission : une libération d'otages dont des enfants. Malgré ses réticences, elle accepte de prendre connaissance des détails de la mission. Ils se retrouvent quelques heures plus tard à Paris, et Booker explique qu'il s'agit de libérer des femmes et des jeunes filles au Soudan. En colère, Andy accepte la mission et indique qu'ils enverront la facture plus tard.


En Afghanistan, un trio de soldats américains participe à la fouille des maisons d'un village, à la recherche d'armes ou de rebelles. Ils tombent dans un piège et Nile Freeman est mortellement blessée. Pourtant quelques jours plus tard, elle reprend connaissance dans l'infirmerie militaire de campagne, sous les yeux incrédules de 2 personnels médicaux. Andy (Andronika), Booker (Sébastien Lelivre), Joe (Yusuf) et Nicky (Nicolo) se sont faits déposer en hélicoptère non loin du bâtiment où sont détenues les otages. Ils avancent en tirant sur tout ce qui bouge et descendent dans le sous-sol. Ils y découvrent une vaste salle, avec un bureau à l'extrémité et une caméra, mais sans personne dedans. Ils avacent de quelques pas, et des portes latérales dérobées s'ouvrent, d'où surgissent des dizaines de mercenaires armés qui font feu sur eux.


La quatrième de couverture indique de quoi il s'agit : des individus qui ne meurent pas et qui exercent le métier de soldat depuis plusieurs siècles. L'histoire mêle donc des interventions paramilitaires exécutées par ce commando de choc, avec la découverte d'un nouvel individu immortel, et les conséquences de cette vie qui n'en finit pas pour ces individus. Le lecteur participe donc à plusieurs missions armées aux côtés de ce groupe d'individus soudés par leur longévité extraordinaire. Cela commence dès la première page où ce qui a l'air d'être une amazone a éventré plusieurs soldats. Leandro Fernández dessine Andronika en ombre chinoise, évoquant un croisement entre Frank Miller période Sin City et Eduardo Risso dans 100 bullets avec Brian Azzarello. Comme il l'avait fait dans La discipline avec Peter Milligan, il utilise de gros aplats de noir, jusqu'à ce qu'il ne reste que le pourtour extérieur de la forme. C'est ainsi qu'en page 2, le lecteur peut voir la silhouette du corps d'Andronika animé d'un soubresaut en arrière alors qu'il est transpercé d'une flèche. L'artiste utilise ce dispositif (formes mangées par des aplats de noir) pour faire ressortir des éléments comme les dents serrées, blanches sur fond noir, ou les impacts de balle (étoiles jaunes orangées sur fond noir) ou encore les taches de sang (rouge sur fond noir). Au vu de niveau élevé de violence, ce dispositif fonctionne parfaitement pour rendre compte de la brutalité et des blessures, sans verser dans le voyeurisme malsain ou chirurgical. Par moment, le lecteur peut ressentir comme une impression de second degré du fait d'une exagération presque comique. À d'autres moments, il rend grâce au dessinateur de ne pas se montrer trop descriptif, par exemple quand Andy met son doigt dans la cervelle de Booker pour voir s'il est encore vivant, en essayant de provoquer une réaction.


Greg Rucka et Leandro Fernández dépeignent des interventions armées très efficaces et très particulières. Dans la mesure où Andy, Booker, Joe et Nicky savent qu'ils ne risquent pas de mourir, ils ne prennent le même type de précaution que des combattants ordinaires, et ils ont tendance à foncer dans le tas, quittent à souffrir lorsqu'ils sont blessés, tout en pouvant continuer à avancer. Il s'en suit donc un carnage, souvent dépourvu de dialogue ou de texte, mais assourdissant avec des effets sonores nombreux pour rendre compte du bruit des armes à feu, du souffle des explosions. Ces pages constituent un réel plaisir de lecture, car Greg Rucka prend soin de concevoir un déroulement des événements qui prend en compte la configuration des lieux, la disposition des obstacles, et Leandro Fernández réalisent des pages en jouant sur la disposition et la fore des cases pour ajouter du mouvement à l'action dans un plan de prise construit dans son ensemble. Ces séquences reposent sur une construction cinématique qui combine le spectaculaire, la clarté de la narration et la cohérence des mouvements et des déplacements. La dimension de missions clandestines est renforcée par le fait qu'elles se déroulent à plusieurs endroits du monde, le visiteur étant emmené à Barcelone, dans un désert du Soudan, en Afghanistan, à Paris, au pied des Baux-de-Provence, à Dubaï et sur l'île de Malte. Leandro Fernández a bien fait ses travaux de recherche de référence, et il inclut des éléments qui permettent aux lecteurs d'identifier visuellement ces endroits s'il les connaît, à commencer par les Baux-de-Provence très inattendus dans un comics américain.


L'histoire ne se limite pas à une succession de missions avec des objectifs divers. Le scénariste intègre également un nouvel événement et la présentation des personnages au fur et à mesure des épisodes. Le moteur de l'intrigue est constitué par le fait que Steve Merrick, riche patron, a eu vent de l'existence de ces immortels et qu'il compte bien découvrir le secret de leur longévité. L'artiste lui donne une apparence remarquable avec un corps musclé, sans être celui d'un culturiste, et des tatouages impressionnants. Il s'agit d'un individu habitué à obtenir ce qu'il exige, et prêt à montrer à ses employés qu'il ne plaisante pas lors de crises de rage meurtrières. À nouveau les dessins de Fernández montrent un individu habité par une obsession, perdant toute maîtrise de lui-même quand il commence à frapper un individu jusqu'à le massacrer de ses poings, une séquence visuellement convaincante jusqu'à en être éprouvante. Rucka intègre un autre fil narratif avec l'apparition d'une autre immortelle Nile Freeman. C'est à nouveau l'occasion pour le dessinateur de représenter un autre milieu (l'Afghanistan), d'autres personnages, ce qu'il fait de manière convaincante, sans tomber dans les clichés visuels, sans être ridicule en montrant un village afghan, en évitant la caricature du simplisme. Par contre, le lecteur se demande si le scénariste n'a pas choisi la facilité en prenant un soldat américain, et une mission de pacification dans un territoire associé à des terroristes. Indépendamment de cette possibilité, il apprécie que ce soldat soit une femme, et que l'immortel qui commande les autres soit également une femme pour une raison valide.


Au fil des épisodes, le lecteur en apprend plus sur Andy, Booker, Joe et Nicky, à commencer par leurs noms initiaux, à savoir respectivement Andronika, Sébastien Lelivre, Yusuf et Nicolo. Leandro Fernández sait évoquer chacune des époques dont ils sont issus ainsi que la région du globe correspondante, à nouveau par le biais d'éléments visuels iconiques, sans qu'ils ne soient réduits à une caricature. Il se montre aussi précis et pertinent pour une rue de Paris dans le quartier de Montmartre, que pour les uniformes militaires durant les guerres napoléoniennes. Rucka développe également l'impact que peut avoir une vie sans limite sur des êtres humains. L'un d'eux explique qu'au fur et à mesure des années qui passent l'esprit finit par effacer les détails, ne pouvant pas retenir l'intégralité de tous les événements passés, et de toutes les personnes rencontrées. Un autre explique la jalousie qui apparaît chez les proches qui vieillissent et qui meurent voyant un parent épargné par les ravages du temps. Un autre indique la lassitude qui s'installe, la diminution de choses nouvelles à découvrir. Ils sont d'accord également sur le constat de l'accélération du temps qui passe et l'impression que la planète est de plus en plus petite. Le lecteur peut y voir un effet de la mondialisation, mais aussi des réflexions d'un auteur ayant pris de l'âge et regardant l'existence d'un autre point de vue.


La dernière page du récit indique que les auteurs ont la ferme intention de donner une suite à ce premier chapitre. En particulier, le lecteur reste intrigué par le fonctionnement ou la nature de cette longévité. Il découvre en cours de récit qu'il ne s'agit pas d'une immortalité absolue et que plusieurs individus disposant de ce don sont déjà morts. Au fil des examens réalisés par le médecin employé par Steve Merrick, il apparaît que cette longévité ne trouve pas son explication dans une mutation génétique. Par ailleurs, le lecteur constate par lui-même que cette capacité à ne pas mourir s'accompagne de manifestations qui ne peuvent pas avoir d'explications rationnelles : la reconstitution très rapide des morceaux de corps arrachés ou pulvérisés, l'avertissement spirituel de l'existence d'un autre disposant de ce don, etc. Tout ceci mérite des explications.


A priori ce tome promet une histoire de plus mettant en scène des guerriers sans pitié et résistant aux blessures grâce à un pouvoir guérisseur bien pratique. Les dessins de Leandro Fernández apportent une consistance inattendue à ces affrontements brutaux et meurtriers, ainsi qu'aux différentes époques et différents lieux de la planète visités. Le scénario ne se contente pas d'une suite de combats, mais intègre une véritable intrigue, ainsi que la présentation des personnages, et des réflexions sur les phénomènes qui apparaissent au fil de la vie qui s'allonge. S'il fallait exprimer un regret, c'est que les auteurs auraient pu se montrer encore plus dérangeants en jouant sur le fait que ces immortels prennent le dessus des batailles en mourant à plusieurs reprises.

Presence
9
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le 14 mars 2020

Critique lue 162 fois

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