Ce tome fait suite à Baptism of fire (minisérie originelle en 3 épisodes, ayant bénéficié d'un nouveau montage). Il comprend les épisodes 1 à 6 de la série régulière (quasi mensuelle, toujours en cours de parution en 2014), initialement parus en 1993, écrits, dessinés et encrés par Erik Larsen, le créateur du personnage.


La situation à Chicago est toujours aussi catastrophique. La ville est aux mains de supercriminels se promenant en toute liberté dans les rues, et les forces de police conventionnelles ont bien du mal à faire face. Frank Darling a recruté Savage Dragon dans le premier tome et celui-ci est le seul officier capable de résister aux superpouvoirs et de taper plus fort que les ennemis. Dans ces épisodes, Frank Darling doit supporter les conséquences du chantage dont il est victime. Savage Dragon se bat contre The Shrew à la tronçonneuse. Il ne sait pas comment réagir à la proposition d'aide de sa collègue Alex Wilde. Il ne sait pas quoi répondre à madame Harris (la mère de Debbie, assassinée sous les yeux du Dragon). Il ne sait pas comment répondre poliment à Emily Schwartzblatt qui prétend être sa mère. Il doit repousser les avances d'Amanda Mills. Côté professionnel, il a l'impression que le lieutenant Darling l'envoie sur des missions d'une importance toute relative. Il se rend à New York où il fait équipe avec les Teenage Mutant Ninja Turtles . Il assiste à l'arrivée de plusieurs autres superhéros dans les forces de police de Chicago : Dart (Jill August), Ricochet & Barbaric, Horridus, Rapture (Sharona Jackson). 2 autres superhéros se joignent à la bataille : Mighty Man et Star.


En surface, ces épisodes ressemblent à une collection de clichés et de stéréotypes des comics de superhéros, dans tout ce qu'ils ont de plus ridicule et de plus débile. Cela va de l'apparence des personnages, aux bagarres à grands coups de poings, en passant par un nombre d'intrigues secondaires hors de contrôle. Les méchants pillent des banques et souhaitent devenir maître du monde (ou presque) ; les gentils les font rentrer dans le rang à grands coups de phalanges dans la tronche. Conformément aux conventions en vigueur dans ce genre très américain et surreprésenté dans les comics, les superhéros mâles disposent tous d'une musculature exagérée (même en s'aidant de stéroïdes), à commencer par le personnage principal. Savage Dragon (même s'il refuse de porter un costume moulant) dispose d'une largeur d'épaule impossible, de biceps plus gros que sa tête, de poings comme des marteau et d'une vitalité lui permettant de guérir de tout très vite. Il est une collection de clichés à lui tout seul. Les personnages féminins ressortent de la même approche : poitrine énorme, taille de guêpe, costume riquiqui. En tant que dessinateur, Larsen renforce encore ces stéréotypes en cadrant ses images sur les muscles des superhéros, et les fesses ou la poitrine des superhéroïnes (sans compter leur costume qui leur rentre dans les fesses).


En termes narratifs, Larsen embrasse pleinement tous les clichés possibles, avec des superhéros qui cognent sur leurs ennemis comme seule solution à tous les conflits, avec des personnages qui ont du mal à s'entendre, avec un clivage Bien / Mal sans aucune nuance, et avec une approche des relations interpersonnelles relevant d'une sitcom produite à la chaîne. Il succombe même dans ces épisodes à une Claremontite aigüe (adjectif dérivé de Chris Claremont) en multipliant les intrigues secondaires au-delà du raisonnable, sans espoir de résolution proche.


Oui, mais d'un autre côté, cette façon de se vautrer dans les conventions du genre (et de s'en repaître) interpelle le lecteur pour plusieurs raisons. La première est que la verve d'Erik Larsen lui permet de tout faire passer, du plus ridicule au plus référentiel. Dans la première catégorie, il y a le personnage appelé Doubleheader (jeu de mot sur les cinémas ou les tournées de rock où 2 films ou artistes se partagent la tête d'affiche) affublé d'un visage 2 fois plus haut que la normale, constitué de 2 visages superposés (de bas en haut : un menton, une bouche, un nez, des yeux, un front / menton, une autre bouche, un autre nez, et une autre paire d'yeux). Il s'agit d'une représentation totalement débile, sans aucune plausibilité même lointaine, même dans le cadre d'un comics de superhéros, mais il s'agit aussi d'un hommage rigolo aux comics d'horreur pour jeunes enfants des années 1930 ou 1940. Dans les références pointues, le lecteur attentif pourra déceler Peter Klaptin (visiblement une variation sur le nom d'Eric Clapton, amalgamé avec le prénom de Peter Parker), R. Richard Richards (nom dérivé de J. Jonah Jameson de la série Spider-Man). Les références ne sont pas que textuelles, à l'évidence Erik Larsen cite Steve Ditko dans les postures qu'il donne à Star, très similaires à celles de Spider-Man. Il cite également Jack Kirby dans sa manière de présenter la force des coups des personnages lors des affrontements physiques. Il cite aussi Frank Miller, à la fois dans certaines cases très contrastées noir / blanc, mais aussi dans plusieurs thématiques, allant du laxisme de la justice vis-à-vis des coupables, à la posture de Frank Darling ayant son maître chanteur au bout du fil (tel Ben Urich dans la même situation).


Toutefois, Erik Larsen ne se contente pas d'aligner les citations plus ou moins bien digérées. Il effectue un véritable travail de recomposition dans lequel il rend hommage de manière patente à ses pères spirituels, tout en transformant cet amalgame en quelque chose qui devient personnel. Il ne s'agit pas d'un simple patchwork, mais bien d'une création originale. Un bon exemple est celui de Mighty Man. D'apparence il évoque un croisement entre Superman et Captain Marvel (Billy Batson), toujours souriant et agréable à l'œil, une véritable publicité ambulante pour un dentifrice, une vie saine et l'accession au bonheur. Si son uniforme évoque une variation de celui de Captain Marvel, il n'en est pas moins original, Larsen étant un excellent concepteur visuel de personnages et de costumes de superhéros. Si son apparence évoque ces 2 grands superhéros fondateurs, le comportement de Mighty Man défie les poncifs qui leur sont liés, le rendant immédiatement spécifique.


Outre ces références aux fondateurs du genre superhéros Marvel (Kirby et Ditko), Erik Larsen ne fait pas semblant. S'il y a bien une forme d'hommage, la narration de Larsen ne verse pas dans la parodie. Pour lui, le comics de superhéros est un genre qui se respecte. Savage Dragon est un personnage bourrin qui frappe son ennemi de plus en plus fort, jusqu'à ce qu'il s'écroule, les combats doivent être à la hauteur, à la fois visuellement et dans leur déroulement. En ceci, Larsen se révèle être l'héritier spirituel de Kirby, il est hors de question de dépeindre un combat par-dessus la jambe, ça doit péter, il doit y avoir des destructions massives et des dégâts. Lorsqu'un coup est asséné, le lecteur doit en prendre plein les mirettes et ressentir l'onde de choc ou la douleur de l'opposant. Larsen s'emploie donc à concevoir des séquences brutales de combats, des pleines pages qui en jettent et même des doubles pages dans lesquels ça cogne fort. Le fait d'être son propre éditeur et de posséder les droits intellectuels sur son personnage lui permet d'en rajouter en termes de violence cathartique, jusqu'à Savage Dragon s'en prenant à The Shrew avec 2 tronçonneuses. Certes il y a une dimension parodique dans cet assaut, mais Larsen représente tout au premier degré, sans tomber dans le gore, en figurant les dégâts avec des giclées d'encre. Pour Larsen un combat physique, c'est du sérieux.


Cela n'empêche en rien plusieurs formes d'humour, allant des regards concupiscents des officiers de police vers Dart (en tant que superhéroïne, elle est affublé d'un costume riquiqui et elle explique que c'est intentionnel qu'il s'agit d'une forme de déconcentration de ses opposants), aux grimaces échangées par Dart et Dragon qui s'apprécient peu, en passant par des noms de personnages improbables Mike Litoris (à prononcer à haute voix rapidement).


Erik Larsen propose de nouvelles aventures de Savage Dragon, toujours aussi dérivatives sur le plan de l'intrigue et des dessins, mais toujours aussi personnelles. Il peuple le monde de Savage Dragon de dizaines de personnages improbables tous dotés d'un nom (même le supercriminel qui n'apparaît que le temps d'une case), baignant dans de multiples intrigues. C'est le seul point faible de ce tome que de multiplier les intrigues sans les résoudre. Savage Dragon continue de cogner dans The fallen (épisodes 7 à 11).

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le 24 avr. 2022

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