Et le drame s'opéra
Tom King est un superbe scénariste et ces dialogues claquent. Cette maxi-série dépasse clairement toutes les attentes et Vision se termine dans le plus grand des drames où la famille ne lutte plus...
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le 23 mai 2017
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Comics de Tom King et Gabriel Hernandez Walta (2016)
Ce tome fait suite à La Vision T01 (épisodes 1 à 6) qu'il faut impérativement avoir lu avant, puisque les 2 tomes forment une histoire complète et relativement indépendante, sous réserve d'être familier de l'histoire de Vision. Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2016, écrits par Tom King, dessinés et encrés par Gabriel Hernandez Walta, à l'exception de l'épisode 7 dessiné et encré par Michael Walsh. La mise en couleurs a été réalisée par Jordi Bellaire. Les couvertures toujours aussi délicieuses sont réalisées par Mike del Mundo.
Épisode 7 - Vision se souvient d'une nuit passée avec Wanda Maximoff dans leur lit marital. Il se souvient de sa déclaration d'amour à Wanda alors que les Avengers se battaient contre le conte Néfaria. Il se souvient du premier repas en famille avec Agatha Harkness, Simon Williams (Wonder Man), Robert Frank (Whizzer), Bova Ayrshire, et Pietro Maximoff (Quicksilver), et d'autres moments encore. Épisodes 8 à 12 - Au 616 Hickory Branch Lane, à Arlington en Virginie, tout est normal pour une maison comme une autre dans une banlieue dortoir. Vision joue à l'extérieur en lançant une balle à son chien. Vin (le fils) lit du Shakespeare à haute voix. Viv (la fille) se coiffe les cheveux. Victoria (la mère) joue du piano.
En cette belle journée d'hiver, avec un manteau de neige, la famille Vision accueille sous son toit Victor Mancha, le frère de Vision, le fils d'Ultron et de Marianella Mancha, membre de la première version des Runaways. Pour fêter cette rencontre, Victor insiste pour aller manger au restaurant avec la famille Vision. Il devient vite le confident des autres membres de la famille. Victoria lui explique ses difficultés à réussir à jouer correctement du piano. Vin lui parle de sa passion dévorante pour Shakespeare. Viv lui parle de son chagrin suite au décès de Chris Kinzky. Vision l'emmène voir une exposition de Pop Art au musée, en s'interrogeant sur le sens de tout ça. Mais les visions du futur d'Agatha Harkness demeurent, montrant Vision se livrant à des destructions de grande ampleur.
Le lecteur avait été intrigué par le premier tome, se demandant comment Vision avait pu construire les membres de sa famille, et montrant des robots dotés d'intelligence artificielle essayer de vivre une vie d'humains. Sachant qu'il s'agit d'une histoire complète en 2 tomes, le lecteur ne peut pas résister à la curiosité de savoir comment elle se termine. Il a le grand plaisir de retrouver les couvertures de Mike del Mundo, leur beauté plastique, leurs couleurs en nombre limité, entre aquarelle et peinture à l'huile (tirant partie des possibilités illimitées de l'infographie), leur humour jouant sur le décalage des Vision dans des situations quotidiennes de la vie de banlieue (le chien en train d'essayer d'attraper le bouclier de Captain America en plein vol, sur la pelouse devant le pavillon).
Tom King mène bel et bien son récit à son terme, reliant les différentes intrigues secondaires avec élégance. Même l'épisode 7 de rappels sur l'histoire personnelle de Vision, qui ne semble avoir été écrit que pour donner une respiration à Gabriel Hernandez Walta s'intègre parfaitement au reste prenant un sens inattendu à la fin du récit. Le scénariste en fait même peut-être un peu de trop avec les objets de décoration présentés en début du premier épisode (le vase d'eau volant de Zenn-la, un briquet de 1943 ayant appartenu à Captain America, une plante du Mont Wundagore) qui trouvent un usage bien commode au sein de l'intrigue. Le lecteur peut donc voir les artifices narratifs utilisés par Tom King pour ce qu'ils sont. Mais en même temps, le scénariste sait leur donner une place naturelle justifiée par le caractère des personnages. Par exemple, Vin continue de lire du Shakespeare, ce qui permet à l'auteur d'inclure des citations choisies parfaitement adaptées au récit, comme cette phrase extraite de Le marchand de Venise, qui donne son titre aux 2 recueils : When he is best he is a little worse than a man, and when he is worst he is little better than a beast. Mais ces lectures trouvent leur justification dans les questions que se pose Vin sur sa condition. C'est sa manière à lui d'apprendre à devenir l'équivalent d'un être humain. Ainsi sa lecture de Shakespeare ne se réduit pas à un dispositif pour se raccrocher à de la vraie littérature, mais émane aussi de la condition d'un personnage.
Tom King se montre très habile pour construire ce pont entre la condition robotique des membres de la famille Vision et la condition humaine. Le lecteur sourit encore un peu au concept de Vision s'installant dans un pavillon au sein d'une banlieue résidentielle. Mais il se prend d'affection pour ces 3 individus (le cas de Vision s'avérant plus complexe) faisant de leur mieux pour s'intégrer, pour acquérir des qualités humaines. Ils constituent finalement des modèles d'individus socialement inadaptés souhaitant progresser par une amélioration personnelle. Le lecteur éprouve de l'empathie pour eux, à la fois pour les efforts qu'ils font, à la fois pour leur statut de parias, de marginaux étrangers à l'humanité normale. Ce n'est pas un sentiment si éloigné que de ce que chacun d'entre nous peut ressentir en société. L'intelligence d'écriture de Tom King est encore un peu plus élevée que ça, car il ne gomme pas la nature technologique des androïdes. En particulier, il joue avec le fait qu'ils sauvegardent leurs expériences et leurs souvenirs sur des serveurs dont ils peuvent autoriser l'accès à d'autres membres de la famille. Il ne choisit donc pas la facilité en en faisant des décalques d'humains, juste avec un corps robotique, mais il intègre leurs fonctionnalités en termes d'intelligence artificielle.
Le scénariste intègre également dans sa narration la riche histoire personnelle de Vision, et donc plusieurs points de continuité. Il prend soin de les rappeler en cours de route mais il est évident qu'ils seront plus intelligibles à des lecteurs familiers de l'univers Marvel. Il s'agit donc d'un dispositif narratif à double tranchant, d'un côté montrant une forme de compétence de l'auteur à savoir utiliser à bon escient cette continuité, de l'autre propre à faire fuir les lecteurs voulant des récits autocontenus. L'arrivée de Victor Mancha met la puce à l'oreille. Ce personnage arrive donc d'une autre série ayant connu un succès certain, étant passé par une série en 12 épisodes (plus le numéro Inhuman) : Avengers A.I. (en VO) de Sam Humphries & Andre Araujo. Tom King l'intègre de manière organique apportant ainsi un regard neuf sur le personnage de Vision et sur sa famille. Le lecteur peut apprécier le récit sans rien connaître de ce personnage. Tom King sait mettre à profit l'histoire personnelle de Vision pour lui conférer plus de personnalité et plus d'épaisseur. Il y a également quelques clins d'œil à destination de lecteur plus familier de cet univers partagé, à commencer par l'affiche d'un film dans lequel joue Simon Williams (acteur professionnel) qui a comme sujet OMEGA L'INCONNU, plutôt version Jonathan Lethem & Farel Dalrymple, que version Steve Gerber. Mais le scénariste ne se complaît pas dans les références, il aborde des thèmes plus délicats comme ce qui fait l'essence d'un être humain, la difficulté de paraître en société malgré ses différences, la relativité de la loyauté au profit de l'intérêt général, la valeur de l'émotion qui supplante la raison.
L'épisode 7 est donc illustré par un artiste différent, Michael Walsh, ce qui se justifie d'un point de vue narratif puisqu'il s'agit de premier abord d'un épisode consacré à des souvenirs (King en donnant un autre point de vue déstabilisant par la suite). Les traits de contour présentent une apparence un peu plus lâche que ceux de Walta, mais la colorisation de Jordie Bellaire assure une continuité visuelle entre les deux. Cet épisode se focalise sur la relation entre Vision et Wanda Maximoff et Michael Walsh sait transcrire leurs émotions au travers des expressions de leur visage et de leur langage corporel. Le lecteur sent la distance qui sépare Vision et Wanda quand ils sont dans leur lit conjugal, tout en voyant qu'elle n'est pas de la même nature que celle qui sépare Vision et Victoria dans leur lit conjugal plusieurs années plus tard.
Le lecteur retrouve avec plaisir Gabriel Hernandez Walta, ne serait-ce parce que c'est le dessinateur attitré de la série qui lui a donné son identité visuelle, mais aussi parce qu'il a pris goût à la manière dont la mise en couleurs de Jordie Bellaire vient les compléter. Elle augmente discrètement le volume des surfaces, sans aller jusqu'à les sculpter. Elle apporte un côté tragique avec des touches un peu plus sombres, et des teintes plus foncées, soulignant la dimension dramatique du récit. Comme Tom King, l'artiste évite de dessiner Vision et sa famille comme des êtres humains. Il continue de mettre en avant la couleur artificielle de leur peau synthétique, ainsi que les jointures entre les plaques de leur bras ou de leur tête. Il les affuble de tenues vestimentaires ordinaires et sans chichi, choisies en fonction de leur occupation. Il leur donne des morphologies normales, d'individus avec une musculature normale. Walta dessine donc des personnages normaux, mais avec une apparence synthétique et la capacité de se rendre intangible.
Gabriel Hernandez Walta sait faire passer des émotions encore plus nuancées que Michael Walsh, à commencer par le mal être existentiel de Victoria, le plaisir de vivre de Vin, la mélancolie de Viv, et le désarroi de Vision découvrant des situations qu'il ne maîtrise pas. Le lecteur se rend compte qu'il apprécie de voir le chien de la famille aller chercher la baballe, ou les 2 époux papoter dans le salon. L'artiste a su donner une personnalité à l'aménagement intérieur de ce pavillon de banlieue, avec des meubles reconnaissables, disposés de manière utilitaire. Ainsi l'épisode 12 qui est dépourvu de toute scène d'action n'en est pas moins passionnant grâce à la mise en scène et la justesse du jeu des acteurs. Finalement l'apparence un peu banale des dessins de Walta sert bien le propos du récit et ses thèmes.
Cette deuxième partie du récit le conclut en bonne et due forme, d'une manière à la fois attendue (en particulier l'usage des 3 cadeaux présentés au début du premier épisode, et du fait de la prémonition d'Agatha Harkness) à la fois de manière inattendue (en particulier avec le regard porté par Victor Mancha sur cette famille qui sort de l'ordinaire). Gabriel Hernandez Walta réalise une narration visuelle simple et facilement lisible, avec une personnalité graphique discrète mais bien réelle, rehaussée par l'approche artistique de la mise en couleurs.
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Créée
le 17 févr. 2020
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