Ce tome fait suite à EAST OF WEST - Tome 3 (épisodes 11 à 15) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome car il s'agit d'un récit complet. Celui-ci regroupe le hors-série The World, ainsi que les épisodes 16 à 19, écrits par Jonathan Hickman, dessinés et encrés par Nick Dragotta, et mis en couleurs par Frank Martin, avec un lettrage de Rus Wooton.


The world : ouvrage de référence, atlas, encyclopédie, chronologie, apocrypha. Conquête se tient au milieu de la route devant Jad, un géant juché sur un tracteur gigantesque. Guerre tombe sur le dos de Jad le faisant chuter de son siège jusque sur le sol au pied de Conquête. Celui-ci lui fait avaler un Hinnom Edictor et en fait ainsi sa monture. Les deux pages suivantes présentent l'Union avec une carte situant son territoire, et une fiche listant sa capitale, sa langue, son type de gouvernement, sa présidente, sa date d'indépendance, sa superficie, sa population, son produit intérieur brut, sa monnaie, et des barres de capacité pour sa force militaire, sa force économique, sa stabilité politique, la pérennité de sa viabilité.


Dans le jargon, c'est ce qui s'appelle un sourcebook. Pour aider à vendre ce genre de numéro hors-série, les auteurs encadrent les fiches encyclopédiques avec 6 pages de bande dessinée avant, et cinq après. Le lecteur de la série se dit qu'il ne peut pas louper 11 pages mettant en scène 3 des cavaliers de l'apocalypse avec les pages toujours aussi spectaculaires du dessinateur de la série. Puis il plonge par curiosité dans la fiche de présentation des sept nations nord-américaines : l'Union des États-Unis d'Amérique, la Confédération des États d'Amérique, la République des États-Unis du Texas, la Nation sans Fin, le Royaume de la Nouvelle Orléans, Armistice le temple du Message, la République Populaire d'Amérique. D'un côté, il sait bien qu'il s'agit de la bible de la série, écrite par le scénariste pour ses propres besoins et mise en forme pour être vendable. D'un autre côté, il apprécie de voir ainsi expliciter ce qu'il était parvenu à ordonner à partir des informations éparses dans les épisodes qu'il a lus. Suit une chronologie sous forme graphique courant sur sept pages et mettant en parallèle les principaux événements survenus depuis la séparation des États-Unis en sept états indépendants en 1908, jusqu'en 2064 où l'Histoire fait à nouveau converger ces sept fils séparés. Ainsi intégré dans un tome de la série, cet ouvrage de références prend tout son sens, et le lecteur se rend compte qu'il le lit rapidement, appréciant de voir ainsi exposée la structure sous-jacente de la série.


En 2065, lors de l'an deux des temps de la fin, un unique vaisseau de la Nation sans Fin apparaît dans le ciel au-dessus de la République du Texas. Un ultimatum est prononcé : le gouverneur du Texas Bel Solomon doit payer pour son crime, le meurtre de sang-froid d'un chaman de la Nation sans Fin. La réponse ne se fait pas attendre : l'armée du Texas abat le vaisseau, et massacre tous les survivants. Deux jours plus tard, le ciel au-dessus du Texas est assombri par la flotte de vaisseaux de la Nation sans Fin. La guerre ouverte est déclenchée et le dernier assaut contre les rangers se déroule à Austin. La plupart meurt, et la République du Texas et conquise pour la première et la dernière fois. Les vaisseaux de la nation sans Fin descendent du ciel et s'empilent pour réaliser des totems gigantesques visibles partout depuis n'importe quel endroit de l'ancienne république. Le jour est venu de l'exécution par pendaison de Bel Solomon en public devant son peuple soumis. Alors qu'il a la corde au cou, attendant que le chaman de la Nation sans Fin déroule son discours, l'entité qui l'habite lui susurre à l'oreille : la Nation sans Fin va l'étrangler avec le nœud coulant, et son peuple sera remplacé par des automates de progrès. À l'insu de la populace, un étrange quadrupède revêtu d'une couverture sur le dos avance tout doucement parmi la foule, laissant derrière lui une petite sphère.


Dans ce genre de récit au long court, le lecteur peut craindre une baisse de rythme, le scénariste devant installer de nombreux éléments pour rendre compte de toutes les factions, leurs spécificités, leurs enjeux, de l'Histoire du monde qui a amené à cette situation, etc. L'épisode hors-série précédent établit, ou plutôt consolide tous ces éléments dans une forme semi-encyclopédique, en réalité aérée et très digeste, libérant ainsi le scénariste qui peut focaliser son récit sur la situation présente et la faire évoluer plus rapidement. De fait, le lecteur ne s'attend pas à ce que la question de la culpabilité du Texas soit réglée en trois pages, et que Bel Solomon soit confronté à son jugement dans les trois pages suivantes : ça ne traîne pas. Ces trois premières pages sont construites sur la structure de trois cases de la largeur de la page, presque des illustrations venant compléter un court texte de trois ou quatre phrases répartis dans un ou deux cartouches. Cela n'a rien d'expéditif : ça renforce le caractère inéluctable de l'attaque de la Nation sans Fin et ça pose sa supériorité de puissance de feu sans discussion possible. Le lecteur voit littéralement les machines prendre de plus en plus de place au fil des cases, aux dépens des êtres humains qui n'apparaissent même plus dans la dernière page. Le constat est clair.


L'immersion du lecteur se poursuit de plus en plus profonde. Il se rend compte que chaque élément de l'intrigue lui revient en mémoire en voyant un personnage. Il prend mieux la mesure du talent de l'artiste qui a su créer des personnages visuellement si mémorables au point de provoquer une remémoration des actions qui leur sont attachées, auxquelles ils ont participé. De séquence en séquence, le lecteur se souvient également de l'ampleur du récit : l'intervention du ranger Hurk, la présidente de l'Union Antonia LeVay en train de gérer les affaires courantes puis de recevoir sa cheffe de cabinet Doma Lux, Xiaolian recevant un plénipotentiaire de la Nation sans Fin, le cavalier Death venant rendre compte de l'évasion de Babylon à sa mère, le nouveau président de la Confédération recevant sa nouvelle cheffe de cabinet, puis écoutant l'entité surnaturelle qui lui prodigue des conseils, John Freeman VIII humiliant à nouveau son frère, et bien sûr Babylon continuant de découvrir le monde de la surface, en compagnie de son guide Ballon. La narration visuelle apparaît comme une évidence à chaque séquence, que ce soit pour la cohérence visuelle de l'apparence des personnages, et leurs postures spécifiques, ou les environnements dans lesquels ils se trouvent. En y repensant, le lecteur prend mieux la mesure du nombre élevé d'éléments visuels que crée et que gère l'artiste. Il remarque également que le scénariste fait en sorte que les scènes de dialogue ne soient pas statiques : les personnages étant occupés à une activité ou une autre, ce que montre le dessinateur, de manière organique. Ainsi les discussions ne se réduisent pas à une suite de cases avec uniquement des têtes qui parlent.


Les épisodes 18 & 19 sont consacrés au premier pas de Babylon dans le monde de la surface. Le lecteur avait bien compris que son guide ne joue pas franc jeu avec son protégé et là il peut mesurer l'importance de la manipulation. Cela culmine dans une scène de massacre de deux pages, absolument terrifiante et immonde, dépourvue de mots. Le dessinateur fait preuve d'une maestria brutale. Il ne montre aucune blessure, aucune plaie béante, aucune mutilation. Sur 22 cases, la moitié ne sont constituées que de taches noires et de traits noirs sur fond rouge, et pourtant leur lecture est éprouvante, terrifiante, ignoble de bout en bout, un grand moment de bande dessinée. Avec ces deux épisodes, le lecteur peut à nouveau prendre conscience de la maîtrise narrative incroyable de Nick Dragotta, entièrement au service de l'histoire, jamais démonstrative, rendant chaque séquence évidente et organique, aussi fantastique puisse-t-elle être. Le lecteur suit ce garçon qui se comporte comme un enfant avec des gestes et des postures d'enfant, faisant preuve de capacités de combat très développées grâce à l'entraînement reçu dans le silo, et grâce à l'enseignement de Ballon. Il passe à quelques reprises en vue subjective, ce qui lui fait se mettre à la place de l'enfant. Il découvre son environnement par ses yeux, et par ceux de Ballon. La complémentarité entre texte et dessins est extraordinaire, comme si ces pages avaient été réalisées par un unique créateur. Le lecteur voit les actions de Babylon, et dans le même temps il assimile ce que cela signifie dans la trame plus globale du récit, l'importance de ce personnage, la manière dont il est manipulé, dans une narration intégrant ces deux niveaux d'informations. Du grand art.


A priori, le numéro hors-série ne donne pas trop envie : un lecteur qui achète une bande dessinée souhaite lire un récit en images, et pas des pages de texte même très aérées, même avec des illustrations. Faisant l'effort d'essayer la première entrée pour voir de quoi il en retourne, il se rend compte que ces pages se lisent très vite, que les informations viennent consolider ce qu'il a déjà pu apprendre, et que la forme de la chronologie est originale et ludique, très intrigante. En passant aux épisodes réguliers, il voit en quoi ce numéro hors-série participe à une narration plus rythmée. Il replonge avec grand plaisir dans ces intrigues imbriquées menant à une guerre inéluctable, avec une narration visuelle aussi immédiate d'accès que sophistiquée. Il éprouve la satisfaction de constater que ladite guerre ne va pas démarrer dans une dizaine ou une vingtaine de numéros, mais qu'elle commence tout de suite. Vite la suite.

Presence
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le 26 mars 2022

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