Violence, pollution et cinéma

Achille affirme sa participation au journal "Polite", non sans prises de bec avec l'explosif Goscinny, grand maître ès-refus de tout projet (sa devise, collée sur son bureau, n'est-elle pas "Non !" ?). Les entreprises pédagogiques de Talon sur les techniques de la BD ne sont pas dépourvues d'enseignements réels (gag 270). Le sommet de sa démarche n'est-il pas cette réunion de famille d'une multitude de héros de bandes dessinées (gag 279), que le lecteur peut s'amuser à identifier - y a du boulot quand même !) ?

Les démêlés avec Lefuneste, outre qu'ils semblent irrémédiables et soumis à une pesante fatalité, paraissent émaner de nécessités carrément physiologiques chez Achille : impossible de bien dormir tant qu'il n'a pas tabassé son voisin (gag 244). Dix ans plus tard, on aurait fait allusion à la responsabilité d'un gène talonien anti-lefunestique...

Talon a pourtant une conscience morale, et ses conflits incessants avec Lefuneste lui pèsent (gag 243), mais c'est plus fort que lui : toutes les tentatives de réconciliation se soldent par des horions ! Cette fatalité, qui constitue en soi un élément tragique (le héros s'opposant à la volonté d'instances supérieures plus fortes que lui), soutient et perpétue l'intérêt.

Greg s'essaie parfois au gag en deux pages muet : le gag 304 se réfère à la mode des chevelures masculines abondantes des années 1970-1980. Ce souci de l'apparence extérieure de Talon s'étend occasionnellement à son obésité (gag 248), souci parfois mis à mal par une publicité alimentaire obsédante... Mais on retrouve le goût de Talon pour les belles manières aristocratiques (gag 318).

Intéressante critique sociale de l'intérêt commun pour les tabloïds racoleurs et débiles. Gag sur l'inquiétude devant la violence montante à la télévision (301). Surtout, le délectable gag 307 qui ridiculise l'appétence des intellos de la critique cinématographique de l'époque, troublant à force de refléter le langage réellement parlé à l'époque. Je jouis quand on se fout des "Cahiers du Cinéma" et des arrogances esthétisantes dégoulinantes d'idéologie des plumitifs cinématographiques de ces années.

Plus concret, hélas plus proche de nous : l'éveil de la conscience écologique : pollution atmosphérique urbaine (gag 299 - mais allez demander aux Pékinois d'aujourd'hui si c'est vraiment un gag...). Pollution causée par les campagnes électorales (gag 267).

Greg met ironiquement en scène son propre quotidien dans un gag en deux planches; on appréciera la capacité du Maître à l'auto-dérision. Quant au carré blanc (gag 276), il faut maintenant mettre une note en bas de page pour que le lecteur d'aujourd'hui en saisisse la symbolique (gag 276).

Riche, drôle, et (c'est inattendu), instructif, au moins pour sa valeur historique.