Greg ne devrait pas faire dans le publicitaire. Pire, dans le publicitaire pédagogique, celui qui veut te démontrer par A+B que tu as absolument besoin de ses produits. Et ici, le commanditaire de Greg, c’est le Crédit Lyonnais. Crédit Lyonnais qui, par la suite, a jugé bon de défranciser son nom et de le mondialiser en se rebaptisant LCL, parallèlement à sa mutation de bonne vieille banque familiale de dépôts, paternaliste et sympa, en requin cynique de la finance, desséchant et déshumanisant tout ce qu’il manipule.

Donc, il y a, dans cet épisode un mec beau, avec brushing velouté et l’expression de contentement suffisant dont Greg gratifie « ceux qui savent » et qui détiennent le dernier mot de l’histoire. C’est le banquier. Ben oui. Déjà, ça pue un peu. Le beau banquier arrive (planche 37) en sous-marin frappé des mentions « 007 » et « C.L. ». Quel programme !

Heureusement qu’il y a Achille Talon et Lefuneste, qui se houspillent régulièrement, ça nous détourne un peu du discours. Au fait, quel discours ? Eh bien, un exposé d’économie de base tendant à te prouver que, dès qu’on est en société, on est forcé de pratiquer la banque, et qu’on ne peut pas se passer de banquier. Bon, le LCL est content ? Ca lui va ?

Alors, entre aventure exotique et parabole utopique, le lecteur suit Lefuneste et Achille dans l’Archipel de Sanzunron le bien nommé, puisque les habitants se font forts de vivre sans la moindre monnaie, en pratiquant un troc intégral. Le côté utopiste correspond aux vœux de Lefuneste, et d’une mouvance baba cool-gaucho-écolo-primitiviste, éprise d’un retour à la nature aussi poussé que possible.

Lefuneste joue le naïf-gaucho-écolo, intégralement hostile à toute monnaie, et s’imaginant trouver le paradis des relations commerciales dans l’Archipel. Il est accompagné par Achille, prétendument par curiosité un peu sceptique, mais au fond mandaté pour montrer que même les opérations de troc exigent des règles complexes d’évaluation et de régulation, dont le beau banquier souriant est la cheville ouvrière indispensable. Coupez, elle est bonne.

Là où c’est chiant, c’est la lourdeur de l’exposé pédagogique pro-banque. Tous les procédés y passent : les conseils du banquier à Achille avant son départ, le rêve préhistorique qu’Achille fait la veille du départ, les échanges sur l’île de Trokhatouva, les aléas des échanges (vols, escroqueries, spéculation, péremption des biens périssables, dévaluations monétaires…). Seul le réalisme des biens et services échangés captive un peu, non sans que Greg exagère certaines situations afin de pourvoir à son minimum syndical de comique.

La conversion de Lefuneste aux principes de la banque vaut – au moins – celle de Saint Paul sur le chemin de Damas (planches 44 à 46).

Pour le reste, la pesanteur des démonstrations économiques est mal compensée par quelques grammes de l’humour accoutumé de Greg. La suffisance talonienne de son côté "Monsieur Je-sais-tout" est amusante quand elle s'affronte à Lefuneste, Mais là, à travers Lefuneste, c'est le lecteur qui est visé, pour servir de cible à une opération commerciale. Et, dans ce cadre, les certitudes tranquilles et réjouies d'Achille sont nettement moins supportables que d'habitude.

Achille Talon n’étant pas connu comme activateur du transit intestinal du lecteur, je suggère de zapper prudemment ce dérapage au service du grand capital.
khorsabad
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le 15 déc. 2013

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