Adieu Eri
7.8
Adieu Eri

Manga de Tatsuki Fujimoto (2022)

Adieu Eri, meilleur manga 2023. Voilà pour l'époque, voilà pour le fondement de mon dépit dans ces lignes qui vous parviennent.


Si cela n’a jamais été assez clair pour les lecteurs assidus de Fujimoto – dont je suis et ce, à la seule fin de prendre périodiquement le pouls de la scène manga – cet auteur-ci se sera manifestement jeté à corps perdu dans le manga à défaut d’avoir jamais pu faire du cinéma. Il y a une chose qu’on ne lui ôtera pas à cet homme-ci, c’est de parfois innover en matière de scénographie. Du moins, sur papier. Car dessus, il y déporte très fréquemment ce qu’il a assimilé sur pellicule, nous rapportant des plans cinématographiques parfois bien léchés dans ses histoires. L’exemple le plus parlant s’étant alors concrétisé le temps de Fire Punch, un manga dont la radiance fut illusoire d’ici à ce qu’on n’aperçut plus qu’une misérable flammèche.


Ses histoires, Fujimoto sait les narrer ; la structure du scénario est solide, on peut rebondir contre les murs sans que l’édifice s’effondre. Il a ce mérite-ci, je le confirme. Rien qui ne lui vaut l'aura d’artiste qualifié que chacun lui prête cependant. Cela, en ce sens où l’on se trouve davantage intrigué périodiquement de ses éclats de plume que franchement ébahi par ces derniers.


Cet attachement de l’auteur pour le cinéma est ici plus criant que jamais alors que l’on suit la décrépitude d’Eri du point de vue du caméscope qui la filmera en continu le temps que sa maladie ne l’achève. Il s’en trouvera pour employer l’adjectif « intimiste » afin de l’accoler à pareille œuvre. Plus prosaïque en ce qui me concerne, conscient d’avoir affaire à un tire-larme lorsqu’on m’en présente un, j’aurais – dans toute ma malveillance – une inclinaison plus prononcée pour le terme « racoleur ». Bien mis en scène néanmoins ; racoleur tout de même.


Lorsqu’il diffuse ledit film – avec des ajouts scénographiques grossiers pour le compléter – ses camarades se moquent de lui. Ah ces Japonais, je ne les ai jamais rencontrés, mais si je me fie à certains artifices scénaristiques dont me comblent certains mangas, j’en déduis qu’ils ont un peuple cruel pour la finalité de l’être. À moins que Fujimoto force le trait d’une encre trop noire pour qu’on y aperçoive ne serait qu’une nuance de subtilité. Ce n’est, bien entendu, qu’une hypothèse parmi d’autres.


Personne ne réagirait comme l’ont fait ses camarades et professeurs après la diffusion d’un film pareil. La plupart des gens éprouveraient plutôt une forme d’empathie gênée pour un film qui se voudrait tendre et maladroit quant aux ajouts qui y ont été greffés. Tous savaient que ce court-métrage racontait les derniers instants de la vie d’une femme ; la mère de celui-là même qui fut réalisateur de l’ouvrage.


Fidèle à son écriture, chacun de ses personnages me donnent envie de les tarter. Ça n’est pas nécessairement un reproche dès lors où cela suppose que ceux-ci suggèrent chez moi une réaction. Il y a de la consistance dans ses protagonistes, mais une consistance molle, adipeuse, qui remue comme un bourrelet qu’on agite. On retrouve sans arrêt, que ce soit dans Fire Punch ou Chainsaw Man, ces archétypes de jeunes vaguement asociaux et désœuvrés pour lesquels ont serait tenu de se piquer d’affection pour ce qu’ils ont de supposément atypiques.

Moi ? J’ai juste envie de les tarter. Chaque réplique de merdeux – car ce ne sera jamais que ça – intime instinctivement à gifler qui l’énonce.


« T’es bizarre, je suis bizarre, soyons bizarres ensemble, t’vois ? » est le propos le plus éloquent à même de synthétiser Adieu Eri. Yuta rencontre Eisur un toit, elle est vachement spéciale t’vois (le « t’vois » est important pour commenter toute production signée Fujimoto), elle a la cool attitude, mais version solitaire, t’vois.

Oui, je vois. Je vois que Fujimoto nous recycle ses archétypes en sachant les remodeler ce qu’il faut pour tenter de faire illusion, je vois que son amour du cinéma lui déborde de la plume, et je vois surtout qu’il est remarquablement doué pour enrhumer du crétin.


Sa mise en scène, d’abord originale, se banalise bien assez tôt pour devenir poussive. Qui veut voir un paneling à même de lui retourner le cerveau se jettera plus volontiers sur Phénix ou Ultra Heaven dont les idées étaient autrement mieux inspirées. Tezuka et Koike, en ce qui les concerne, ne couraient pas après le cinéma, ils instauraient les tendances. Celles-ci trop ambitieuses pour être suivies par d'autres. Fujimoto, quant à lui, n’est pas un créateur, mais un suiveur suffisamment malin pour se réapproprier ses emprunts. Des plans fixes sur des visages sur plusieurs pages d’affilée, ça n’est pas avant-gardiste ou révolutionnaire – d’autant que Tezuka l’a fait en lieux du temps d’Ayako – à terme, c’en devient lourd.


Bien sûr, ce manga où le cadrage de chaque case est filmé depuis une caméra traitera… de cinéma. Le vase clos n’en sera ainsi que mieux enclavé. Eri et Yuta regardent des films, ils en discutent.

Le cinéma d’art et essai contemporain est déjà suffisamment chiant sans qu’il ne soit besoin d’étendre ses horizons sur les planches de pages restées vierges de contenu même après qu’on y déverse de l’encre. Adieu Eri déborde d’inanité, ça vous colle aux doigts chaque fois que vous tournez une page. Les airs pompeux et prétentieux du procédé narratif, dont le caractère innovant ne dure qu’un court temps, ne contribue que mieux à rendre l’œuvre antipathique à un lecteur dont l’esprit n’est pas ouvert au premier déchet venu s’y jeter.


Oh oui. Au fait. Eri a une maladie incurable aussi, comme la mère de Yuta. Le titre du manga, dans son infinie subtilité, nous met déjà sur la voie avant même d’ouvrir ce titre d’un tome seulement – et Dieu merci.


Ce manga est l’équivalent de La Fille de la Plage dans le registre Fujimoto. Le cadre faussement intimiste typique de ces courts et long métrages pompeux où rien ne se passe pour faire plus profond, les protagonistes lourds comme du gravier et le fait qu’il soit question de caca à un moment donné, on est en plein dedans.


Plusieurs pages entières de cases noires : ça c’est profond.


Louanges doivent cependant lui être adressées pour le dénouement qui remet tout ce qui le précéda en perspective. Le premier des deux dénouements, du moins.

Fujimoto, au terme de ce qu’on croyait être un ramassis d’errances prévisibles et consensuelles, a su perdre son lecteur précisément en faisant usage du procédé narratif qui est le sien, à savoir la tromperie du montage. Tout ce qu’on croyait voir et comprendre n’avait été l’effet que d’une mystification permise par le fait que les passages essentiels ont été coupé. Le lecteur se retrouvait ainsi privé des vraies scènes, fourvoyé délibérément par l’auteur et son protagoniste principal d’ici à ce que certains extraits dévoilent ce qu’il en était vraiment.


C’était très bon. Excellent même. Une résolution qui, par la seule force de son concept, m’amène à reconsidérer toute l’œuvre que j’ai pu vomir dans les paragraphes précédant mérite qu’on lui accorde du crédit, et un qui se chiffre en millions au moins. Escale à Yokohama m’avait alors fait le même effet. Je vous ai déjà dégoûté de la lecture ? Alors, par un édit, moi aussi, je vous enjoins à ne pas tenir compte de ce que j’ai écrit précédemment pour vous donner corps et à âme à une œuvre qui à tant à offrir en retour et en si peu de temps seulement.


Néanmoins, le dramatisme supplémentaire – à savoir l’accident de voiture – rajoute une couche de gras sur ce qui était déjà flasque. Toujours s’en référer à la saine maxime de Talleyrand : « Ce qui est excessif est insignifiant ». S’être arrêté avant le Flash Forward eut été préférable, même si le dénouement, délibérément ambiguë, a ses traits de noblesse. Ce manga-ci, il aurait peut-être fallu le découper et le monter autrement pour qu’il fut vraiment appréciable. Il m’a en tout cas surpris, et très agréablement. D’autant plus agréablement que je n’attendais rien de Fujimoto ou si ; que j’en attendais le pire.


Je lui souhaite en tout cas que Adieu Eri soit un jour adapté en film ; car c’était clairement à ce support que l’histoire se destinait. Gageons qu’un réalisateur avec un peu de suite dans les idées saura lui faire honneur, possiblement en conviant Fujimoto comme assistant sinon même en chef de projet.

Josselin-B
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le 11 oct. 2024

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Josselin Bigaut

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