Dans sa clarté, le récit se ressent de l’éparpillement des révoltes et du pullulement des champs de batailles, qui correspond au début de l’insurrection générale gauloise, la plus connue, celle qui est dirigée par Vercingétorix l’Arverne. La matière historique est essentiellement tirée des 30 premiers chapitres du livre VII de « La Guerre des Gaules », de César. Disons que les Gaulois commencent par massacrer les Romains dans la ville de Cenabum (Orléans), et que cet acte de guerre, par ricochets successifs, amène un grand nombre de tribus gauloises à rejoindre l’insurrection sous la direction de Vercingétorix.
La complexité de l’intrigue militaire conduit les auteurs à nous servir des exposés documentaires, souvent appuyés sur des cartes (planches 5, 10, 14, 41), mais quelque peu fastidieux. Pour apporter des informations, Rocca se fend même d’un texte en grec (planche 24), supposé donner des nouvelles. Bon, pas sûr que ce soit du grec ancien (« minima » pour « message » est bizarre, de même que « dief pindi » pour « chef »), mais il y a un bel effort.
Dans ce chaos où l’on a peine à identifier amis ou ennemis (ce qui cause parfois des confusions fâcheuses), Ambre et son « grand frère ambact » Cloduar (dont la chasteté est ébouriffante, planche 16) courent d’une bataille à une escarmouche, d’un siège à une embuscade, transpercent quelques Romains au passage, mais ne peuvent visiblement s’opposer à la puissance des légions romaines. Et surtout du génie militaire de leur chef, qui n’a jamais été aussi évident. A partir de situations stratégiques difficiles, voire critiques, César, par ses calculs, son anticipation des mouvements et des projets de l’ennemi, son excellente évaluation des rapports de force et du terrain, par sa volonté implacable de type napoléonien, épuisant ses légions par des marches forcées dans la neige, qui surprennent toujours l’ennemi, triomphe toujours dans les situations les plus périlleuses. Et pourtant, cette série ne présente pas César sous un jour favorable, il n’y a qu’à voir la tête qu’on lui dessine, et le cynisme insensible dont les auteurs le gratifient systématiquement.
Que les héros ne puissent pas réécrire l’Histoire, voilà qui doit se justifier. Ambre et Cloduar sont du côté de ceux qui vont perdre, et ce n’est pas faute de leur part de se démener et de risquer leur peau. Donc, il faut que les auteurs attribuent la responsabilité de l’insuccès final à quelqu’un d’autre. Et c’est « Celtill, le Vercingétorix », qui est en ligne de mire ; l’adolescent fougueux et indigné des débuts s’est transformé en un bellâtre vaniteux et suffisant, trop sûr de son pouvoir de séduction, mou et incertain dans la décision et dans l’action, incompétent en matière de stratégie, et qui préfère se vautrer dans un lit avec Adua, une furie sexy de type un peu asiatique, dont le nom figure dans le titre de l’album, qui est jalouse comme un pou dès qu’Ambre s’approche de son blond moustachu, et qui est comparée à une louve.
Confusion un peu embarrassante : Rocca, dès le titre, nous annonce une « louve » sous le nom d’Adua, mais la première « louve » dont il est question dans l’album est la louve romaine (planches 34, 38). Dès lors, le lecteur pense que, dès qu’on parle de louve, il est question des Romains, et il ne comprend pas le rapport avec « Adua », qui figure dans le titre, et dont la ressemblance avec une louve n’est proposée qu’au moyen d’une métaphore bien forcée... en planche 46 !!!
Milon est peut-être le personnage le plus difficile à gérer ; avec son va-et-vient continuel entre le camp des Romains et celui des Gaulois, il est souvent tenu pour traître par les deux partis, et sa propre logique répond surtout aux nécessités du scénario, qui prépare le finale de la série. (Planche 22).
Tout le long de l’album, la récurrence de l’énigmatique « Critovax », donné mort par tous (y compris par le lecteur), mais constamment invisible, fait monter la tension : à coup sûr, le scénariste nous prépare un coup de Jarnac quelque part !
Mitton sait décidément bien restituer les atmosphères, au-delà des détails archéologiques restitués de manière convaincante. La représentation de la Via Appia (planche 2), à l’occasion de l’assassinat du voyou Clodius, est quasiment féérique dans sa perfection latine. Son portrait de Cicéron sexagénaire (planche 7) est autrement plus convaincant que celui de César. Ce dernier, au pire de ses aventures militaires, pense à Ambre avec une insistance hors de toute vraisemblance (planche 8). Très intéressantes représentations de l’oppidum d’Avaricum (planches 35, 41).
Comme dans un mouvement de balancier, les évènements réels balaient ici toute possibilité pour les héros de fiction de changer le cours des choses, gravé dans les « Commentaires » de César.