Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2020, écrits par Matt Fraction, dessinés et mis en couleurs par Terry Dodson, et encrés par Rachel Dodson. Il contient les couvertures originales, ainsi qu'un commentaire de 13 pages, rédigé par le scénariste et richement illustré par l'artiste, sur la genèse de ce projet, ses personnages, ses inspirations.
Il y a plusieurs années de cela, un policier en uniforme entre en trombe dans le bureau du commissaire, en lui disant que le maire exige qu'il fasse donner les avions de la police. le commissaire hausse les épaules car il ne dispose pas de ce genre de force. le policier l'amène à regarder par la fenêtre : des petits zeppelins sont en train de tirer des rayons sur les immeubles, détruisant des façades et des étages. le commissaire sait qu'il ne lui reste qu'une seule chose à faire : il prend une clef, ouvre un coffret, et décroche un combiné portant un symbole. Une voix lui répond et il indique que la ville a besoin de son correspondant. Adventureman répond qu'il arrive. Il s'adresse à son équipe et leur distribue à chacun une petite dose d'un liquide contenu dans une éprouvette bouchée, du super-sérum. Il s'agit de Jim Royale (Gentleman), Chagall (pharmacologiste), Akaal, Saly Sweet (aviatrice), Lonnie Langlois (bagarreur), Phaedra Phantom (sainte fantomatique du burlesque). Adventureman leur indique que l'heure est grave : c'est une attaque de grande envergure du Baron Bizarre, et en plus la clepsydre de l'apocalypse approche de minuit. Elle sert à mesure l'augmentation du malheur humain. À New York, les forces de Baron Bizarre se déchaînent avec à leur tête Baronne Bizarre, Automaterror, Slugger Dunphee, Metamage, Hellcat Maggie. L'équipe d'Adventureman arrive sur place et le combat s'engage. L'affrontement est rude et son issue ne fait pas grand doute.
Des années plus tard, Claire Connell finit de lire le dernier chapitre de cette aventure à son fils Tommy. Ce dernier a du mal à croire que les aventures de son héros préféré puissent se terminer ainsi. Sa mère lui répond que c'est la fin des aventures d'Adventureman, mais pas des leurs, et elle lui souhaite une bonne nuit en éteignant la lumière et en refermant la porte. Elle passe au salon, ouvre la fenêtre et le bruit de la rue emplit la pièce. Elle enlève ses appareils auditifs et apprécie le silence qui s'en suit. Elle n'entend même plus son chat miauler. Elle peut ainsi se plonger dans la lecture, en toute tranquillité. le vendredi soir suivant, elle et son fils se rendent dans la grande maison de son père où il reçoit ses sept filles toutes adultes : Rita, Regina, Ursula, Elvie, Serafina, Bitsy et Claire, sans oublier Tommy, et le père de ces dames. La règle de vie est que chacun s'écoute, et que chaque vendredi l'une d'entre elles évoque sa journée et ce qu'elle a eu d'extraordinaire. Il en est ainsi depuis le décès de leur mère. Ce soir-là, comme souvent, Claire a éteint ses appareils auditifs pour profiter du calme, tout en voyant tout ce petit monde s'agiter. Mais son père s'en est aperçu, et c'est à Claire de raconter sa journée. Son fils Tommy essaye de la tirer d'affaire en indiquant qu'il lui rapporte toutes les discussions, une fois la soirée terminée, mais ça ne suffit pas à la tirer d'affaire. Or sa journée écoulée…
Dès sa prise en main, le lecteur est impressionné par l'objet : une très belle couverture solide, un grand format franco-belge, un soin visible apporté à la présentation (confirmé par la participation d'un designer de l'ouvrage), des dessins léchés, une mise en couleurs douce, des cases joliss et tout public, une belle densité d'information visuelle, du bel ouvrage. Il note également le titre générique au possible, évoquant un homme aventurier, sans effort de chercher une dénomination plus personnelle, et la mise en avant d'une belle femme. Il y a là une mise en avant des conventions du roman et de la bande dessinée d'aventure, avec un premier degré voulu et assumé. La séquence d'ouverture confirme toutes ces impressions. Les dessins sont vraiment très agréables à l'oeil : trait d'encrage fin et élégant pour le détourage des formes, mise en oeuvre d'aplats de noir consistants aux contour fluide, degré de détails élevé dans chaque case pour les personnages, et très régulièrement pour les décors, plans de prise de vue accompagnant et restituant les mouvements et l'énergie des combats. le lecteur mesure toute la qualité de la préparation et de la conception visuelle, en remarquant que les phylactères de Phaedra sont un peu translucides pour refléter le fait qu'il s'agit d'une fantôme. Il est donc prêt à suivre cet aventurier et son équipe dans une suite de péripéties hautes en couleurs, avec de vrais héros comme on n'en fait plus. Mais…
En fait le récit se situe à une époque plus contemporaine, même s'il ne semble pas y avoir de téléphones portables. le héros n'est pas cet aventurier archétypal, mais une femme ayant un enfant, participant à un dîner de famille tous les vendredis soir, et libraire de profession. Les dessins restent dans le même registre, si élégant et exquis. le lecteur ne peut pas s'empêcher de se sentir ragaillardi par l'entrain de Tommy, un enfant. Il tombe sous le charme de la gentillesse et de la simplicité de Claire qui vit très bien avec son infirmité, ce qui se voit dans les expressions de son visage, dans son langage corporel. Il se sent un invité privilégié à la table des Connell, il peut s'assoir aux côtés de Claire et Tommy. Il a droit à une présentation de chacune des six soeurs, toutes bien faites de leur personne, sans être des bombes ou des bimbos, chacune avec leur allure et leur tenue vestimentaire reflétant sa personnalité. Les décors sont vraiment soignés, permettant au lecteur de s'y projeter, car il voit comment les personnages interagissent avec, se déplacent en fonction des obstacles, des volumes. Les cases restent d'une lisibilité épatante, grâce à l'encrage très étudié de Rachel Dodson, maniant avec une rare intelligence l'épaisseur de chaque trait, pour ne perdre aucun détail, sans surcharger la case. La mise en couleurs semble 100% naturaliste, alors que l'artiste en joue pour installer une ambiance avec une couleur principale déclinée en nuances, ou pour augmenter le contraste entre deux éléments visuels pour qu'ils ressortent mieux l'un par rapport à l'autre, pour augmenter l'effet de perspective et de profondeur.
Donc Adventureman a vraisemblablement fait partie de la famille Connell, même si le lien exact reste à expliciter. Claire Connell se retrouve elle-même entraînée dans l'aventure par un dispositif un peu artificiel, mais complètement cohérent avec le récit. En plus, elle peut se servir des informations contenues dans les romans racontant les aventures d'Adventureman pour se sortir de certaines situations, par exemple actionner l'ascenseur du quartier général du héros qu'elle seule peut voir au milieu de Manhattan. Ah oui, parce que : en fait Adventureman est le héros de romans d'aventure de type Pulp, et ils ont été adaptés en Serial, des films ou des téléfilms feuilletonnants. Claire a pris l'habitude d'en lire un chapitre à son fils le soir avant qu'il ne s'endorme et ils regardent régulièrement un de ces films. Or, voilà, un jour, une mystérieuse cliente entre dans la libraire et remet un ouvrage portant le logo d'Adventureman à Claire, une édition qu'elle ne connaît pas. Elle s'en retrouve progressivement transformée, à commencer par son physique… parce que c'est une bande dessinée de Terry Dodson et qu'il aime représenter de jolies femmes.
Dans la postface, Matt Fraction explique qu'il souhaitait depuis longtemps collaborer à nouveau avec Terry & Rachel Dodson après avoir réalisé ensemble des épisodes des X-Men, donc lui donner à dessiner ce qu'il aime bien représenter. Il ajoute qu'il voulait se réapproprier l'esprit des aventures des romans Pulp, mais en en éliminant les éléments culturels datés comme le colonialisme, et souvent une fibre raciste sous-jacente. Il était important pour lui que le personnage principal soit une femme et qu'elle appartienne à une famille nombreuse. Il livre une autre clé de compréhension ou d'interprétation en évoquant un livre : Doc Savage: His Apocalyptic Life (1973) de Philip José Farmer (1918-2009). Cet ouvrage est associé à un principe baptisé Wold Newton, du nom d'un village dans le Yorkshire près duquel s'est écrasé une météorite le 13 décembre 1795. Ce principe postule que les personnages littéraires sont des versions fictives d'individus ayant réellement existé et que les événements fantastiques ou improbables sont des exagérations imaginées par les romanciers. Avec ce principe en tête, les aventures de Claire Connell prennent à la fois une dimension de métacommentaire sur la littérature d'aventure, à la fois conservent le plaisir d'une lecture premier degré, avec la magnifique narration visuelle des époux Dodson.
Le lecteur aborde cet ouvrage avec à la fois une forte envie pour un bel objet, de belles pages, et la promesse d'aventures hautes en couleurs, et à la fois l'inquiétude que l'association d'un tel trio de créateurs ne fassent Pschitt ! Ses doutes s'envolent immédiatement avec le plaisir des yeux, les personnages sympathiques, les bons contre les méchants, le décor rétro-futuriste, et l'entrain de la narration visuelle. Il apprécie de pouvoir lire cette aventure au premier degré du début jusqu'à la fin, avec des personnages positifs, des aventures spectaculaires, rendant hommage aux héros d'antan, mais sans être passéistes. Il peut aussi envisager le récit au second degré comme un métacommentaire cultivé sur le genre Aventure, et la filiation littéraire remontant au début du vingtième siècle. Il ne reste plus qu'à espérer que les auteurs donneront une suite à ce premier tome.