Ouverture introductive de quelques pages sans grand intérêt autour des robots de service qui s’ennuient et se chamaillent dans le Méta-Bunker, avant la reprise d’un récit toujours trépidant, toujours dense d'affrontements et de sacrifices,où il est enfin question de vengeance pour Othon et son fils Aghnar. Le troisième tome de la série est inégal au niveau du scénario, laissant retomber un peu la tension de ses enjeux principaux, mais le dessin est toujours splendide.


De nombreux très beaux portraits jalonnent le récit dans



un opéra pictural riche,



et dans les détails, Juan Gimenez développe son art de l’expressivité contenue : rage et colère naissent dans les traits tirés des visages et meurent dans l’absorption spontanée du corps et du mental. Les séquences sont grandiloquentes, l’immensité spatiale déborde sur des pages entières, et l’action mène le montage avec précision et emportement, à l’image du personnage principal en train de prendre le pas sur son père.


Alejandro Jodorowsky rajoute encore à la mythologie des Méta-Barons avec, après le rite de mutilation qui terminait l’épisode précédent, la naissance et l’application du niveau final de l’initiation durant lequel le fils tue le père, et continue ainsi d’explorer



un œdipe constamment irrésolu.



Le scénariste, avec Aghnar le Bisaïeul, continue d’affirmer une pensée qui traverse son œuvre toute entière : l’homme, de par son individualité, erre désespérément seul dans l’univers, de sacrifices en désillusions, et ne peut, pour continuer d’espérer vivre, se raccrocher qu’à lui-même face à la vérité à défaut de se laisser choir et mourir.



« Si j’étais une goutte de rosée, je pourrais trouver refuge sur un
brin d’herbe… Mais je ne suis qu’un homme, qui n’a sa place sur aucun
monde »



Deus ex machina omniprésent, le scénariste s’amuse en jouant la prophétie dans le bel épisode des singes flottants, et sert ainsi à son héros le moyen de sa vengeance autant que l’écriture de sa propre légende. Terminée temporairement en doux délire, avec le rapt final d’Oda, princesse capricieuse ensorcelée en un regard, et en décisions contradictoires :



le fils refuse l’héritage du père



quand pourtant il l’a si bien intégré qu’il est déjà devenu ce que celui-ci attendait de lui. Alejandro Jodorowsky raconte bien comment, malgré tout ce que le fils entreprend pour s’éloigner de la figure paternelle, il ne fait ainsi que se rapprocher toujours plus d’une réincarnation aux fidélités évidentes.


Dans un album de transition un peu incomplet et décousu, où le chaos le dispute aux sentiments qui ne prennent pas, dans un récit qui se veut à la fois la fin d’une trilogie et, très probablement, le début d’une autre, Aghnar le Bisaïeul fait ses premiers pas de Méta-Baron dans l’impulsion et la réaction, aussi intelligent et fin stratège que son père, moins pesé cependant, plus emporté, plus abandonné à ses propres paradoxes. Alejandro Jodorowsky délaisse la grandeur légendaire pour inscrire la liberté d’émancipation, la construction contre, et tue, symboliquement, de nombreux pères pour affirmer



le cycle insensé de la nature humaine.



Illuminé dans un déchaînement graphique par la richesse du trait de Juan Gimenez, complice idéal au fourmillement chaotique et incessant de l’univers infini de ce fleuve d’imagination.

Matthieu_Marsan-Bach
7

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le 2 juin 2016

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