Dans cette BD autobiographique, Jean-Marc Rochette revient sur sa jeunesse. Sa découverte avec la montagne est pour lui un choc, bientôt il n’aura plus qu’un but en tête : devenir guide. Pour cela, il lui « suffit » de faire ses courses et passer l’aspi (comprendre ici : enchaîner le maximum de voies (les courses) en glace, rocher, etc. ; et passer la formation d’aspirant-guide). Au risque d’oublier que la montagne ne pardonne pas et que non, l’Homme n’est pas plus grand qu’elle.
Jean-Marc Rochette se livre ici, sans concessions, sans faux-semblants. Raconté et dessiné comme un documentaire, c’est presque avec une caméra dans son dos que l’on suit sa jeunesse. Son coup de foudre pour la montagne ; ses premières parois, ses premières grandes voies, ses premiers sommets. Et au fur et à mesure, l’envie d’aller toujours plus haut, toujours plus loin, dans des voies toujours plus difficiles. Au fil des pages, c’est un univers fascinant qui s’ouvre à nous, lecteur : celui de l’alpinisme. Un univers âpre, rude, incroyable, intransigeant. Mais un univers qui ne pardonne pas.
Entrainé par des copains plus âgés, Jean-Marc Rochette va découvrir bien des facettes de la montagne. Lui qui est seul, souvent livré à lui-même, voit dans ce sport une belle alternative à sa vie quotidienne. Il découvre ici de nombreuses valeurs telles que l’amitié, le dépassement de soi, l’effort poussé à l’extrême, la plénitude d’une nuit à la belle étoile, dans le silence total de la nature… hélas, il ne découvre pas toujours cela de la manière la plus sécurisée qui soit. On sent d’ailleurs l’importance de ne pas paraître « peureux » face aux autres, quitte à prendre des risques inconsidérés. C’est si facile, à dix-huit ans, de se sentir puissant et capable de tout….
En plus de cette partie sportive et sauvage, on suit aussi le quotidien plus morne, plus encadré de l’auteur. Amitiés, amours, professeurs, mère, disputes… Ce sont des valeurs et des sentiments universels que l’on retrouve ici, qui parleront à tous, grimpeurs ou non.
Une autre époque, avec d’autres codes sociaux. Et un jeune garçon pas toujours adapté à son environnement. À travers ses joies, ses difficultés, ses réussites et ses échecs, l’auteur se découvre et découvre les autres. Il prend confiance en lui, suit son instinct, fait ses propres choix, prend ses propres décisions. Bonnes ou mauvaises…
À aucun moment Jean-Marc Rochette ne se voile la face, sans enjoliver et avec un recul certain, il pose sur sa propre jeunesse un regard sans complaisance, (auto)critique, mais bienveillant malgré tout.
Le graphisme peut surprendre, il paraît brut de décoffrage, imprécis, presque sauvage. Un trait nerveux qui colle parfaitement à l’esprit de la BD et à l’ambiance à la fois calme et implacable de la montagne. On a beau chercher à la dompter, elle se révèle toujours plus forte et on le sent à travers ce graphisme fiévreux. Les dessins sont en réalité d’une grande précision et reflètent complètement toutes les facettes de ce sport, plus extrême qu’il n’y paraît. Ils traduisent aussi parfaitement l’état d’esprit de cet adolescent, bourré d’adrénaline et d’énergie, de rêves de falaises et découvertes.
Les cases, les vignettes s’enchaînent, aussi vertigineuses et démesurées que les paysages. Le rythme nous emporte malgré nous et l’on ressort de notre lecture lessivé, comme s’il avait fallu les grimper aux côtés de l’auteur, ces parois.
Ailefroide est un roman graphique d’une grande intensité qui plaira autant aux initiés de la montagne qu’aux non-initiés. À la fois récit initiatique et récit d’aventure c’est pour moi un GRAND coup de cœur !