Airboy
7.2
Airboy

Comics de James Robinson et Greg Hinkle (2016)

Ce tome comprend une histoire complète et indépendante de toute autre. Il contient les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2015, écrits par James Robinson, dessinés et encrés par Greg Hinkle, avec une mise en couleurs réalisée par Hinkle lui-même. Ce tome commence par un texte d'introduction d'une page rédigé par James Robinson et expliquant le contexte de la genèse de cette histoire, ainsi qu'une partie de ses intentions.


James Robinson est dans le plus simple appareil en train de téléphoner à Eric Stephenson (l'éditeur d'Image Comics), concernant un projet de comics. Stephenson lui suggère d'écrire une histoire sur un vieux personnage tombé dans le domaine public : Airboy (David Nelson II). À contre cœur, Robinson accepte. Il sort descendre quelques verres le soir, dans un bar, mais aucune idée ne lui vient à l'esprit et son carnet de note reste vierge de toute idée, de toute note. Le lendemain, il s'excuse auprès de Jann, sa femme, d'avoir été bruyant en rentrant. Puis il va chercher Greg Hinkle (le dessinateur) qui lui a été assigné, à l'aéroport. Il le ramène à San Francisco où il a pris une chambre pour 2, afin de ne pas gêner Jann et que celle-ci ne grippe pas le processus créatif.


Pour essayer de relancer le processus créatif (après une après-midi stérile passée dans la chambre d'hôtel), James Robinson emmène Greg Hinkle boire quelques verres dans un rade. Puis il va s'approvisionner en coke auprès d'une connaissance, et enchaîne avec quelques tequilas dans un autre bar, et un ou deux rails dans les toilettes. Ils continuent avec un peu d'ecstasy, et finissent tous les deux dans la chambre d'une dame plantureuse (aux tétons piercés) et peu farouche. Après cette nuit de débauche, ils ont tous les deux la même vision : l'apparition d'un jeune homme portant un pantalon de cavalier, des bottes de cuir, une tunique rouge et des gants jaunes. C'est Airboy.


James Robinson est un scénariste réputé dans le monde des comics, en particulier pour sa série Starman dans laquelle il réhabilitait un ancien nom de superhéros, au travers d'un nouveau porteur du nom (Jack Knight), et de toute une dynastie de superhéros, abordant la question d'héritage, de degré de liberté, avec une connaissance enamouré des recoins de l'univers partagé DC. Il avait également réalisé une histoire compète à la gloire des superhéros des années 1950, avec une approche adulte : The Golden Age (avec Paul Smith), toujours pour l'éditeur DC. Mais ses travaux de la première moitié des années 2010 pour DC manquait de sensibilité, et ceux pour Marvel (plus nuancés, sur les séries Fantastic Four et All new Invaders) n'avaient pas conquis le lectorat. C'est sur la base de constat amer que débute ce récit. Il montre sans fard un cinquantenaire ayant perdu l'étincelle créative et préférant les plaisirs immédiats de l'alcool et de la drogue.


James Robinson et Greg Hinkle adoptent un ton narratif très franc et même cru. Le lecteur les voit en train de se poudrer le nez (à l'initiative de Robinson) et se trimballer à poil, avec le sexe à l'air (Robinson faisant même un complexe devant la taille de l'engin d'Hinkle). La dame en recherche de relation sexuelle n'a rien de glamour. La fellation dans les toilettes du bar à travestis frôle avec le glauque en ce qui concerne l'attitude de Robinson. Ce récit n'est donc pas pour les prudes, mais pour les lecteurs avertis. Ce n'est pas un récit à lire d'une seule main, les scènes de sexe n'étant pas nombreuses (3 au total) et le voyeurisme ne déclenchant pas d'excitation.


James Robinson intègre bien le personnage d'Airboy, avec un certain respect. Il le traite en héros, combattant les forces nazies pendant la seconde guerre mondiale, avec des valeurs morales des années 1940, sans qu'il ne soit niais pour autant. Le lecteur qui ne connaît pas Airboy n'aura aucune difficulté à comprendre qui il est et quelles sont ses caractéristiques, car le scénariste intègre les explications nécessaires en cours de route, sur ce personnage créé en 1942, par Charles Biro, Dick Wood et Al Camy. Le lecteur qui connaît le personnage (par exemple par la série débutée en 1982, réalisée par Chuck Dixon & Timothy Truman, voir Airboy Archives Volume 1 VO) constate que James Robinson dispose d'une connaissance plus que superficielle d'Airboy et des personnages secondaires de la série comme Black Angel, Flying Dutchman, Iron Ace (Ronald Britain), Skywolf (Larry Wolfe), et la sculpturale Valkyrie (Liselotte von Schellendorf). Ce scénariste est donc fidèle à sa réputation d'auteur respectueux et même amoureux des personnages qu'il écrit.


Pour réaliser cette satire, James Robinson a lui-même choisi de faire appel au jeune dessinateur Greg Hinkle. Cet artiste dessine dans une veine réaliste, avec un léger degré de simplification, et une légère exagération comique. La couverture de l'ouvrage montre qu'il n'hésite pas à s'investir dans les détails quand une situation le justifie. James Robinson est naturel sur la cuvette des WC, avec le papier toilette prêt à servir sur son support. Par contraste, l'appartement d'Eric Stephenson est spacieux et lumineux, avec une vue sur la baie. Chaque bar bénéficie d'un aménagement différent. La vue du dessus du lit de la dame, avec ses 2 amants d'une nuit montre tout le bazar des vêtements jetés pêle-mêle, des cadavres de canettes et le lecteur peut donc se livrer à une comparaison de la taille des engins des 2 messieurs. Le passage par la boîte de travestis montrent des clients peu respectueux de leur environnement (graffitis dans les toilettes).


Le dessinateur représente Robinson avec une ligne de cheveux en recul et un ventre un peu flasque. Il se représente lui-même avec une silhouette un peu dégingandée. David Nelson II est plus fringuant, comme il se doit pour un héros de papier, mais sans être sous stéroïde pour autant. Liselotte von Schellendorf (Valkyrie) n'a rien perdu de son port altier, de sa silhouette parfaite et de son décolleté affriolant. Les personnages du monde réel portent des vêtements banals et réalistes, alors qu'Airboy et ses compagnons ont des tenues conformes à la série de comics dont ils sont issus. Les expressions des visages sont nuancées et donnent une bonne indication de l'état d'esprit de chaque personnage dans chaque séquence.


Greg Hinkle introduit de discrètes touches humoristiques, sans transformer la narration visuelle en grosse farce. Certaines expressions de visage sont un peu exagérées pour montrer une grande surprise ou une conscience aigüe d'un comportement inadapté. Lors des scènes d'action, le langage corporel de Robinson et celui d'Hinkle est également exagéré pour montrer qu'ils ne sont pas à leur place dans ce genre de situation. L'artiste joue également avec les cadrages pour insister lourdement sur un élément incongru. C'est le cas pour le sexe d'Hinkle qui se trouve en premier plan, alors que Robinson le regarde fixement, mi envieux, mi dégoûté. Pour sa première apparition, Airboy est dessiné en pied, avec un cadrage en contre plongée pour accentuer sa dimension mythique et héroïque. Ou encore, Robinson aspire bruyamment avec une grimace de concentration sa poudre blanche pour ne pas en perdre.


Greg Hinkle a choisi un schéma chromatique très tranché. Il utilise une couleur pour chaque scène, un vert bouteille pour la moitié des séquences, à laquelle il ajoute un ombrage sur une partie des surfaces, aboutissant à une forme de bichromie augmentée. Ce choix donne une forte identité visuelle à cette bande dessinée, sans étouffer les dessins, ni les ternir. Au cours du récit, il peut alors jouer avec le nombre de couleurs dans certains passages pour leur donner plus de variété, donc un autre sens.


Le lecteur entame ce récit, impressionné par le ton franc et éhonté de James Robinson, et l'honnêteté picturale, débarrassée de toute hypocrisie (en particulier en ce qui concerne la nudité). Il constate rapidement qu'il ne s'agit pas d'un récit d'aventure avec Airboy comme héros (ce qui se comprend dès la couverture). Il s'agit plutôt d'une crise existentielle de James Robinson qui se met en scène, avec l'aide de Greg Hinkle qui lui sert de faire-valoir. D'ailleurs ce dernier énonce explicitement, dans le dernier épisode, que Robinson ne s'intéresse qu'à ce qui le touche directement, ce qui tourne autour de lui et rien d'autre. Le lecteur assiste donc à une forme d'autoanalyse de l'auteur qui se met en scène et qui met en scène sa crise. Il s'agit d'une démarche égocentrique qui s'en réclame comme telle, sans ambages. Le scénariste force le trait pour des effets comiques et provocateurs bien maîtrisés qui atteignent leur objectif : d'abord choquer le lecteur, puis le faire sourire.


Cette forme de thérapie utilise le personnage d'Airboy pour confronter l'avatar de James Robinson à un autre système de valeur, en provenance d'une autre époque. Les dessins permettent au lecteur de s'immerger dans cette crise personnelle aux côtés des protagonistes, grâce à leur niveau de précision, et la vitalité de la mise en scène. D'une manière générale, la narration ne porte pas de jugement de valeur sur Robinson ou Hinkle, ni même sur David Nelson II. Le lecteur est laissé entièrement libre de se faire sa propre opinion, de se forger une conviction. Totalement séduit par ce dispositif narratif, il prend plaisir à la compagnie de Robinson (en individu égocentrique et quelque peu narcissique) et à celle d'Hinkle (suiveur consentant, impressionné par le style de vie de ce créateur réputé). Globalement le récit est vivant et très agréable à lire, mais sa résolution déçoit un peu. James Robinson a choisi de rester sobre, proscrivant toute forme de révélation ou de changement radical de comportement. Mais la résolution laisse une sensation d'inachevée car le mot de la fin est laissé à Greg Hinkle, pour une sentence passe-partout, sans avoir accès à l'avis de James Robinson, alors que tout le récit tourne autour de lui et de son comportement.

Presence
9
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le 7 mai 2020

Critique lue 87 fois

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