Ce tome est le troisième et dernier tome d'une histoire complète indépendante de toute autre ; il faut donc avoir lu les 2 premiers tomes avant. Il comprend les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2014/2015, écrits, dessinés, encrés, mis en couleurs et lettrés par Jonathan Luna, avec Sarah Vaughn en coscénariste.


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- ATTENTION : ce commentaire dévoile un point clé de l'intrigue des tomes précédents



Après l'incident de le fin du dernier tome, Alex (pour Alexander Wahl) et Ada se retrouvent chez lui, à se demander quelle mode de vie adopter. Pendant la nuit, il arrive quelque chose de peu banal à Ada. Puis lorsqu'Alex se rend au travail, elle décide de retourner dans la chatroom pour échanger avec d'autres intelligences artificielles.


À l'invitation d'Emily, ils se rendent chez Teji qui fête sa nouvelle prothèse de jambe bionique. Ils se retrouvent face à Isabel, l'ex petite amie d'Alex, qui ne supporte pas de lui voir préférer Ada. Alex reçoit un appel de sa grand-mère Katherine qui lui apprend qu'elle est atteinte d'une grave maladie. Pendant une absence d'Alex, Jacob, son voisin, revient à la charge dans sa maison et interpelle Ada, après avoir abimé Otto, le petit robot serveur d'Alex


Dans les 2 premiers tomes, les auteurs avaient raconté une romance d'une intensité émotionnelle poignante, amalgamée à une réflexion sur la place des intelligences artificielles, ainsi que sur l'autonomie d'un être aimé par rapport à son conjoint. Même pour le lecteur le plus endurci, l'attente du dénouement de cette histoire d'amour était insupportable. C'est donc avec délice qu'il se plonge dans cette dernière partie, pour retrouver le très politiquement correct Alex, et sa compagne en plein apprentissage de la vie, dotée de conscience.


Premier constat : l'émotion est intacte tout au long de ces 5 épisodes, toujours aussi intense, nuancée et délicate. Vaughn et Luna mènent à son terme l'histoire d'amour entre Ada et Alex. Le lecteur reste toujours sous le charme de cette relation basée sur un respect mutuel des plus purs, sans verser dans l'eau de rose écœurante. La gentillesse d'Alex n'est pas synonyme de mièvrerie, et la candeur d'Ada n'est pas synonyme de bêtise. Certes, ils ne sont pas préoccupés par des soucis financiers, ou par une situation sociale calamiteuse (encore que), mais ils incarnent un couple fondé sur une relation basée sur l'honnêteté et la prévenance, un idéal auquel il est difficile de ne pas rêver.


Deuxième constat : les auteurs n'ont pas abandonné la dimension politique de leur récit. La question de l'intégration des intelligences artificielles progresse lentement, comme il en est dans toute société contrainte de reconnaître une nouvelle minorité. Pour un lecteur de comics, il est difficile de ne pas faire le parallèle avec la caste des mutants. Pour un lecteur non déformé par les X-Men, il y verra l'histoire d'une minorité ou d'une autre. Avec une narration très factuelle refusant la dramatisation, les scénaristes donnent l'impression de survoler la question. Mais en y regardant de près, il devient apparent qu'il reproduise les mécanismes sociaux avec pertinence, jusque dans la phase où les premiers activistes constatent que leurs sacrifices et leurs mises en danger font que les suivants bénéficient d'un climat social plus clément, plus facile. S'ils n'en éprouvent pas de regret, ils ne peuvent éviter la comparaison entre le prix qu'ils ont payé, et celui dérisoire pour la génération suivante, même si tout n'est pas réglé.


Troisième constat : par la force des choses (il faut amener une clôture au récit), l'intrigue reprend le dessus pendant plus de la moitié du récit. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, mais c'est un changement narratif significatif, reléguant les émotions en arrière-plan le temps de quelques séquences. Les habitués des récits des frères Luna (Girls, The Sword) savent par avance quelle direction prendra le récit, les autres peuvent se préparer à des chocs émotionnels de grande ampleur. Le dernier épisode comprend son lot de développements et constitue un épilogue habile et satisfaisant.


Pour ce dernier tome, le lecteur retrouve les caractéristiques narratives visuelles de Jonathan Luna, à l'identique des 2 premiers tomes. Pour commencer, il n'a rien changé à sa manière de détourer les formes par le biais d'un trait fin d'épaisseur uniforme. Les aplats de noir sont inexistants. Il en découle une apparence fragile pour les personnages et pour les objets, et parfois un peu artificielle, comme si tout avait été détouré et tracé, en gommant toute aspérité, toute texture. Comme dans les tomes précédents, ce mode de représentation donne une impression de superficialité, et de manque de substance, ce qui nécessite un temps d'accoutumance.


Comme dans les tomes précédents, Jonathan Luna continue à utiliser des plans fixes, avec un arrière-plan immobile et peu dense. C'est un parti pris de mise en scène qui peut étonner dans un médium aussi visuel que celui de la bande dessinée. Parfois les acteurs peuvent même rester immobiles, et seuls les quelques traits sur leur visage changent d'une case à l'autre évoquant le fait qu'ils parlent, ou montrant une émotion fugace traverser leur visage.


À nouveau, c'est à prendre ou à laisser. De page en page, il apparaît que ce choix de mise en scène ne nuit pas à la narration, ne constitue pas un frein au récit. Là où de nombreux dessinateurs de comics se contentent d'alterner champ et contrechamp pendant les scènes de dialogue, cet artiste préfère utiliser le plan fixe, avec les 2 interlocuteurs de profil, chacun d'un côté de la case de la largeur de la page.


L'un des avantages de ce mode de représentation est que Jonathan Luna peut représenter ses 2 personnages au lit, sans que les images ne prennent une connotation érotique, encore moins pornographique. Le lecteur comprend par lui-même qu'ils ne sont pas forcément chastes, sans que cela ne le place en situation de voyeur. Dans le premier épisode, l'artiste conçoit une image aussi irréelle (absence de texture, dimensions de l'esquif fantaisistes) qu'indélébile : Ada et Alex dans une barque sur une mer d'huile, sous un soleil éclatant. Même avec ces dessins dépouillés, il sait créer des images mémorables.


Dans le deuxième épisode, une demi-douzaine de pages est consacrée à la réception chez Teji, dans un plan fixe dont Jonathan Luna a le secret. Pourtant avec quelques gestes et quelques mimiques, il réussit à faire passer toute la maladresse des interlocuteurs, leur gêne, leur état émotionnel perturbé, etc. Le lecteur est pris à la gorge par la force des non-dits, par la cruauté des euphémismes, par l'intensité des émotions en jeu.


Dans le troisième épisode, Ada se retrouve face à Jacob dans une séquence chargée de violence contenue. À nouveau par le biais du jeu des acteurs (peut-être un peu raides), les petits mouvements et les visages, l'artiste fait monter la tension de case en case, sous-entendant la violence à venir, sans que le lecteur ne puisse anticiper sous quelle forme elle se matérialisera, ni qui craquera le premier, une séquence sous tension incroyable.


Pour le quatrième épisode, Jonathan Luna doit se résoudre à intégrer de l'action et à la dessiner, ce qui n'est pas forcément son point fort. Il trouve des solutions élégantes pour éviter de se retrouver aculé à une représentation trop explicite de la violence physique, sans rien perdre de l'impact des chocs. Le lecteur pressent le drame arriver, et a quand même le souffle coupé quand il constate les conséquences de visu.


Ce troisième tome s'avère être à la hauteur d'une série exceptionnelle de bout en bout. Jonathan Luna et Sarah Vaughn ont su raconter une histoire d'amour à la fois politiquement correcte et pure, et à la fois d'une rare intensité du fait de la situation particulière des 2 amoureux. Ils ont abordé des questions d'anticipation (une intelligence artificielle dans une forme humanoïde), de société (le chemin parsemé de sacrifice, de la reconnaissance et de l'intégration d'une minorité), avec subtilité, et sans naïveté ou mièvrerie. Ils ont donné vie à leurs personnages, avec une sensibilité étonnante.

Presence
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le 28 juil. 2019

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