Luke Healy est un Irlandais fasciné par les Etats-unis. Pas sportif pour un sou, il veut tenter le PCT, le Pacific Crest Trail, une piste de 4200 km qui relie le Mexique au Canada à travers les Rocheuses. ça commence par le désert Mojave, ensuite il y a la High Sierra, avec notamment le point culminant des "Etats contigus", le mont Whitney. Cet itinéraire est un vrai défi, car il n'est ouvert que sur une fenêtre étroite, entre mai et septembre, avant le retour des neiges qui le ferme. Très peu arrivent à le terminer. A noter que le sous-titre français ("comment j'ai renoncé à mon rêve américain") me semble réducteur par rapport au titre anglais ("getting over it" ayant aussi le sens de "dépasser, surmonter", qui est logique pour un livre de randonnée).
Ce roman graphique se décompose en six chapitres. Chacun commence par une carte du tronçon concerné. Quatre ou cinq pages de texte introspectif où Luke Healy revient sur son passé, son identité : sa fascination pour l'Amérique, sa conscience d'une identité irlandaise marquée par une profonde tradition d'émigration, et donc de déracinement, ses déconvenues par rapport à ses rêves, sa conscience de ne pas être préparé autant qu'il le faudrait.
Vient ensuite une page sur les enjeux du tronçon de randonnée suivant, et ensuite la bande dessinée.
Des épreuves personnelles jalonnent le parcours : au premier tronçon, Agua Dulce, Healy appelle une amie pour venir le chercher et semble abandonner. Puis en voyant la vie à Los Angeles, il décide rapidement de se remettre en selle. Plus loin, il surmonte la peur liée à un bivouac au cours duquel un puma rôde autour de sa tente, ce qui le marque durablement d'une peur de dormir seul dans les bois. Il doit également vivre à distance l'agonie de son grand-père, et la mauvaise conscience de ne pas briser son défi personnel.
Malgré ces éléments qui amènent une dramaturgie de faible intensité, l'essentiel de la bande dessinée est une reconstitution de ce qu'est le rythme de randonnée. Avec les questions que se posent tout randonneur : quel est le bon ratio entre un sac bien équipé et un sac léger ? S'arrêter ne risque-t-il pas de casser le rythme ? Est-ce mieux de randonner accompagné, quitte à se caler sur le rythme d'un autre, ou de se retrouver seulement aux étapes ? Que valent les amitiés d'inconnus que seul un projet commun rapprochent momentanément ? Marcher, est-ce s'oublier, se fuir ou au contraire se retrouver face à soi-même ? Etc...
Rien que quelqu'un habitué à de la randonnée ne connaisse déjà intuitivement, en fait.
Et la qualité graphique ? Hé bien c'est là que le bât blesse. Car je ne doute pas que Healy ait vu des paysages à couper le souffle. Mais son graphisme dépouillé, qui simplifie les reliefs et la végétation, est à mon sens un choix artistique peu pertinent si tu veux faire passer ce qui t'a poussé à faire ce que tu fais. Les cadrages évitent les plans larges de panorama, d'ailleurs, pour des plans généraux montrant le randonneur dans son environnement immédiat. Certes, c'est conforme à l'expérience d'un randonneur qui a la tête dans le guidon. Mais c'est peu inspirant. Et surtout j'ai du mal avec les choix de couleur : blanc et applats de rose. Or le rose n'est pas utilisé de manière consistante : tantôt il s'applique à la terre, tantôt à la végétation, si bien que parfois cela manque de lisibilité.
Sans doute suis-je un peu dur. Mais j'ai grandi dans les Pyrénées, et l'amour de la montagne est dans mes veines. Cela me rend sans doute sévère. Le livre n'est pas inintéressant, mais son parti pris esthétique est à mon sens en-deçà de ce que méritait son sujet.