Ce tome fait suite à Invincible T19: Etat de siège (épisodes 103 à 108) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 109 à 114, initialement parus en 2014, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Ryan Ottley, et encrés Cliff Rahtburn, avec une mise en couleurs réalisée par John Rauch.


Dans une dimension parallèle, Mark Grayson est bien coincé. Rudy Conners vient de tuer le Mark Grayson de cette dimension, qui était le dictateur mondial, puis il est retourné sur la Terre d'origine, laissant Mark se débrouiller, sans moyen de retour. À l'extérieur du laboratoire fermé à clé, Kregg, un viltrumite, est en train de tambouriner sur la porte. La situation ne laisse pas beaucoup de latitude de manœuvre à Mark Grayson. Il change de costume avec le Grayson défunt, s'arrache les cheveux pour se faire la même coupe en forme d'iroquoise et se fait passer pour lui en adoptant un ton méprisant, excédé et autoritaire. Il raconte une version déformée des faits, et exige de Kregg qu'il nettoie tout ça dans les plus brefs délais, pendant qu'il fait une course urgente. Il quitte ce laboratoire situé sous le Pentagone, comme le laboratoire de Cecil Stedman sur Terre. Il sait qu'il a une petite chance de trouver une personne susceptible de l'aider à revenir sur sa Terre : le Rudy Conners de la Terre où il se trouve exilé. Il se rend dans son laboratoire secret dans une pile de pont. Coup de chance : il y a bien un Rudy Conners sur cette Terre, il est vivant et il est dans son laboratoire, encore dans son ancien corps atrophié et monstrueux. Il ne reste plus qu'à Mark Grayson qu'à expliquer la situation à ce Rudy Conners, à ce qu'il le croit, et à ce qu'il accepte de l'aider. Finalement il y parvient.


Pas encore complètement sûr de lui, mais assez confiant, Mark Grayson emmène Rudy Conners dans son appareillage de maintien en vie, dans le laboratoire du Pentagone. Les viltrumites présents font une drôle de tête, mais respectent les ordres de leur dictateur. Rudy Conners peut récupérer les données sur le projet de portail transdimensionnel et les ramener dans son propre laboratoire. Une fois réinstallé dans sa base, il demande à Mark Grayson pourquoi il devrait l'aider. Ils parviennent à un accord gagnant-gagnant. Il ne reste à Mark Grayson qu'à localiser les jumeaux Mauler de cette Terre. Une fois de retour sur sa propre Terre, Mark Grayson est confronté à plusieurs situations qui le dépassent. Samantha Wilkins l'a cru mort pour de bon, et elle le repousse ne voulant pas se retrouver dans une situation identique à court, moyen ou long terme. Mark Grayson se fait violer, sa violeuse lui indiquant qu'elle récidivera autant que bon lui semble. Une fois parvenu au Pentagone, il ne parvient à persuader Cecil Stedman, (le responsable de l'Agence Globale de Défense) des intentions réelles de Rudy Conners. Pire encore celui-ci arrive au Pentagone et participe à la discussion entre Stedman et Grayson.


Ce n'est tout simplement pas croyable : ce n'est pas possible que Robert Kirkman réussisse à encore bouleverser le lecteur avec un récit aussi surprenant et direct comme un uppercut, et que Ryan Ottley assure une narration visuelle aussi évidente et entraînante. Dans le tome 18, un événement majeur avait entériné le fait que le monde d'Invincible se développait dans une direction différente de celle de notre Terre, sans retour en arrière possible, la présence d'individus dotés de capacités extraordinaires ayant un impact global sur l'humanité et son Histoire. Le scénariste dispose donc d'une plus grande liberté pour son intrigue, débarrassé de la règle implicite qui voudrait que l'histoire doive revenir vers la normale, la situation normale de la Terre. Le premier épisode ressemble à une simple évasion : trouver comment regagner sa Terre d'origine. Le lecteur est impressionné par l'expressivité des personnages, par le jeu des acteurs. Ryan Ottley sait montrer l'inquiétude de Mark Grayson alors qu'il se fait passer pour son double, dictateur de cette Terre. Le lecteur sourit en voyant Mark s'interroger sur le fait qu'il est en train de surjouer ou non ses manières méprisantes, excédées et autoritaires. Il le voit jeter un regard en coin quand il emmène Rudy dans les couloirs du laboratoire sous le Pentagone. Il compatit avec lui quand il se retrouve obligé de motiver Rudy en cherchant en quoi ce dernier va bénéficier de leur arrangement et quand il doit recommencer avec le jumeau Mauler. Le lecteur constate que cet épisode constitue une variation sur le questionnement d'un gouvernement dictatorial pouvant potentiellement être transformé pour aboutir à quelque chose de plus bénéfique pour la population. Il apprécie l'ironie qu'il soit confié à Rudy Conners.


Le retour de Mark Grayson à sa réalité s'avère être à l'opposé d'un retour à la normale. Le lecteur s'attend à ce qu'il retrouve son ennemi : celui qui l'a coincé dans l'autre dimension. Sauf que ce n'est pas si simple que ça. Visiblement les manœuvres de son ennemi sont restées cachées de tout le monde, personne ne soupçonnant son véritable objectif. Ensuite, Mark Grayson doit faire face à Samantha Wilkins, confrontée à l'annonce de la mort de son conjoint, et finalement persuadée de la réalité de ce décès, les mois ayant passé. Le lecteur comprend parfaitement la position de Samantha, ainsi que son état d'esprit, éprouvant une empathie qui fait qu'il ne peut pas lui donner tort, même s'il voit l'impact émotionnel sur le visage de Mark, et qu'il sait ce que ce dernier a vécu, et que Samantha ne veut même pas entendre. Les visages montrent parfaitement l'état d'esprit et son évolution des deux interlocuteurs, ainsi que la force des émotions qui les animent. La deuxième partie de cet épisode est totalement inattendue, avec une effroyable scène de viol. En fait, elle ne sort pas de nulle part : la motivation de l'agresseur fait sens, ainsi que sa méthode et son manque total d'empathie pour Mark, une scène terrifiante. Plus tard, criminelle et victime se retrouvent dans un lieu avec des témoins ignorants de l'agression sexuelle, et là encore la direction d'acteurs du dessinateur est impeccable, naturaliste et expressive, avec la justesse émotionnelle indispensable.


Comme à son habitude, Robert Kirkman ne fait pas languir son lecteur et ne rallonge pas la sauce : la confrontation entre Invincible a lieu dans ce tome dans son intégralité. Ce dernier a choisi de devenir le maître du monde. Il a déjà une expérience significative en la matière, non seulement sur plusieurs années, mais en plus totalement réussie. Il met donc en œuvre ses acquis de l'expérience, avec une efficacité mécanique dépourvue de remord. Pour commencer, il élimine tous ceux susceptibles de contrecarrer ses plans. En lançant cette phase de l'opération, il prononce d'une petite voix les mots : Que le massacre commence ! Le lecteur en a vu d'autres des massacres dessinés par Ryan Ottley, mais rien n'y fait. Rien ne peut le préparer à l'impact visuel : les représentations sont explicites, l'ordre est exécuté avec un professionnalisme rigoureux, avec une efficacité accablante. Parmi les victimes, il y a en a forcément une ou deux (ou plus) avec lesquelles il avait développé un réel lien affectif. C'est un crève-cœur de voir ce qui arrive à Shapeshifter. En outre, le scénariste a lui aussi bien préparé son coup : l'ennemi ne peut pas massacrer tous ses opposants potentiels. De ce fait, il se produit encore deux ou trois scènes de massacre, après le principal, rappelant au lecteur l'étendue du massacre et son systématisme. C'est l'occasion de revoir de nombreux personnages ayant participé aux aventures d'Invincible dans les tomes précédents, et d'ouvrir de grands yeux horrifiés en voyant ce qu'ils subissent, ou comment ils réagissent (le comportement plein de bon sens mais quand même accablant de Zandale Randolph).


Le pire est à venir. Cela fait bien longtemps que le récit s'est élevé au-dessus d'une dichotomie simpliste bien / mal. Cela fait quelques tomes que Mark Grayson a pris conscience qu'il ne peut pas résoudre les problèmes de l'humanité à lui tout seul, même avec des superpouvoirs. Cela fait plusieurs tomes que Mark Grayson n'est pas le seul individu en place avec ce niveau de superpouvoir, et que les résolutions de conflit font intervenir d'autres factions que lui. Cette bataille contre cet ennemi avec des ambitions planétaires ne fait pas exception : il n'est pas le seul à avoir un enjeu, et les intérêts des autres factions ne sont pas identiques aux siennes. L'objectif de conquête du monde s'effectue de manière très intelligente, très préparée, et l'ennemi n'a pas attendu le retour de Mark Grayson, pour y travailler, entamer ses préparatifs, réaliser ses premières manœuvres. Au-delà de l'intelligence de la stratégie et des frappes chirurgicales sans pitié, l'objectif en lui-même pose question. Le lecteur prend bien sûr fait et cause contre cet ennemi qui massacre des êtres humains sans état d'âme. Il est hors de question qu'il cautionne de tels moyens qui ne peuvent pas être justifiés par la fin, mais… Mais il y a eu d'autres maîtres du monde dans la série, ne serait-ce celui que Mark Grayson lui-même vient d'installer dans une Terre parallèle, au cours du premier épisode de ce recueil. En outre, le massacre perpétré par l'ennemi n'est pas si différent que ça de celui perpétré par Nolan Grayson au début de la série. L'objectif de l'ennemi n'est pas si éloigné que ça, de celui de Mark Grayson lui-même quand il avait fait équipe avec Dinosaurus, avec les conséquences toujours bien présentes à l'esprit du lecteur. Or Nolan & Mark ont été absouts d'une certaine manière. Qu'est-ce qui les différencient fondamentalement de ce nouveau conquérant ? À la fin du tome, le lecteur est toujours aussi révolté et écœuré par le massacre, mais au fond…


Tome après tome, Robert Kirkman & Ryan Ottley renouvellent l'exploit impossible de faire mieux, de faire plus fort, sans rien perdre en sensibilité ou en nuance, d'emporter le lecteur qui se retrouve à dévorer l'histoire au premier degré, comme un enfant fasciné et transporté dans un monde riche, complexe, intelligent. Il dévore d'une traite ce tome. Il le repose, profondément choqué. Il le reprend pour savourer des cases, des séquences, pour repenser à cette prise de pouvoir sanglante, parce que… quand même… C'est énorme, et, non, ce n'est pas comparable… enfin si, mais…

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le 10 juin 2020

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