Emmanuel Lepage est un illustrateur de renom, qui sait raconter les histoires, qui connait la mer, qui donne vie aux paysages, et rend sensible la complexité des sentiments humains. Avec Ar-Men, il fait ce qu'il sait faire de mieux.
Il documente la construction folle d'un phare en pleine mer, qui aura nécessité 15 ans de chantiers intermittents, au gré des marées.
Il raconte la solitude et la force de ces gardiens de "feu", marins sur terre, qui depuis la mer rêvent de la terre.
Il témoigne de la fin d'une époque, celle d'une présence humaine dans les phares - aujourd'hui automatisés - pour guider les navires - aujourd'hui assistés de gps et instruments technologiques.
Il raconte la violence et le déchaînement de la mer, les nuits de tempête, la solidarité muette entre ces hommes qui n'ont que le bruit du vent et de la houle s'écrasant sur les rochers pour brouiller le silence de leur vie.
Il rend hommage aux témoignages des gardiens de phare que sont Louis Crozan ou Jean-Pierre Abraham, avec une fidélité troublante tant ce qui jaillit sous son trait rappelle la lecture des journaux de bords poignants.
Mais au-delà, et c'est sa patte qui rend ses ouvrages si marquants, il humanise tout, par la présence de fantômes d'histoire de légendes ; la poésie vient nourir l'aspect brut et documentaire de la matière brut. Les murs du pahre deviennent un livre ouvert, propice à l'égarement et au rêve. Un rêve : voilà ce que cette bande-dessinée procure au lecteur qui, le temps de ces quelques pages, trop courtes, aura senti l'iode des vagues et la mélancolie des pierres.