Ce tome fait suite à UBER T02 (épisodes 6 à 11) qu'il faut avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 12 à 17, initialement parus en 2014, écrits par Kieron Gillen, dessinés et encrés par Gabriele Andrade pour les épisodes 12 à 14, et par Daniele Gete pour les épisodes 15 à 17, avec une mise en couleurs réalisée par les studios Digikore. Les différentes couvertures originales et alternatives ont été réalisées par Andrade, Michael Dipascale, Caanan White.
À Londres, le premier juillet 1945, après l'attaque de Sieglinde, un tommy vient suggérer à Stephanie qu'il vaudrait mieux quitter les lieux. Elle lui ordonne de lui poser la question de ses premiers souvenirs. Il s'exécute et elle raconte. Elle a quinze ans d'écart avec sa sœur. Cette dernière était le fruit du matin de l'amour de ses parents, alors qu'elle, Stephanie, celui d'un bref été indien. Sa sœur effectuait ses études à Girton à la fac de Cambridge, et elle avait fait entrer Stephanie pour assister à une conférence dont elle se souvient encore : Virginia Woolf donnait un cours sur les femmes et la fiction. L'autrice avait indiqué que sa valeur ajoutée se concentrait dans le fait qu’une femme doit disposer d'argent et d'une chambre à soi pour pouvoir écrire une œuvre de fiction, ce qui laisse intacte la grande question de la véritable nature de la femme, et de la véritable nature de la fiction. Le soldat s'étonne qu'elle se souvienne de tout ça alors qu'elle n'était d'une enfant. Elle répond qu'elle ne mentirait jamais pour une question de fiction, et qu'elle dispose d'une mémoire exceptionnelle, tout en contemplant le carnage sous yeux dans les rues de Londres dévastées. Elle finit par se décider à partir, tout en répondant au soldat qu'il est sûr que le décompte des morts changera encore d'ici l'aube.
Stephanie pénètre dans un entrepôt et s'adresse à une silhouette massive assise à même le sol, drapée dans une grande toile. Elle demande à Leah Cohen si elle peut la ramener à Bletchley. Celle-ci soulève sa masse imposante et demande s'il est encore possible qu'elle soit envoyée sur le champ de bataille : la réponse est négative. Elle indique qu'il faut que des soldats l'aident à mettre la chaise sur son dos car elle ne parvient pas à l'atteindre. Une fois la chaise solidement attachée, Stephanie prend place dessus et attache les sangles : c'est parti pour une demi-heure dont elle se serait bien passé. Une fois arrivée, Leah se dit que ça doit bientôt être la fin pour elle. Stephanie lui répond de lui demander quel est son premier souvenir, ce qu'elle fait. Stephanie répond qu'elle essaye de ne pas se souvenir de sa vie avant qu'elle ne soit recrutée par l'armée. Elle était une enfant très douée : escrime, gymnastique, lecture, écriture, arithmétique, et beaucoup de tir. Elle maîtrisait plus de langues qu'il n'y a de pays en Europe. Un phrénologue fut convaincu par la forme de son crâne qu'elle serait le prochain Leibnitz. Elle a choisi de considérer comme premier souvenir le soir où elle a été recrutée dans un pub pour être un agent double infiltrée comme scientifique.
Au cours du second tome, le scénariste a continué à introduire des divergences entre son récit et la réalité historique, découlant de l'existence d'individus dotés de superpouvoirs à la toute fin de la seconde guerre mondiale. Kieron Gillen a indiqué dans des interviews qu'il avait effectué des recherches plus conséquentes que d'habitude pour nourrir son intrigue, et le lecteur s'en rend compte. Le déroulement des événements de la seconde guerre mondiale est bouleversé par cette arme d'un genre inédit, mais dans le même temps, il colle à des moments clés comme la bataille d'Anvers du 4 septembre 1944, la bataille d'Hambourg, ou encore la reprise de Kiel. De manière similaire, il continue de mettre en scène les surhommes comme des armes déployées suivant des stratégies spécifiques, bénéficiant d'avancées technologiques, étant l'objet d'espionnage industriel par les armées ennemies. Comme dans les 2 précédents, il joue sur la dualité de ces armes : des avantages tactiques plus ou moins fiables avec des limites, mais aussi des êtres humains utilisés comme des armes sans âme, établissant ainsi un parallèle avec les soldats eux-mêmes, eux aussi utilisés comme de la chair à canon sans âme, créant ainsi une prise de recul sur l'instrumentalisation d'êtres humains, par d'autres êtres humains faillibles, dans des stratégies tout aussi faillibles.
Le lecteur est tout d'abord happé par l'intrigue : quel va être le déroulement alternatif de la seconde guerre mondiale avec ces armes d'un genre nouveau ? D'autant plus que le dernier épisode du tome précédent se terminait par le décès de deux chefs de gouvernement de premier plan. Pour rendre compte de l'ampleur de la guerre, le scénariste met en scène des personnages de différentes nationalités. C'est ainsi que l'épisode qui ouvre ce tome se situe en Angleterre, en suivant Stephanie, agent double ayant opéré en Allemagne et étant parvenue à ramener le secret de la fabrication des surhommes (qualifiés de bâtiments de guerre) au Royaume Uni. Petit à petit, le lecteur en apprend plus sur elle : elle dépasse le simple personnage interchangeable pour faire porter l'intrigue, pour acquérir une personnalité, et un peu d'histoire personnelle. Gillen commence très fort en évoquant Virginia Woolf (1882-1941) et son essai Une chambre à soi (1929) sur les facteurs qui ont entravé les femmes dans l'accession à l'éducation, à l'écriture littéraire et au succès. Au départ, cela peut sembler une anecdote juste pour faire genre. Au fil de cet épisode et dans la conclusion du dernier, cela induit une forme de prise de recul sur le personnage. Voilà une femme qui en 1945 se retrouve une personne clé de la stratégie militaire du Royaume Uni, après avoir été l'instrument ayant permis à ce même pays de développer rapidement leurs propres supersoldats. Le lecteur finit par se souvenir que dans le tome précédent, l'auteur l'avait surpris en mettant en scène que ces armes avec des superpouvoirs sont également des êtres humains avec leurs motivations personnelles. Il se dit qu'il en va de même pour Stephanie, et il se met à s'interroger sur ce qu'elles peuvent être. Les deux dessinateurs montrent une femme de haute taille, solidement charpentée, tout en restant dans cadre d'une morphologie réaliste, sans sexualisation particulière, au point que le lecteur aurait très bien pu ne pas faire attention à sa condition féminine. Gillen parachève son rôle en montrant qu'elle dispose réellement des compétences d'une scientifique, capable de comprendre, d'expliquer et même de concevoir les théories sur la morphologie des surhommes et leurs capacités.
Le deuxième épisode se déroule en Sibérie en 1945. Gabriele Andrade réalise des dessins dans un registre descriptif et réaliste, avec un bon niveau de détails pour les décors et les costumes. Les studios Digikore mettent en œuvre une colorisation dense, pleine de textures, de matières et de reliefs, comme à leur habitude, ce qui complémentent bien les dessins. Une autre femme dotée de capacités extraordinaires, Maria, est recueillie par un couple exilé dans ce sovkhoze. Comme pour les autres bâtiments de guerre, sa simple présence bouleverse l'ordre des choses : le rapport de force avec les autorités, l'arrivée d'une armée à ses trousses, la cupidité des uns et des autres souhaitant monnayer la dénonciation de sa localisation. Cet épisode atteste qu'il ne s'agit pas d'une série industrielle de superhéros : le lieu a une incidence directe sur les personnages et sur l'intrigue, ainsi que l'époque. Les bâtiments sont des machines de guerre, et à nouveau Maria laisse des tombereaux de cadavres derrière elle, rappelant qu'il s'agit d'individus dont l'expertise est de donner la mort au combat.
L'épisode suivant ramène le lecteur à Berlin pour découvrir les conséquences du décès d'un personnage historique de premier plan. À nouveau, la narration visuelle d'Andrade et des studios Digikore emmènent le lecteur ailleurs, d'abord à Berlin, puis dans une immense caverne souterraine. Il en prend les yeux quand un bâtiment déchaîne son halo, avec des effets de destruction saisissants. Gillen marie avec roublardise la question de la succession au pouvoir et de la course aux armements. En effet, plusieurs nations travaillent au développement et à la mise en production de supersoldats, et chacun essaye de réaliser un produit meilleur que les autres, plus avancés. Il se retrouve totalement impliqué dans cette histoire alternative conçue avec soin, mêlant la seconde guerre mondiale, avec une course à l'armement d'un genre différent, avec des utilisations et des risques différents, s'attachant à des individus singuliers dont les actions ont des conséquences à l'échelle de batailles significatives dans cette guerre. Il se rend compte que les dessins sont un peu moins assurés dans la deuxième partie de ce tome, ce qui correspond aux planches de Daniel Gete, tout en restant assez solides pour ne pas rompre la sensation d'immersion, pour ne pas provoquer un effet de sortie de la lecture. Au fur et à mesure de la progression de recherche sur les modalités de transformation d'un individu en supersoldats, les modèles se diversifient avec des capacités plus spécialisées, ce qui a pour effet de diversifier les stratégies possibles sur le champ de bataille, en fonction du terrain et de la mission à effectuer. La dimension sociale ne prend pas le pas sur le récit, mais elle n'est pas oubliée, en particulier avec le cobaye Vernon.
Quand il s'est lancé dans cette série, le lecteur savait qu'elle s'apparenterait au mieux à une série B, au pire à une série Z, en fonction des moyens alloués à sa production. Dès le premier tome, il a pu prendre la mesure de l'implication et de l'ambition de Kieron Gillen, bien supérieure à celles nécessaires pour une série défouloir. Les tomes suivants ont confirmé une intrigue au long cours, intégrant la réalité de la guerre (tuer des êtres humains), les différentes nations s'affrontant, la course à l'armement, la conception de nouvelles stratégies et de nouvelles tactiques, et le fait que ces armes d'un genre nouveau sont des êtres humains avec leurs propres motivations.