Les réalités historiques de la Guerre des Gaules reprennent nettement le dessus : pour la trame, on se réfèrera utilement au livre V de « La Guerre des Gaules », de César, qui rapporte les évènements de l’année 54 avant Jésus-Christ. On y retrouvera nombre de noms de personnes et de lieux, de faits et de batailles, dont il est assez fidèlement rendu compte dans cet album.

Les personnages fictifs éprouvent donc à nouveau quelques difficultés pour s’intégrer dans la « grande Histoire » authentique, et c’est au prix de quelques exagérations et compromissions avec le réel que Simon Rocca parvient à mettre en vedette ses héros. Ce n’est pas d’ailleurs que Rocca ait été le premier à manipuler la relation des évènements de la Guerre des Gaules : par deux fois, dans l’album, Jules César est présenté dans son rôle d’autopromotion avantageuse pour lui, en train de dicter une version très « arrangée » de ses « Commentaires sur la Guerre des Gaules » à divers secrétaires plus ou moins habituels, puisque Milon s’y colle lui-même au moment de la mise par écrit des conditions de paix avec les Bretons (planches 1, 39, 45) . Rocca illustre ainsi le célèbre « art de la déformation historique » que l’on a mis en évidence chez César : non seulement il avait intérêt, pour ses ambitieux projets personnels, à sculpter une image médiatique de lui aussi flatteuse que possible, mais il y avait la nécessité d’obtenir du Sénat toujours plus de légions, que les Pères Conscrits ne lui auraient certes pas accordées si ses expéditions n’avaient pas tourné à l’avantage des Romains.

La conquête de la Bretagne permet à Jean-Yves Mitton de représenter de belles flottes (planche 24), souvent en difficultés dans les tempêtes (planche 37), et une chiourme de galère où Milon fait un passage, histoire de se bodybuilder (planches 4 et 5, 9 à 11). Beau camp romain sous la neige (planche 15) et en été (planche 19). Quant à la coutume celte de combattre nu et peinturluré (planche 23), elle donne à Mitton l’occasion de satisfaire sa prédilection pour les nudités musclées et voluptueuses.

Ambre, magnifiée dans ses habits de reine qui préfigurent les ornements Barbares des Grandes Invasions postérieures de cinq à dix siècles (planche 7), organise avec fougue la résistance des Bretons à l’invasion romaine (mais les Bretons ont l’air aussi cons que les Gaulois de l’époque et les Français d’aujourd’hui, question capacité à s’unir), et Rocca a dû, pour amplifier son importance, minimiser celle du chef historique de la résistance bretonne à César, Cassivellaunos (même cité dans « Astérix chez les Bretons » !) ; pour cela, Rocca en a fait une sorte de gros macho immature et braillard, qui roule des mécaniques et gagne peu de sympathie auprès du lecteur. Planche 42, on le fait mourir, alors qu’aucune source antique ne fait mention de cette mort. Planche 46, le nom Icénien d’Ambre, « Boadicaë », devient, par la grâce de Rocca, un titre que se transmettront les reines de ce peuple (on notera qu’on ne se préoccupe pas de l’éventualité qu’il n’y ait ensuite que des rois et pas de reines...). Quel est le sens de cette ultime réplique ? Bien sûr, inscrire la révolte de la Boadicaë qui viendra un siècle plus tard, sous Néron. Tous les moyens, je vous dis, pour faire mousser les héros de fiction !

Sligo, le vieux traître, n’a visiblement été maintenu en vie par Ambre / Boadicaë (et par Simon Rocca !) que pour se livrer à nouveau à d’horribles trahisons dont on appréciera la nature dans ce tome. La tendance maladive des héros et des méchants à s’épargner entre eux lorsque les uns tombent entre les mains des autres permet de prolonger ad libitum la série, sans pouvoir masquer le caractère particulièrement conventionnel et peu crédible de ces crises de pitié qui les saisissent au moment d’en finir avec l’ennemi.

Milon, qu’on voit souvent parce qu’il sert d’intermédiaire entre les deux camps, voit son rôle amplifié grâce à ses dons de magicien étrusque qui attire la foudre (planche 37), ce qui est une manière un peu difficile à admettre de lui donner une responsabilité dans la destruction de la flotte romaine.

Bien que César, Milon, Cloduar et Arulf se disputent Ambre – avec un net avantage pour Arulf dans ce tome (planche 22) – ils ont le bon goût de ne pas s’entre-trucider lorsqu’ils évoquent le sujet de la jolie rouquine, ce qui les rend un peu plus courtois que ne l’exigerait la vraisemblance, dans ce contexte général de massacres répétés. Il faut bien mettre au frais les héros pour préparer de futures confrontations !

Mandubracios, jeune chef des Trinobantes, qui contrôle la région de Londres, est présenté comme une tapette maniérée (planches 34, 38-39).

Bel épisode, plein de combats, d’angoisse et de forts sentiments, solidement charpenté autour d’une trame historique écornée ici et là en périphérie.
khorsabad
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le 25 déc. 2014

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