Ce tome fait suite à The dark age vol. 2 - Brothers in arms, qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Il comprend les épisodes "Samaritan", "Beautie", "Astra" 1 & 2, et "Silver Agent" 1 & 2. Tous les scénarios sont de Kurt Busiek, les dessins et l'encrage de Brent Eric Anderson, la mise en couleurs d'Alex Sinclair et Wendy Broome. Alex Ross a réalisé 6 couvertures magnifiques comme à son habitude, et a participé à la conception graphique de plusieurs personnages.
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- Samaritan (2006, 40 pages) - Samaritan (Asa Martin, une anagramme) a accepté de prendre un repas avec Infidel (Al-Abid) dans sa dimension. Il s'agit d'un rituel annuel instauré depuis plusieurs années, l'un invitant l'autre à tour de rôle. Les 2 convives sont ennemis depuis des années. Le lecteur découvre leur première rencontre, ce qui les oppose, l'histoire d'Infidel. Il bénéficie du point de vue d'Infidel dont la voix intérieure commente les événements.
Comme le fait remarquer Stan Fredo, Mark Waid cite Neil Gaiman estimant que les superhéros ne sont pas un genre, mais un média. La série "Astro City" de Kurt Busiek est l'incarnation de cette déclaration, la preuve éclatante qu'il ne s'agit pas simplement d'un bon mot. Au travers de l'histoire d'Infidel, le lecteur découvre les convictions d'un individu quant à sa place dans la société, ses responsabilités et les circonstances qui l'ont amené à exercer son pouvoir de cette manière. Busiek réalise un exercice de haute voltige, ménageant un suspense de bout en bout quant aux véritables enjeux de ce repas, quant à la nature de ce qui oppose les 2 convives, quant à l'ampleur de leur histoire commune. Il fait aussi bien ressortir la personnalité d'Infidel de manière explicite grâce à ses pensées, que celle de Samaritan de manière implicite par contraste entre son comportement et celui d'Infidel.
Busiek réalise une narration en état de grâce, aussi impressionnante qu'intime, exposant les faits au lecteur, tout en le laissant se faire sa propre opinion sur ce qu'il découvre, sur ces 2 individus sur leurs valeurs morales. Les confrontations sont aussi bien physiques (des combats avec des superpouvoirs, conformes aux conventions du genre) que psychologiques, tout en nuances et en non-dits.
Brent Anderson est à l'aise dans toutes les circonstances. Il arrive aussi bien à faire croire à ce repas autour d'une table flottant au dessus du sol, qu'aux décharges d'énergie, ou à l'évocation d'époques révolues. Ses dessins d'apparence très classique rendent compte à la perfection des hésitations des 2 convives, de leur façon d'observer leur vis-à-vis, de leur retenue dans cette partie de poker qui se dévoile petit à petit.
Avec cette histoire, Busiek et Anderson réinjectent du sens dans le cliché des 2 opposants (superhéros / supercriminel), se combattant de manière chronique, sans que l'un ou l'autre n'arrive jamais à atteindre une victoire décisive. Alors qu'il s'agit bien de combats physiques avec décharges d'énergie, la confrontation est bien de nature morale. Alors que 2 individus s'affrontent de manière manichéenne, les 2 points de vue apparaissent chacun avec leurs limites, leurs défauts, avec toutes les implications qui en découlent, faisant apparaître leur relativité.
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- Beautie (2008, 40 pages) - Dans un magasin de jouets, Beauty contemple le rayon des poupées à son effigie. Elle se remémore sa dernière aventure dans l'espace avec Honor Guard. Elle va prendre un verre pour se détendre dans un bar, et rembarre vertement un dragueur en lui indiquant qu'elle ne dispose pas d'appareil génital. Elle rentre chez elle dans le quartier gay d'Astro City. Elle se souvient de ses débuts. Quelques jours après, MPH (un autre superhéros) lui remet des informations qui pourraient lui permettre de découvrir sa véritable origine, sa mémoire lui jouant des tours.
Busiek et Anderson racontent leur version de l'individu différent au point de n'être à sa place nulle part, sans aucun espoir de s'intégrer, quels que soient les efforts qu'il consente. Le lecteur familier des comics pense évidemment à Vision des Avengers et ses tourments d'androïde synthétique dans un monde d'humains. Là encore, les auteurs réussissent à dépasser cette référence classique (dans le monde des comics), d'abord en greffant une quête des origines qui se heurte à un blocage mémoriel. Ensuite, ils associent Beautie à un mouvement de reconnaissance d'une minorité, celle des homosexuels. Anderson joue le jeu de toujours dépeindre Beautie comme une poupée Barbie, sans masquer sa peau de plastique, ou ses articulations un peu limitée dans ses degrés de liberté. Il n'y a pas d'idéalisation du corps féminin, avec des proportions relevant du fantasme.
Séquence après séquence, cette apparence rigide et factice colore les remarques de Beautie, conférant une réalité accrue à sa situation d'isolement, à part de l'humanité. À nouveau l'approche prosaïque et descriptive d'Anderson inscrit Beautie dans un monde équivalent au nôtre, rendant sa solitude très concrète, dans toute sa pesanteur désespérée.
Au fil de l'histoire, le lecteur découvre que Busiek utilise cette superhéroïne pour raconter une histoire à la dimension humaine très touchante, une situation familiale terrible et difficile à supporter (l'absence d'amour d'une mère pour son enfant). Sous des dehors de superhéros aux costumes moulants et criards, Busiek et Anderson évoquent un drame intime douloureux et complexe.
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- Astra (2009, 2 * 24 pages) - Astra vient d'obtenir son diplôme universitaire. Elle décide de célébrer l'événement en allant danser avec ses camarades dans une boîte de nuit. Découvrant que la presse à scandales vole des images d'elle par le biais de caméras espions autonomes, elle décide d'emmener son ami chez la Furst Family pour lui faire découvrir un nexus spectaculaire dans une dimension parallèle.
Après l'exposition du traumatisme de Beautie tout en finesse et en délicatesse, il est difficile de croire que Busiek et Anderson puissent renouveler ce degré d'intelligence émotionnelle. Le lecteur se laisse donc embarquer dans les soucis de cette pauvre fille riche qui a tout pour elle. Ça ne rate pas : science-fiction à gogo, avec effets spéciaux pyrotechniques.
Astra Furst explique à Matt Zimmer (son cavalier de la soirée) comment elle est harcelée par les médias qui ne voient que son côté glamour, ou plutôt qui choisissent de ne montrer que cet aspect car c'est celui qui fait vendre du papier. De son côté, Matt découvre le monde merveilleux dans lequel elle évolue, avec des extraterrestres et des superhéros à tous les coins de rue (il y en a même qui sortent du ruisseau qui passe dans un jardin public).
À nouveau, Anderson fait ressortir le contraste entre la normalité des individus et les endroits magiques et enchanteurs dans lesquels ils évoluent, avec un hommage appuyé à l'inventivité visuelle de Jack Kirby.
Astra Furst se révèle une jeune femme avec la tête bien faite, des valeurs morales altruistes sans être naïve. Petit à petit, le lecteur prend conscience du décalage existant entre son image, et son quotidien. Puis l'intrigue révèle une composante inattendue, et le lecteur se rend compte qu'il a pris fait et cause pour Astra, qu'il s'est projeté dans sa situation, dépassant ses a priori sur sa vie dorée. Busiek et Anderson ont renouvelé leur exploit de rendre leur pimpante héroïne très humaine, devant accomplir des choix difficiles, souhaitant utiliser au mieux ses talents, incapable de se reconnaître dans l'image que lui renvoie son entourage, souffrant de ce décalage extrême entre sa représentation intérieure et celle du public. Bref, un être humain faisant l'apprentissage de la vie, comme tout à chacun.
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- Silver Agent (2010, 2 * 24 pages) - Dans ces 2 épisodes, le lecteur découvre enfin comment Silver Agent (Alan Jay Craig) a acquis ses pouvoirs, et ce qu'il lui est arrivé entre le moment où il a disparu de sa cellule, et celui où il y est revenu. Silver Agent voyage à différentes époques, ce qui permet également de comprendre comment il a pu apparaître après sa mort.
Pour bien comprendre l'intrigue de cette dernière histoire, il vaut mieux avoir lu les tomes précédents d'Astro City, en particulier ceux dans lesquels Silver Agent apparaît. Busiek et Anderson s'accordent un récit pétri de continuité interne, ne prenant son sens que dans le contexte de précédentes aventures. De ce point de vue, ce récit perd en intensité par rapport aux autres qui étaient autonomes.
Busiek et Anderson n'ont peur de rien puisqu'ils se sont fixé la tâche de convaincre le lecteur de l'altruisme d'Alan Jay Craig. Cela commence par sa vocation contrariée de policier, son aspiration de se mettre au service du public, de se rendre utile, de contribuer activement à la société. Le lecteur se retrouve donc à suivre les aventures rocambolesques de Silver Agent (superpouvoirs et voyages à plusieurs époques du futur). Anderson mêle des évocations des années 1960, d'une Amérique légèrement idéalisée, avec des représentations d'un futur fleurant bon la science-fiction d'antan, dans une logique visuelle cohérente.
Malgré le savoir faire des 2 créateurs, le lecteur n'arrive pas à être convaincu du sacrifice final (déjà connu car montré de manière explicite dans les tomes précédents). Silver Agent est prêt à mourir pour ses idéaux comme un bon soldat pur et désintéressé, dans un monde clairement plus complexe, avec des individus aux motivations réalistes (et donc pas angéliques) et des situations parfois moralement ambigües. Ce décalage finit par saper la plausibilité d'un tel individu.
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- Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross ont recommencé à inviter le lecteur à séjourner à Astro City en 2013. Les 6 premiers épisodes de cette nouvelle série sont regroupés dans Through open doors.