Sir Lionel Barrington dirige une multinationale qui emploie 40.000 personnes à travers le monde. Un géant qui fabrique, entre autres, des mines antipersonnel. Des mines soi-disant "intelligentes", mais qui ont causé la mort du petit Mustapha Abdullah Ibrahim, sept ans, en 2013. Du coup, les ONG Handicap International et Human Rights Watch ont porté plainte en justice contre Sir Barrington. Cette plainte, la cour d’appel de Manchester vient de la rejeter. Pour fêter cette victoire sur ces "hypocrites de pacifistes", l’industriel britannique organise une petite garden-party chez lui. Lionel Barrington est d’excellente humeur jusqu’à ce que son fils, suivi quelques secondes plus tard par sa femme enceinte jusqu’aux yeux, marchent tour à tour sur des mines antipersonnel placées dans le jardin par une mystérieuse organisation baptisée Shi, un idéogramme japonais qui symbolise la mort. De quoi s’agit-il? Pour le découvrir, on retourne dans l’Angleterre du XIXe siècle, plus précisément en 1851, l’année de l’inauguration de la première Exposition universelle. Toute la famille du vénérable colonel Winterfield est présente pour être parmi les premiers à visiter le majestueux Crystal Palace, le lieu qui accueille cette exposition à la gloire de l’empire britannique. Jennifer, la bouillonnante jeune fille du colonel, profite de sa présence à l’exposition pour s’adonner à sa nouvelle passion: la photographie. Mais au moment où elle est sur le point de prendre un daguerréotype d’une femme japonaise portant un bébé dans ses bras, elle se rend compte avec horreur que l’enfant est mort! Voulant à tout prix étouffer un scandale susceptible de nuire à leur événement, les organisateurs de l’Exposition universelle décident d’enterrer le cadavre du nourrisson dans les jardins entourant le Crystal Palace. Mais c’est sans compter sur Jennifer, qui prend la jeune Kita sous son aile afin de l’aider à récupérer son bébé. C’est le début d’une aventure qui va mener deux femmes, une noble anglaise et une Japonaise, à partir en croisade contre la très conservatrice et hypocrite société britannique de l’époque.
Zidrou nous surprendra toujours. Le scénariste belge, auteur aux multiples facettes, a eu l’excellente idée de s’associer au dessinateur catalan Josep Homs, l’homme qui a adapté en bande dessinée les romans "Millenium", pour proposer une nouvelle série originale et ambitieuse. Originale… mais présentant malgré tout des points communs avec d’autres livres signés Zidrou. La comparaison la plus évidente est sans doute celle avec "La Mondaine", qui se déroule également sur deux époques et qui est, elle aussi, particulièrement sombre et sensuelle. Car si Zidrou est connu pour sa faculté à créer des personnages forts et attachants (c’est à nouveau le cas avec Jennifer et Kita, les deux héroïnes insoumises de "Shi"), il aime plus que tout explorer les côtés les plus sombres de l’âme humaine et notamment les déviances sexuelles. Le colonel Winterfield et ses amis, par exemple, sont des héros de guerre a priori très convenables, mais ils adoptent un tout autre visage une fois qu’ils se retrouvent entre hommes dans leur fumoir ou au bordel. Mélangeant habilement lutte des classes et combat féministe, "Shi" est un récit puissant, dans lequel Zidrou fait preuve comme à son habitude d’un sens aigu du rythme et du dialogue. Mais au-delà du scénario, la réussite de cette nouvelle série tient aussi et avant tout à la formidable mise en images de Josep Homs. Effets cinématographiques, cadrages, couleurs, ambiances: tout y est! Cerise sur le gâteau: le premier tirage de l’album s’accompagne d’un cahier graphique dans lequel on retrouve notamment les recherches du dessinateur espagnol pour le projet de couverture. Un régal pour les yeux.
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