Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2013/2014, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Steve Epting, et mis en couleurs par Elizabeth Breitweiser.
L'histoire commence à Paris en 1973. Jefferson Keller (X-opérateur 14) exécute froidement sa cible dans un restaurant. Il est lui-même abattu froidement au cours de sa fuite par un tireur non identifié. Manning, le directeur de cette agence secrète d'espions (ARC-7), fait le point de la situation le lendemain avec les agents de l'agence, en présence de Velvet Templeton sa secrétaire. Cette dernière se remémore sa liaison avec Keller en 1968. Quand Colt l'agent de Londres indique que les indices désignent Frank Lancaster comme étant le coupable, elle sait qu'il y a quelque chose de pourri. Sa mémoire eidétique lui fait se souvenir d'une bizarrerie dans une note de frais de Keller, il y a quelques semaines. Velvet Templeton n'a pas toujours été la secrétaire du directeur Manning.
En 2005, Ed Brubaker et Steve Epting replacent Captain America en tête des ventes, de manière magistrale, à commencer par La légende vivante. Le lecteur se lance dans la découverte de leur collaboration sur leurs propres personnages avec un haut niveau d'attente.
Ed Brubaker a choisi de situer son récit en 1973, pour une raison qui n'apparaît pas dans ces épisodes. Par contre, le lecteur a le plaisir de constater que Steve Epting a joué le jeu, et qu'il a effectué ses recherches de référence avec soin. C'est d'autant plus visible pour un lecteur français quand apparaît un policier coiffé d'un képi, avec un uniforme conforme à celui de l'époque. Epting ne dessine dans un registre photoréaliste obsessionnel ; les quelques éléments qu'il dessine de ce policier dans une scène de nuit suffisent à le rendre plausible et substantiel.
Tout au long de ces 5 épisodes, le lecteur peut ainsi apprécier la qualité de la reconstitution, qu'il s'agisse d'un carrousel d'appareil de projection de diapositives, des modèles de voitures, d'une salle occupée par des ordinateurs massifs à bande magnétique, des modèles de maillots de bain (sur une plage des Bahamas en 1956), etc. Epting se révèle être un chef décorateur et un accessoiriste rigoureux et intelligent. Il reconstitue avec aisance l'atmosphère des casinos de la principauté de Monaco, où Velvet Templeton arbore une robe magnifique.
Le degré d'investissement d'Epting se perçoit également dans la régularité de la présence des arrières plans. Il y a bien quelques suites de cases pendant lesquelles il appartient à Elizabeth Breiweiser de maintenir l'ambiance de la séquence par le biais de la couleur, mais jamais sur une page entière. Epting trouve un savant point d'équilibre entre des cases avec des décors détaillés, des cases avec le rappel d'un élément de décor, et des cases sans arrière plan. Le lecteur n'a jamais de mouvement de recul le faisant sortir du récit, parce qu'il a l'impression de voir des acteurs s'agiter sur une scène de théâtre.
Steve Epting dessine les personnages de manière naturaliste, avec des postures réalistes. Il conçoit les scènes d'action de la même manière. Il est possible de percevoir dans certaines images des hommages discrets (il faut savoir ce que l'on cherche pour le reconnaître) à James Bond ou Modesty Blaise, ou encore à Nick Fury (version Jim Steranko, avec la combinaison permettant de planer). Epting compose des planches comprenant une moyenne de 4 ou 5 cases, aboutissant à une narration fluide et rapide, sans être creuse. Il a gagné en maîtrise des aplats de noir, jouant avec les ombres de manières sophistiquée et esthétique.
Ce jeu d'ombres est en cohérence avec la recherche de la vérité dans laquelle se lance Velvet Templeton, dans le monde de faux-semblants qu'est l'espionnage. Comme à son habitude, Ed Brubaker maîtrise les conventions du genre et les utilise avec maestria. Au départ, le lecteur peut sourire de l'idée de voir Miss Moneypenny (la secrétaire dans la série James Bond) transformée en espionne clandestine. Brubaker dépasse vite le stade de cette référence, pour faire de Templeton un personnage complexe, séduisant et fascinant, de plus de 40 ans. Il ne révèle que quelques bribes de son passé, qui suffisent largement à la légitimer (et bien plus encore) dans le rôle d'enquêtrice sur l'exécution sommaire de Jefferson Keller.
Ed Brubaker ne transforme par Velvet Templeton en une superhéroïne, ou une Nick Fury au féminin, encore moins en James Bond en jupon. Il déroule d'abord une intrigue haletante, avec l'enquête sur les circonstances de l'exécution de l'opérateur 14, et en même temps l'histoire personnelle de Velvet Templeton dépourvue de toute niaiserie, et plausible dans le cadre du récit de genre de type "espionnage". Brubaker gère à la perfection le rythme de son récit, alternant scène d'action et scène d'interaction entre les personnages, dosant avec intelligence les révélations du passé, et les quantités d'informations.
Dans un récit d'espionnage, le lecteur peut vite se sentir perdu du fait de ce que l'auteur ne lui dit pas, ou du fait de situation rendue complexe à loisir par des personnages jouant double ou triple jeu, sans qu'il en ait conscience, tissant une tapisserie inextricable de fils entremêlés au-delà de tout espoir de compréhension sans prendre de note. Ici, rien de tout ça. Brubaker et Epting ont soigné le rythme de leur récit et la structure de leur narration de telle sorte à intégrer les conventions du genre, sans jamais donner au lecteur l'impression qu'il a raté une marche, ou qu'il doit revenir plusieurs pages en arrière pour vérifier un événement ou un propos.
Avec ce premier tome, Ed Brubaker et Steve Epting proposent un récit d'espionnage solidement ancré dans une époque clairement identifiée, respectant tous les codes de ce genre, sans jamais tomber dans des séquences stéréotypées. Ces 5 épisodes constituent une entrée en la matière substantielle, divertissante à souhait, avec un personnage principal immédiatement attachant, mystérieux tout en restant plausible, femme d'action sans oublier de réfléchir, perspicace sans être infaillible.