Bakuman était à l’origine un coup de cœur, et achat, quelque peu déraisonné, la simple candeur de son pitch romantique sur fond de mangaka en herbe ayant follement attisé ma curiosité : chose finalement dès plus ironiques, dans la mesure où je pensais que l’un des axes scénaristiques du manga serait la « conquête » de son grand amour par Moritaka. Son premier chapitre contredira ce postulat au gré d’une déclaration impromptue et d’une promesse improbable : soit, tout le monde peut se tromper.
Il est toutefois très intéressant d’observer la manière dont Bakuman va jouer de ce prisme sentimental, celui-ci s’insérant dans un décor aux confins du documentarisme exotique : à savoir le fonctionnement de l’industrie du manga vu de l’intérieur. En nous invitant à découvrir les rouages de sa plus emblématique maison d’édition, Shūeisha, le manga de Tsugumi Ōba et Takeshi Obata (tandem familier du Weekly Shōnen Jump) propose une expérience d’autant plus inédite pour le lecteur occidental : mais comment construire une intrigue captivante comme efficace au moyen d’un tel sujet, que l’on qualifierait volontiers de marginal au regard de ses propres réflexions ?
Primo, il faut bien convenir que la densité de son contenu, au point de tenir en vingt volumes, fait de sa relecture un indispensable ; dans le même temps, on ne peut que s’étonner d’une telle longévité lorsque les rouages de l’édition sont rapidement établis, et que seule la composante romancé permet finalement pour faire avancer le schmilblick. Là est d’ailleurs le revers de la médaille de Bakuman, qui a tôt fait de s’enliser dans un schéma parfois redondant après la fraîcheur des premiers volumes : les tenants cocasses comme attendrissants du couple Moritaka/Azuki finissent par s’essouffler, et le manga tire à n’en plus finir sur la corde de l’ingérence sentimentale chez ses personnages.
Et tandis que le destin semble s’acharner à ralentir par tous les moyens possibles la carrière de Muto Ashirogi, on en vient à penser que Bakuman embrasse avec un peu trop de zèle son étiquette documentaliste/testamentaire en tâchant de couvrir toutes les facettes du métier, surtout les plus inconfortables. Chemin faisant, l’impression que le manga cherche par tous les moyens à tirer en longueur (et extraire ainsi le maximum de sève de son sujet) se dégage, notamment à l’aune de « l’arc » Nanamine, le plus improbable (et finalement le plus shonen) du lot.
Pour autant, l’intérêt demeure bien jusqu’à son terme, surtout de par le regard qu’il porte sur toutes les ambivalences qu’invoque l’univers de l’édition : entre passion artistique et intérêts pécuniaires, le milieu se traduit par un semblant de paradoxe que les auteurs n’auront de cesse d’aborder, quand bien même leur propos paraîtrait parfois complaisant et trop peu satirique (compte tenu de ses conditions de publication, le contraire eut été surprenant). Et je dois bien confesser mon plaisir coupable pour tout son versant à l’eau de rose, dont le dénouement m’aura une fois encore arraché un sourire niais.
Dans la droite lignée d’une galerie (certes trop large) de protagonistes attachants et de la rivalité incarnée par Eiji Niizuma, Bakuman constitue donc envers et contre tout une petite curiosité valant amplement le coup d’œil : car en dépit de faiblesses patentes, le sujet passionnant qu'il met en scène est finalement un argument de lecture à lui-seul.