Avec Batman : Année Un (1987), Frank Miller et David Mazzucchelli nous offrent une plongée sombre et nerveuse dans les origines du Chevalier Noir. Ce récit dépouillé de gadgets farfelus et de super-vilains cartoonesques met un point d’honneur à nous montrer un Batman tâtonnant, bien décidé à faire le ménage dans Gotham… un balai dans une main, un batarang dans l’autre.
L’histoire s’ouvre sur deux hommes à des points cruciaux de leur vie : Bruce Wayne, qui rentre à Gotham après des années d’entraînement façon globetrotteur ninja, et Jim Gordon, fraîchement transféré dans une ville plus corrompue qu’un match de boxe truqué. Entre la quête de justice borderline de Bruce et le combat moral de Gordon contre la pourriture de son propre département, le récit jongle habilement entre deux parcours qui finiront par se croiser dans une ruelle sombre (évidemment).
Bruce Wayne est ici un Batman à l’état brut. Pas encore le génie tactique ou le héros mythique qu’il deviendra, il est surtout un type en costume de chauve-souris qui se prend quelques belles raclées en essayant d’imposer sa loi. Ses débuts sont maladroits, mais c’est précisément ce qui les rend captivants : on sent l’humain derrière le masque, un homme encore en train d’apprendre à canaliser sa rage et sa mission.
De l’autre côté, Jim Gordon est presque plus héroïque que le héros. Son arc, mêlant intégrité, lutte contre la corruption, et une vie personnelle compliquée, est le cœur émotionnel du récit. C’est un homme debout dans un marécage de flics pourris et de criminels en costume-cravate, une figure admirable qui montre que Gotham ne mérite peut-être pas entièrement d’être rasée.
Visuellement, David Mazzucchelli est à son meilleur. Son style réaliste et dépouillé colle parfaitement à l’ambiance urbaine et sale de Gotham. Les scènes nocturnes respirent la tension, et les cases dynamiques donnent un rythme haletant aux séquences d’action. Cependant, cette simplicité graphique peut parfois sembler un peu austère, surtout pour ceux habitués à des Batman plus flamboyants.
Frank Miller, fidèle à lui-même, écrit avec un ton sombre et direct, mais sans sombrer dans l’excès cynique qu’on lui reproche parfois. Les dialogues sont ciselés, les monologues intérieurs frappants, et le récit avance sans temps mort. Mais si cette sobriété narrative est une force, elle peut aussi donner l’impression que l’histoire manque un peu d’éclat ou de moments vraiment mémorables.
Le principal défaut de Batman : Année Un réside peut-être dans son choix de rester extrêmement réaliste. Les fans de la galerie de vilains extravagants de Batman risquent de trouver cet opus trop "terre-à-terre", sans le grain de folie qui fait aussi le charme de Gotham.
En résumé, Batman : Année Un est une relecture puissante et crédible des débuts du Chevalier Noir, où Frank Miller et David Mazzucchelli privilégient l’humain et la tension dramatique à l’esbroufe et au spectaculaire. Une œuvre qui rappelle que derrière chaque légende, il y a un début bancal, et que parfois, les plus grandes batailles se livrent dans les coins les plus sombres… avec ou sans cape. Une lecture à la fois sobre et marquante, qui ne perd jamais de vue l’essence même de Batman : un homme en lutte contre ses propres ténèbres.