Ce tome contient une histoire complète de type Elseworlds. Il y apparaît plusieurs personnages déjà présents dans Superman's Metropolis (1996). Il est initialement paru en 1999, coécrit par les époux Randy & Jean-Marc Lofficier, dessiné, encré et mis en couleurs par Ted McKeever. Ces 2 récits ont été complétés par un troisième : Blue Amazon Wonder Woman (2003), réalisé par les mêmes créateurs. Ces 3 récits ont été réédités, avec d'autres, dans Elseworlds: Justice League Vol. 2.


Après le décès de Lutor, Superman et l'équipe de Lois ont commencé à entreprendre d'importants travaux de rénovation urbaine, même si la distinction de classes sociales subsiste. Dans un bel immeuble d'acier, Bruss Wayne-Son et Dirk Gray-Son sont en train de s'entraîner en tirant des poids. Dirk rappelle à Bruss qu'ils doivent assister à un spectacle de psychomancie le soir même. Même si Bruss n'ajoute pas foi aux dires du docteur Arkham, tous les gens qui comptent seront présents. Dans une des rares tours de Metropolis où peu de personnes osent entrer, l'échevin Gord-Son s'entretient avec le docteur Arkham. Il lui demande de mettre fin à ces séances de psychomancie, car elles sont souvent suivies d'une vague de suicides. Le docteur Arkham se défend que ces séances ne font que mettre à jour des secrets déjà existants, qu'elles ne les créent pas. Gord-Son s'en va sans avoir obtenu gain de cause, mais en promettant à Arkham qu'il trouvera bien un moyen d'y mettre un terme. Le soir venu, le tout Metropolis se presse au Cabinet du docteur Arkham pour assister à la séance. Bruss Wayne-Son est présent, ainsi que le chancelier Hender-Son, Ol-Son, Strange-Son, et même la journaliste Vikki Vale. L'échevin Gord-Son est également présent, accompagnant sa fille Barbara Gord-Son.


Le docteur Arkham entre en scène, accompagné de 2 assistants qui amènent l'Homme-qui-rit, enchaîné à un plateau de bois redressé. Arkham explique que l'Homme-qui-rit a été réveillé de son état catatonique et que son hystérie schizophrène lui permet de voir le futur. Il propose qu'un membre de l'assistance pose une question. Ol-Son demande qu'elle sera la une du lendemain. L'Homme-qui-rit prononce un seul mot : Mort. Une fois le spectacle terminé, Arkham soliloque en face de l'Homme-qui-rit, évoquant la manière dont il a été assemblé par Lutor avant son décès, à partir membres des patients d'Arkham. Un individu sort de l'ombre pour demander à Arkham si tout s'est bien passé avec Gord-Son. Il répond qu'il constitue un danger potentiel. L'individu indique qu'il faut y remédier. Arkham libère l'Homme-qui-rit de ses chaînes et celui-ci fait apparaître des griffes effilées à l'extrémité de ses doigts et sort sur les toits pour aller assassiner Gord-Son.


Après le premier tome de la trilogie paru 3 ans auparavant, le lecteur retrouve avec plaisir cette atmosphère étrange. Le titre annonce clairement le film auquel le récit rend hommage : Nosferatu (1922) réalisé par Friedrich Wilhelm Murnau. L'emploi du terme de cabinet pour le spectacle du docteur Arkham met la puce à l'oreille du lecteur qui se rend compte que les auteurs rendent également hommage au film Le Cabinet du docteur Caligari (1920) réalisé par Robert Wiene. Il remarque également que les époux Lofficier ne sont plus assistés par Roy Thomas et effectivement la narration s'en trouve allégée d'autant, les coscénaristes n'ayant pas recours à des cellules de texte contenant des extraits des films. Enfin, alors qu'il s'attend à découvrir une version vampire de Batman, sous forme d'une transposition littérale de Nosfertu, lui-même une adaptation officieuse et non autorisée du roman Dracula (1897) de Bram Stoker (1847-1912), il découvre une histoire qui n'a que le nom comme rapport avec le film. Randy & Jean-Marc Lofficier tirent pleinement parti de la liberté offerte par les récits Elseworlds dont le principe est de réimaginer un personnage classique de l'univers partagé DC, dans un autre contexte pour en faire une nouvelle version.


Effectivement les coscénaristes piochent dans la mythologie de Batman, en utilisant des noms familiers un peu déformés. Le lecteur comprend qu'il voit apparaître des versions différentes de James Gordon, Dick Grayson, Barbara Gordon, Vikki Vale, ou encore Jimmy Olsen. Les Lofficier ont choisi de refusionner Metropolis et Gotham en une seule ville, Metropolis correspondant à ses beaux quartiers, ou ceux en passe de le devenir, Gotham étant les quartiers enténébrés, abritant les populations infréquentables pour différentes raisons, aussi bien des criminels que parias comme les individus internés dans l'asile d'Arkham. Le lecteur se lance tête baissée dans le jeu de l'identification et des comparaisons, mais il se rend compte que le fonctionnement du récit ne repose pas sur ce jeu et que les coscénaristes profitent pleinement de la liberté qui leur est donné. Ainsi le lecteur voit apparaître Bane le temps de 2 pages, pour tenir le rôle du coupable tout désigné, sans qu'il ne réapparaisse par la suite. Alors qu'il pensait avoir bien compris les règles du jeu et être à même d'anticiper le déroulement de l'histoire, de voir venir les révélations plusieurs pages à l'avance, le lecteur se rend compte que les Lofficier racontent une histoire originale, se servant des personnages connus pour créer des résonances, sans se sentir prisonniers des versions originales.


L'intérêt de l'intrigue ne réside donc pas dans le processus de transformation de Bruss Wayne-Son en une variation de Batman. En fait, ce processus s'intègre dans l'intrigue de manière organique sans en devenir l'élément principal, reléguant tous les autres en arrière-plan. Dès la première page, le lecteur plonge dans une atmosphère étrange, avec un environnement baignant dans une technologie qui continue d'emprunter à celle du film Metropolis (1927) réalisé par Fritz Lang, sur un scénario de sa femme Thea von Harbou. En fait l'histoire s'ouvre sur un dessin, ou plutôt une peinture en pleine page, montrant le sigle de la chauve-souris sur un ciel gris, et des tiges à épines s'enroulant autour d'un mât. Il s'en suit une autre peinture en double page où les gratte-ciels sont un peu de guingois, sous un pâle soleil qui n'arrive pas à dissiper la grisaille. Les dessins de Ted McKeever décrivent bien des lieux, mais avec l'utilisation d'une licence artistique entre poésie et expressionnisme. Il ne s'agit pas d'une bande dessinée muette, ni même en noir & blanc. La robe de Barbara Gord-Son est rouge vif soutenu, et une prostituée à une chevelure rousse. Mais l'artiste ne se sent pas tenu par la verticalité ou des perpendiculaires bien droites. Il compose certains environnements en les tordant, en y installant un élément décoratif signifiant ou un peu incongru, pour inspirer une réaction émotionnelle. L'architecture de la tour servant d'asile ne fait pas vraiment sens, mais elle évoque bien la spirale des pensées s'enroulant sur elles-mêmes, prisonnières d'une logique défectueuse.


Ted McKeever use de la même licence artistique pour représenter les personnages. En surface, ils présentent d'étranges caractéristiques morphologiques : un menton trop effilé, ou de guingois et asymétrique, des épaules tombantes, un cou inexistant, des sourcils aussi épais qu'une moustache, une taille aussi fine qu'une cheville, une dentition avec trop de dents, etc. Cependant ces représentations répondent à une logique interne cohérente du début jusqu'à la fin. Le lecteur ressent qu'il s'immerge dans une vision entre réalité et songe macabre, une partie de ce qu'il voit correspondant plus à un ressenti qu'à une description clinique. Cette forme de narration visuelle permet également de remettre en cause la manière dont le lecteur perçoit a priori les personnages qu'il connaît déjà. Super-Man devient un être anthropoïde étranger, indéchiffrable même s'il est a priori animé de bonnes intentions. L'Homme qui rit n'est plus un être humain, mais il ne ressemble pas à la créature de Frankenstein pour autant. Les civils ne sont pas déformés dans leur représentation au point d'en devenir des monstres, mais assez pour que l'existence de l'Homme qui rit et des autres soit visuellement plausible. Les représentations de l'artiste font ressortir ce qu'il peut y avoir de grotesque dans un individu, avec une connotation inquiétante : en fonction de son état d'esprit, le lecteur peut y voir une vision macabre, ou parfois sarcastique à en devenir moqueuse.


La narration visuelle transporte donc le lecteur dans un temps révolu, avec quelques éléments gothiques. Il essaye d'anticiper l'intrigue, sachant pertinemment qu'il s'agit d'une histoire d'origine pour un Batman alternatif, mais en étant souvent dérouté par l'emploi inattendu très limité qui est fait du film donnant son titre au récit, par l'emploi des personnages issus de la mythologie de Batman conformes ou à contre-emploi, et par l'intrigue très linéaire et peu surprenante. Il lui faut prendre un peu de recul pour que cette genèse de Batman prenne du sens, pour que son existence trouve son sens dans cette ville Metropolis/Gotham à 2 facettes. Randy & Jean-Marc Lofficier indiquent que tout aussi solaire qu'il soit, Super-Man ne peut pas être le héros ou le représentant de tous les habitants de la mégalopole, ce qui devient ainsi une évidence.


Le lecteur se lance dans cet ouvrage avec une idée bien claire de ce qu'il va trouver. Il retrouve effectivement les dessins distordus de Ted McKeever qui relève d'une approche expressionniste douce, en phase avec la nature du récit. Il progresse dans une intrigue classique et prévisible, mais qui fait un usage surprenant des ressources de l'univers de Batman pour arriver à un éclairage inédit de la justification de son existence. Un récit un peu court.

Presence
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le 12 avr. 2020

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