Au premier coup d'œil, le dessin de Jim Aparo et les à-plats de couleurs très datés ne préfiguraient pas une œuvre révolutionnaire, à plus forte raison si on les compare avec le travail de David Mazzucchelli sur Year One ou le Kraven de Mike Zeck, tous deux sortis l'année précédente (1987), sans parler du Joker de Brian Bolland publié la même année. Du côté de l'écriture, Jim Starlin nous livre un récit sans subtilités, truffé de ce que l'on pourrait qualifier, en restant gentils, de grossières ficelles scénaristiques et de raccourcis trop faciles -- comme le fait que Batman, Robin et le Joker se retrouvent au même moment à l'autre bout du monde pour des raisons différentes (!) ou des dénouements assez invraisemblables :
la mère de Jason Todd, qui vient de retrouver son fils, le trahit aussitôt et le condamne à mort pour poursuivre ses affaires avec un tordu comme le Joker... Un Joker ensuite nommé ambassadeur d'Iran auprès du Conseil des Nations Unies...
On passera aussi sur le fait que Bruce Wayne et Robin s'expriment parfaitement en farsi (ce qui, au Liban, est à peu près aussi utile que parler le tagalog ou le danois...) et donnent du effendi à tout bout de champ avec la finesse ethnographique des aventures de Tintin.
Et pourtant, derrière cette accumulation de clichés et cette relative paresse scénaristique se cache l'un des albums les plus surprenants de son époque. A la fin du deuxième numéro, un encart propose aux lecteurs un numéro de téléphone et le choix de voter si Robin doit ou non survivre dans le prochain numéro ! Dix ans avant les premiers épisodes de la télé-réalité le concept était pour le moins osé et novateur. L'histoire retiendra que le sort de Robin s'est joué à quelques voix près (peut-être même à un lecteur près qui se serait acharné à téléphoner et voter), et que les lecteurs ont choisi de le voir mourir. Un choix curieux mais qui démontre que le lectorat des comics a évolué au cours des années 80, avec des séries devenues plus matures (Daredevil) et des œuvres plus pessimistes (The Dark Knight Returns, Watchmen...) qui préfiguraient la fin de l'âge de bronze des comics et le début de l'âge sombre.
L'album se poursuit avec A Lonely Place of Dying qui marque la naissance du troisième Robin, un arc narratif contenu dans l'édition française de chez Urban Comics ainsi que dans les éditions américaines récentes.