Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2012/2013, écrits par Nick Spencer, dessinés et encrés par Riley Rossmo, et mis en couleurs par Jean-Paul Csuka. Les couvertures ont été réalisées par Frazer Irving.
Il y a 10 ans, Madder Red retenait plusieurs classes d'enfants en otage dans un théâtre, ainsi que leurs accompagnateurs. Il les a tous froidement exécutés, en torturant certains. Ce criminel apparaissait maqué (le masque sur la couverture). Il a été arrêté après avoir tué la dernière petite fille, grâce à l'intervention musclée et brutale d'un superhéros tout de blanc vêtu appelé The First. Aujourd'hui, Filmore Press souhaite apporter sa collaboration à une enquête de police : des meurtres de personnes âgées assassinées par un tueur en série. Press était l'individu qui se cachait sous le masque de Madder Red. À l'insu de la population de Bedlam, il a été rééduqué et réhabilité. Toutefois le médecin (simplement appelé le Docteur) est réticent à laisser son ancien patient s'impliquer ainsi dans une activité qui risque de faire vaciller son conditionnement. Il semblerait que Press porte un intérêt personnel à l'inspectrice chargée de l'affaire : Ramira Acevedo. Cette dernière marche sur des œufs car elle doit à la fois produire de réels résultats, et éviter d'affoler la population pour que le préfet Dennis Haybert conserve ses chances auprès des électeurs.
Les premières pages invitent le lecteur à plonger dans une ambiance très prononcée, sans vraiment de repère. Rossmo réalise des dessins réalistes, mais un peu lâches, un peu esquissés. Le masque porté par Madder Red est totalement indéchiffrable, à la limite de l'abstraction avec ses yeux parfaitement ronds. Le face-à-face avec The First s'effectue sur une scène, sans décors, avec un fond blanc. Les couleurs se limitent à différentes teintes de gris, du noir, et du rouge trop vif pour évoquer le sang. Par la suite, les dessins de Rossmo conservent cette apparence de spontanéité, en incorporant des décors qui permettent au lecteur de savoir où se déroule l'action.
Riley Rossmo (dessinateur de l'excellent récit complet Green Wake 1 &Green Wake 2, en VO) a une approche plus expressionniste que descriptive. Il bénéficie d'un metteur en couleurs totalement en phase avec sa conception artistique, voire il est vraisemblable que Rossmo lui ait donné des directives assez cadrées. Le lecteur ne doit donc pas s'attendre à une représentation détaillée de chaque environnement, ou à des portraits minutieux des personnages. Rossmo favorise l'impression qui se dégage de ses dessins, en exagérant les ombres, ou en simplifiant à l'extrême les traits des visages. Si une séquence l'exige, il peut quitter le domaine de l'évocation première de l'environnement, pour basculer dans une représentation interprétative. Par exemple, l'infirmière qui s'occupe de Madder Red n'a pas de visage, elle a la bouche cousue et porte une tenue blanche moulante, avec des bas résilles. Rossmo la représente telle que l'esprit de Madder Red la fantasme. De même les interventions sur ses mécanismes psychiques sont représentées sous forme de trépanation, avec découpage de la boîte crânienne, ce qui est à lire comme une vision interprétative, pas comme une description au premier degré. Il en va de même pour l'apparence du superhéros The First qui tient plus de l'archétype que de la réalité.
Nick Spencer s'est fait un nom chez Image Comics avec sa série Morning Glory Academy, et chez Marvel avec The superior foes of Spider-Man (VO). Il pose son récit avec cette séquence dérangeante dans laquelle Madder Red, totalement dépourvu d'empathie, terrorise et torture mentalement une petite fille, avant de lui couper froidement la gorge. Les dessins expressionnistes de Rossmo empêchent le voyeurisme et mettent le lecteur mal à l'aise, sans recourir à des litres d'hémoglobine ou à des images complaisantes. Le lecteur se dit que Spencer n'est pas loin du Joker de "Dark Knight returns" (l'hécatombe dans le studio de télévision), la froideur cynique en plus. Néanmoins cette référence reste à l'état de vague ressemblance et s'évanouit dès l'arrivée du superhéros brutal et sans personnalité.
Puis il prend le lecteur à contrepied en montrant un individu de moins de vingt-cinq ans, calme et appréhensif. Spencer montre tout de suite que Filmore Press a retenu un trait de personnalité de sa précédente identité : le côté froid et calculateur. Le lecteur ressent donc qu'il s'agit bien du même individu. Il suit donc avec intérêt à la fois les initiatives de Filmore Press pour essayer d'apporter sa contribution à l'enquête, et le traitement que le Docteur et l'Infirmière ont fait subir à Madder Red pour le réintégrer à la société. Avec l'aide des dessins expressionnistes de Rossmo, le récit met un pied dans le conte ou la métaphore, et le principe de la réhabilitation de ce monstre passe tout seul.
À partir de là, Spencer place le lecteur dans une position étrange et inconfortable. Filmore Press est bien un héros, dans la mesure où il fait preuve de courage. Toutefois, c'est bien son passé de tueur en série qui lui permet d'apporter quelque chose à l'enquête ; le lecteur ne peut donc pas oublier qu'il s'agit d'un individu dépourvue d'empathie ayant commis des crimes impardonnables. L'intrigue relative aux crimes de seniors relève du thriller bien noir, dans lequel l'ambiance compte plus la plausibilité. La découverte progressive du traitement de Madder Red fournit un contrepoint remettant en cause les principes moraux basiques, puisque l'autorité établie ment au public et utilise des moyens contestables, uniquement justifiés par une fin discutable.
Grâce à la forte identité graphique de Riley Rossmo, le récit malin et déconcertant de Nick Spencer tient la route. Le lecteur participe à une enquête sur des crimes glauques, aux côtés d'un ex-tueur en série, sans pour autant que la narration ne se vautre dans le dépressif. Il règne au contraire comme une forme d'espoir née la possible rédemption de l'ex Madder Red, rédemption aussi imméritée qu'immorale et imposée par des moyens que le lecteur ne peut pas cautionner. Spencer s'élève donc au dessus d'une dichotomie basique bien/mal, plaçant le lecteur dans une position où il a du mal à trouver ses repères bons/méchants, et où il doit s'interroger sur la fin et les moyens. Nick Spencer a encore écrit 5 épisodes de plus, regroupés dans le tome 2 (épisodes 7 à 11), dessinés par Ryan Browne.