Frank Miller et Geof Darrow revisitent de manière ludique l'imaginaire des robots sauveurs de la planète face à des menaces scientifiques ou extraterrestres. Une excellente idée a priori qui souffre malheureusement de terribles lourdeurs dans la narration.
Il y a en effet de quoi s’enthousiasmer sur la papier : proposer une belle édition complète du comics imaginé en 1995 par deux ténors de l’industrie américaine : au scénario Frank Miller, qu’on ne présente plus, et au dessin Geof Darrow dont on rappellera qu’il travailla avec Moebius dans les années 1980 et fut récompensé par des Eisner Awards non seulement pour Big Guy (meilleur dessinateur/encreur) mais aussi pour Hard Boiled (meilleurs auteurs), toujours en collaboration avec Frank Miller ; ainsi que pour Shaolin Cowboy (meilleur auteur réaliste).
Avec Big Guy & Rusty le garçon robot nos deux compères proposent une mini-série narrant l’affrontement entre un formidable robot américain, Big Guy donc, dernier rempart de l’Humanité face aux plus improbables menaces, et une sorte de monstre godzillesque apparu en plein milieu de Tokyo. Rusty quant à lui, appelé à devenir l’assistant de Big Guy, apparaît comme un avatar d’Astro/Atom, Japon oblige.
La série se présente comme un hommage aux séries animées et films de genre japonais, de l’Astro Boy de Tezuka aux différents kaiju tels Godzilla ou Mothra. Le tout dans un univers manichéen simili guerre froide gentiment parodié, car Big Guy se caractérise comme un véritable patriote américain. D’ailleurs, au-delà du comics lui-même, les personnages connaitront une déclinaison en dessin animé (deux saisons, pour 26 épisodes au total) au tournant des années 2000.
Le graphisme proposé par Geof Darrow s’avère assez époustouflant, avec un combat urbain absolument dantesque entre Big Guy et son adversaire en forme de lézard préhistorique géant. Mais la lecture se trouve rapidement marquée par deux apories : d’une part la finalité du projet, qui semble rapidement relever de la pochade ou de l’exercice de style, d’autre part la narration, effroyablement lourde.
On ne sait pas trop où vont nos auteurs au final, et l’on arrive au bout du volume avec l’impression d’une histoire qui n’a pas encore véritablement commencé. De Rusty, on n’aura rien ou presque, comme si l’ironie amusée dont font preuve les auteurs tout au long du titre tenait aussi au traitement d’un de ses deux personnages-titre, finalement simple figurant de sa propre aventure. Pour ne pas être frustré, il faudra prendre Big Guy & Rusty le garçon robot comme un jeu, vomme une sorte de parenthèse ludique.
En outre, pastichant toute une tradition du comics où la narration se faisait verbeuse voire précieuse, Frank Miller s’en donne à cœur-joie dans d’imposant cartouches on imagine parodiques mais rapidement indigestes dans les faits. Cet aspect vintage qui ne nous convainc guère possède cependant un pendant graphique positif, inventif et pertinent : une galerie de couvertures d’épisodes fictifs, traçant l’itinéraire imaginaire d’un titre dans l’Amérique de l’après Seconde Guerre Mondiale. Quelques planches tout à fait réjouissantes.
Au final, Big Guy & Rusty le garçon robot nous donne l’impression d’une promesse magique pas vraiment tenue et laisse un goût d’inachevé, d’inaccompli. On jubilera de découvrir l’univers, les personnages, les références, le ton global et le trait du dessinateur. Mais on déplorera le sentiment de vanité qui s’impose à l’issue de la lecture.
Chronique originale et illustrée sur ActuaBD