Ce tome fait suite à Birthright 06 (épisodes 26 à 30) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 31 à 35, initialement parus en 2018, écrits par Joshua Williamson, dessinés et encrés par Andrei Bressan, avec une mise en couleurs réalisée par Adriano Lucas. Comme d'habitude dans les recueils édités par la branche Skybound d'Image, les couvertures ne sont pas incluses à l'intérieur.
Sur une belle plage immense, juste après le coucher du soleil, Kallista est en bikini avec une bouteille de champagne à la main. Elle demande à Brennan Rhodes de bien écouter : il est assis dans une chaise longue en toile, les poignets attachés aux montants par une énergie magique, un bâillon sur la bouche fait de la même énergie. Elle explicite son propos : elle est en train de savourer le silence, quelque chose qui n'existe pas sur Terrenos où se font toujours entendre des appels à l'aide, le bruit des épées, les bruits des monstres dans la journée, ceux des morts la nuit, la clameur de la guerre… Elle ajoute qu'après avoir joui de ce silence et des autres paysages terrestres où il l'a conduite, ils vont se remettre à la recherche de son frère Mikey Rhodes et des 2 mages restants Samael et Mastema. Il y a des années de cela sur Terrenos, Mastema était en train de suivre un cours de magie avec une sorcière n'arrêtant pas de hurler sur ses élèves, exigeant qu'ils ressentent de la douleur pour pouvoir nourrir leur magie et construire ce que leur cœur désire. Mastema se concentre mais sa construction anthropoïde magique part en morceaux avant d'être achevée. La sorcière la prend violemment à partie, pour son manque d'implication et sa nullité. Sans prononcer un mot, Mastema réagit avec force oblitérant la sorcière et tous les élèves.
Après ces morts, le roi-dieu Lore reçoit sa fille Mastema et la tance sévèrement pour avoir éradiqué une génération entière de sorcières. Il ajoute qu'il lui a trouvé une maîtresse sorcière (Malena) qui va la prendre en apprentissage. Malena ne survit à son premier entretien avec Mastena qui réagit avec force alors que la maîtresse sorcière lui parle de la souffrance qui nourrit la magie. Le roi-dieu décide alors d'emmener sa fille voir les faons, des créatures ailées qui aident les sorcières à apprendre la magie. Il est en train de tous les faire massacrer par son armée afin d'offrir le dernier à sa fille en cadeau. Elle se retourne contre lui et déchaîne sa magie contre son père, en pure perte. Il lui demande pourquoi elle a fait ça, et contre toute attente elle répond de manière claire à haute voix. Au temps présent, sur Terre, deux chamans sont en train d'intervenir sur Rya pour achever de lui enlever ses ailes. Mikey Rhodes ne supporte pas d'entendre sa femme hurler de douleur, mais il est ramené à la raison par son grand-père Samael, et par ses parents Aaron et Wendy Rhodes.
Dès la première page, le lecteur se rend compte qu'il est d'abord revenu pour l'intrigue. Sur la base d'un récit de Fantasy classique (un héros balaise avec une épée pour aller combattre un méchant roi sorcier), avec une touche de de modernité liant Fantasy et monde réel, Joshua Williamson a su brouiller les cartes amenant son récit vers des territoires échappant au manichéisme pour une intrigue originale et pleine de suspense. L'enjeu reste de triompher du méchant roi sorcier, mais les personnages principaux ne sont pas tout entier dans le bien, ayant dû faire plus ou moins de compromis pour survivre. Du coup, le lecteur ne voit plus Mikey Rhodes comme un héros corrompu, ou comme un méchant hors de portée de toute rédemption : il est devenu un personnage complexe, façonné par la situation dans laquelle il s'est retrouvé, par les adultes qu'il a côtoyés, n'étant pas en mesure de faire des choix moraux de façon autonome, surtout qu'il était encore enfant. Autour de lui, les autres personnages ont également subi une situation sur laquelle ils n'avaient pas de prise, devant faire des compromis pour survivre, y compris quand il s'agit pour eux de venir en aide à quelqu'un d'autre. Du coup, les dilemmes moraux deviennent consistants et complexes, et enrichissent par voie de conséquence l'intrigue. Au sein de cette bataille du bien contre le mal, les individus du côté du bien ont dû s'adapter à leur degré d'impuissance, à leurs limites, sans retournement de situation miraculeux apportant une victoire au dernier moment. De ce fait le lecteur ne peut pas prévoir l'issue de chaque bataille, ni même les phases de son déroulement.
Le lecteur est également revenu pour les moments spectaculaires. Andrei Bessan et Adriano Lucas bénéficient d'une pause entre chaque groupe d'épisodes constituant un tome, ce qui leur permet de ne pas s'essouffler et de rester investis dans chaque chapitre. Le metteur en couleurs effectue un travail d'une qualité épatante. Il apporte de la substance aux formes, il en rehausse le relief en jouant sur les nuances. Le travail qu'il effectue sur les énergies magiques se voit de manière éclatante et est de toute beauté : spectaculaire et bien construit, donnant de la consistance à cet élément essentiel du récit. L'apport de Lucas ne se trouve pas que dans les aspects spectaculaires. Lorsque Mikey attend dans une pièce que l'amputation des ailes de sa femme soit terminée, le lecteur ressent un léger malaise à la vue de l'ambiance lumineuse, et de la texture du revêtement des murs et des canapés rappelant celle de la chair gorgée de sang. Lorsque Rook et Mikey se trouvent dans un désert, la mise en couleurs apporte l'ambiance lumineuse, la chaleur du sable, les nuages réfléchissant la lumière de l'atmosphère de Terrenos différente de celle de la Terre, les nappes de sable voletant dans le vent. La mise en couleurs et les traits encrés se complètent intelligemment, sans que l'un n'écrase ou ne supplante l'autre.
Grâce à la qualité de la narration visuelle, le lecteur peut croire en cette magie, ces personnages monstrueux et cette planète dans une autre dimension car ils ont tous assez de consistance et d'originalité. Du coup, les pages avec des cases sans décor ne provoquent pas de diminution de la sensation d'immersion. De temps à autre, Andrei Bressan atteint ses limites pour les descriptions de décors. Le lecteur français s'en aperçoit lors des séquences se déroulant à Paris. L'artiste sait reproduire de manière fidèle des lieux existants comme la pyramide du Louvre, le jardin des Tuileries, la promenade le long des quais, la cathédrale Notre Dame, les catacombes, mais dans un Paris dont la fréquentation aurait été divisée par 5 et dans des catacombes aux dimensions plus spacieuses que la réalité. Cela reste un détail au regard des représentations habituelles très fantaisistes de Paris par des dessinateurs américains. S'il continue à être tatillon, le lecteur peut également être surpris par le rythme de croissance du nouveau-né de l'épisode précédent qui est déjà capable de relever la tête, détail également mineur au regard du genre du récit et de son ton général.
La narration visuelle et l'intrigue fascine le lecteur pour un divertissement de grande qualité. Les auteurs savent intégrer de légères touches d'humour qui s'avèrent drôles comme la discussion sur les abeilles et les fleurs entre Rook et Mikey, ou l'air buté de Mastema enfant face à ses instructrices, ou le langage corporel de Zoshanna et Rya lors de leur prise de bec dans le désert. Les personnages ne se limitent pas à incarner des problématiques morales ou existentielles. Les auteurs les font aussi exister en tant qu'individus avec des problèmes personnels. Bien sûr les séquences sur l'éducation en sorcellerie de Mastena servent avant tout à montrer son sale caractère et sa cruauté pour en faire une ennemie méchante. Par contre, soumettre Brennan à la tentation du pouvoir ne se limite pas à une étape nécessaire à l'intrigue. Cette tentation joue sur les sentiments profonds de Brennan. À plusieurs reprises les instructrices en sorcellerie indiquent qu'il faut nourrir celle-ci de ses peines et de ses souffrances pour qu'elle fonctionne, pour qu'elle prenne vie. Étant un garçon plutôt sain, Brennan refuse de s'adonner à ses émotions négatives, à ses ressentiments, à ses névroses. Pour bénéficier de ces capacités extraordinaires, le prix à payer est une forme de maltraitance auto-infligée, ou plutôt une forme de régression. Il convient soit de revenir à l'étape de la colère dans le processus du deuil, soit de se laisser emporter par son refoulé. Au fur et à mesure que Brennan succombe à la tentation, prend plaisir à la sensation enivrante du pouvoir, Mikey prend la mesure de l'admiration qu'il porte à son grand frère et se fixe des limites, recommence à s'imposer une forme de discipline. Cette sorte de mouvement de balancier n'a rien d'artificiel et enrichit la relation entre les deux frères de façon naturelle.
Le lecteur part avec l'a priori que ce septième tome sera aussi bon que les précédents et il a entièrement raison. L'intrigue est toujours aussi haletante et surprenante, les personnages existent réellement, la magie est spectaculaire et consistante, les dessins permettent de se projeter dans chaque environnement. Il se trouve que ce tome est encore meilleur que les précédents car la relation entre les 2 frères Brennan et Mikey s'enrichit des affects et des ressentis générés par la disparition inopinée de Mikey enfant.