Ce tome contient une histoire complète qui se déroule dans l'univers partagé de Black Hammer . Il comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019, coécrits par Jeff Lemire & Ray Fawkes, dessinés et encrés en Matt Kindt, avec une mise en couleurs réalisée par Sharlene Kindt. Il contient également les couvertures originales de Matt Kindt, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Veronica Fish, Glenn Fabry, Denys Cowan, Sandford Greene, et 16 pages montrant des planches au stade crayonné, encrage et couleurs.


Au temps présent, Jean-Paul (JP) Desjardins se met un disque (un vinyle), et il arrose ses plantes en repensant au temps passé, à la seconde guerre mondiale quand il faisait partie de l'escadron Black Hammer avec Sidney (Hammer) Hawthorne, George (Grips) McReady et Li Zhang Yong. Il repense au fait que les journaux ne parlaient pas trop d'eux du fait de la couleur de leur peau, mais aussi qu'ils menaient à bout toutes leurs missions, étant une véritable force de la nature, la terreur de la machine Nazi. Il regarde les photographies de l'époque accrochées au mur, il parle à sa plante. Il finit par endosser son pardessus car il est temps de partir pour la cérémonie. Alors qu'il sort dans la rue, il se souvient d'une de leur mission. Il se tenait à un câble accroché à un bombardier allemand en plein vol, en train de progresser sur le dessus de la carlingue, suivant Sidney Hawthorne. Ils font sauter la porte du cockpit hors de ses gonds, balancent un explosif à l'intérieur et s'élance dans le vide pendant que leur parachute se déploie. Il se souvient encore d'autres hauts faits comme la destruction des laboratoires de Sturmhexen, la charge contre l'artillerie des soldats allemands à Bastogne, ou encore la mission contre Drakenkriegers.


JP Desjardins se souvient qu'en avril 1945 le major Thompson avait réuni ses troupes dans le grand hangar de la base pour confier sa dernière mission à l'escadron Black Hammer : se rendre dans un camp allemand à proximité de Vienne en Autriche pour libérer le scientifique Herman Greenbaum, sa femme Monika et leur fils Wilhelm. Hammer n'était pas plus impressionné que ça. Au temps présent, JP Desjardins entre dans le restaurant qui est la propriété de Li Zhang Yong. Ce dernier lui fait observer qu'il doit éteindre sa cigarette car c'est un établissement non-fumeur. Ils évoquent la dureté du commandement du major Thompson. Lors de ce briefing en avril 1945, le major avait fait observer que la surveillance militaire avait détecté que les 3 robots géants russes du sergent Aleksandra Nazarova. Cela signifie que le pilote allemand Oberst Klaus von Löwe (850 morts à son tableau) sera également dans les parages. Les membres de l'escadron Black Hammer se dirigent chacun vers leur avion de chasse. Sidney Hawthorne indique à George McReady qu'il s'agit de leur dernière mission, et que du coup lui, McReady (leur mécanicien) peut donc commencer à faire ses bagages et à rentrer chez lui. Au temps présent JP Desjardins et Li Zhang Yong montent dans la voiture de ce dernier qui conduit, malgré sa vue qui baisse. Il indique à JP qu'il est sûr qu'il est en train de penser à leur dernière mission, et qu'il porte encore la culpabilité du décès de Hammer.


Difficile de résister à l'attrait de cette série : elle s'inscrit dans l'univers très riche de Black Hammer, elle est réalisée par 3 auteurs de premier plan, elle constitue une histoire complète qui peut être lue indépendamment de toute autre. L'histoire a été conçue par Jeff Lemire et Ray Fawkes, ce dernier étant l'auteur complet de Underwinter . Matt Kindt est également un auteur complet, par exemple de Mind MGMT . Comme pour les autres superhéros de l'univers Black Hammer, le lecteur peut reconnaître un hommage aux univers partagés de DC ou de Marvel. Ici il s'agit en l'occurrence d'un hommage au groupe d'aviateurs des Blackhawk , créé en 1941 par Chuck Cuidera avec l'aide de Bob Powell et Will Eisner. Comme dans les autres séries Black Hammer, il n'est pas nécessaire d'être familier avec le modèle original car ceux-ci acquièrent rapidement leur propre originalité. Le lecteur voit passer quelques références à l'univers partagé de Black Hammer : 2 évidentes (Golden Gail et Abraham Slam), une plus pointue (Wingman). Les 3 créateurs racontent une histoire au premier degré, mais elle libère plus de saveurs si le lecteur est déjà familier avec la longue tradition de comics de guerre de DC et Marvel, et qu'il la considère comme une œuvre postmoderne, en particulier par la réutilisation de formes préexistantes.


Au premier degré, le lecteur découvre l'existence d'un escadron qui a accompli des missions très dangereuses contre l'armée allemande pendant la seconde guerre mondiale, et très souvent pour mettre un terme à l'existence d'individus dotés de pouvoirs ou de créatures surnaturelles. Les coscénaristes ont décidé de raconter l'histoire sur 2 lignes temporelles différentes : le présent où il est évident que Desjardins et Zhang Yong se rendent à une cérémonie commémorative pour leur chef d'escadron décédé, et dans le passé pour assister à leur dernière mission. Dans un premier temps, les dessins peuvent déconcerter le lecteur s'il ne connaît pas Matt Kindt. De prime abord, il peut se dire qu'il dessine simplement avec un crayon à la mine dure, ce qui fait qu'il n'a pas à encrer ses traits (en fin de volume, les pages à différents stades de réalisation montrent bien qu'il y a un encrage). En surface ses dessins peuvent donner l'impression qu'il s'agit plus de croquis rapides, que de représentations peaufinées. Les traits de contour et de texture semblent avoir été réalisés directement sans reprise ou correction, sans phase de consolidation. Cela donne une impression d'esquisse et de spontanéité, parfois même de naïveté dans la représentation. Dans le même temps, la narration visuelle est limpide, facile à suivre et comprenant tous les éléments prévus par le scénario. Toutefois, il est possible que le lecteur tique un peu sur les visages avec des yeux un peu grands et des lèvres un peu écrasées, sur les véhicules et engins qui reproduisent l'allure générale, sans détail technique ou volonté de description authentique. Le dernier combat aérien peut sembler raconté de manière désinvolte avec les traits pour figurer les acrobaties aériennes entre deux avions se poursuivant et cherchant à s'échapper.


Le lecteur découvre donc cette intrigue qui reprend des schémas classiques jusqu'à la commémoration sans panache, en notant en plus qu'en cours de route, Matt Kindt s'est trompé sur la position de la blessure d'Herman Greenbaum, à l'épaule gauche dans l'épisode 3, à l'épaule droite dans l'épisode 4. En fait, il n'est pas possible de lire cette histoire uniquement au premier degré, à la fois du fait de son rattachement à l'univers partagé de Black Hammer, à la fois parce que la route de Hammer et de PJ croise celle d'un petit groupe de militaires qui font immédiatement penser à Sgt. Rock (DC Comics, personnage créé en 1959, par Robert Kanigher & Joe Kubert) et à Sgt. Fury (Mavel Comics, créé en 1963 par Jack Kirby & Stan Lee), et celle d'Abraham Slam (fortement inspiré de Captain America même s'il n'a pas de bouclier). En outre, dans ses souvenirs, PJ Desjardins évoque également une patrouille de loups garous, un dragon… Là encore le lecteur reconnaît des éléments de la ménagerie développée par les scénaristes de comics de superhéros pour peupler la seconde guerre mondiale d'ennemis capables de résister aux superhéros, justifiant ainsi que la présence de superhéros pendant ce conflit n'ait pas suffi à emporter la victoire.


Ainsi le lecteur est amené à prendre un peu de recul par rapport au récit en lui-même. Il se rend compte que les caractéristiques des dessins de Matt Kindt et la mise en couleurs à l'aquarelle de Sharlene Kindt participent à créer cette distanciation. L'apparente naïveté des dessins induit que l'histoire est plus à prendre comme un conte que comme un reportage. C'est aussi ce qui permet au lecteur de consentir le niveau de suspension d'incrédulité nécessaire. Avec cet état d'esprit, il se focalise alors sur les thèmes propres du récit. Le premier est nourri par le fait que les 4 membres de l'escadron Black Hammer ne sont pas blancs de peau. Du coup, ils sont considérés comme un groupe à part plus pour leur couleur de peau que pour leur statut à part de commando extraordinaire. Toutefois, Fawkes & Lemire ne développent que peu ce point-là qui a déjà été un thème central dans d'autres comics comme Dreaming Eagles (2016) par Garth Ennis & Simon Coleby, et Captain America: Truth (2003) par Robert Morales & Kyle Baker. Le deuxième thème réside dans la culpabilité de Jean-Paul Desjardins. Il estime qu'il aurait dû trouver un moyen d'agir pour éviter la mort de son chef. Le fil narratif du temps présent finit par complètement occulter le fait qu'il s'agit d'un récit de guerre, et par aboutir à la commémoration de Sidney Hawthorne comme un héros de guerre, parvenant ainsi à occulter totalement la question morale de la guerre. Les auteurs parviennent à écrire un récit de genre, à s'affranchir de toute question sur la guerre, et à montrer en quoi les missions d'Hammer et son équipe ont eu un impact positif pour des dizaines de personnes. Le lecteur en ressort très décontenancé qu'ils aient ainsi réussi le pari d'écrire un récit de guerre postmoderne qui soit lisible par un adulte sans volet éthique sur la guerre.


Dans le monde postmoderne de l'univers partagé Black Hammer, cette histoire tranche par rapport aux autres. Elle aussi peut se lire au premier degré pour un récit faisant la part belle aux situations déjà vues, avec une narration visuelle à l'apparence étonnamment diaphane. Au second degré, elle réussit le tour de force d'être un récit de guerre qui ne porte pas de jugement sur la guerre en général, qui utilise des éléments fantaisistes tels que des robots russes géants pilotés par des militaires dont une femme, et de réhabiliter l'héroïsme premier degré des membres de cet escadron.

Presence
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le 3 oct. 2020

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