Ce tome contient une histoire complète, se déroulant dans l'univers partagé de Black Hammer créée par Jeff Lemire & Dean Ormston. Il comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Max Fiumara, avec une mise en couleurs réalisées par Dave Stewart. Fiumara a réalisé les couvertures originales des 4 épisodes. Ce tome contient également les couvertures variantes réalisées par Declan Shalvey & Jordie Bellaire, Jeff Lemire, J.G. Jones, Dustin Nguyen, Annie Wu, ainsi que 20 pages d'études graphiques avec quelques annotations des créateurs. C'est la deuxième série dérivée de Back Hammer, après Black Hammer présente : Sherlock Frankenstein & la ligue du mal par Lemire & David Rubín.


Au temps présent, le docteur Jim Robinson soliloque dans sa tête, comme s'il s'adressait à son fils Charlie. Dans le monde réel, il se trouve dans son ancien laboratoire doublé d'un observatoire avec télescope, et il se souvient de son obsession à découvrir la para-zone, une dimension en dehors de la nôtre, susceptible de contenir une source d'énergie infinie. Il se souvient comment, en 1941, il avait reçu la visite de 2 agents du ministère de la défense, lui offrant de travailler pour ledit ministère, en échange d'un financement gouvernemental, et de l'utilisation des découvertes de Robinson pour concevoir et construire des armes permettant de gagner la guerre contre les allemands. Robinson était retourné dans son appartement minable, pour en parler avec sa femme Joanie s'occupant de leur nouveau-né. Malgré les réticences éthiques de son épouse, il avait accepté de donner suite à ce recrutement. Après des semaines de recherche acharnées, parfois plusieurs jours d'affilée sans rentrer chez lui, il avait enfin mis au point un instrument sous forme de fer de lance montée sur un long manche.


Sans plus attendre, Jim Robinson avait activé la para-baguette et s'était élancé dans les cieux, réussissant à établir le contact avec la para-dimension. Il s'était rendu en volant à son appartement pour faire part de sa victoire scientifique à sa femme, pleine d'appréhension quant aux conséquences de sa découverte. Au temps présent, il se rend dans un hôpital pour visiter un malade. En 1942, dans un entrepôt, 6 superhéros Abe Slam, Wingman, Horseless Rider, Captain Night, Doctor Day et Golden Gail s'interrogent sur la l'opportunité de quitter Spiral City pour rallier l'Europe et se battre contre l'armée allemande qui dispose elle aussi d'individus dotés de superpouvoirs. Certains pensent que l'engagement dans le combat constitue un devoir de citoyens, d'autres qu'ils ne peuvent pas abandonner Spiral City alors que des supercriminels y sont en activité. Ils décident d'un vote à main levée qui ne les départagent pas car il y a 3 votes pour chacune des 2 propositions. Doctor Star arrive à ce moment-là et sa voix fait basculer le choix.


Le lecteur n'était pas forcément resté sur une bonne impression avec la série dérivée précédente, mais la promesse de la richesse de l'univers partagé conçu par Jeff Lemire est telle qu'il fait bien volontiers une deuxième tentative pour découvrir un récit se focalisant sur l'un des superhéros dudit univers. Il lui faut peu de temps pour comprendre que l'auteur réalise un hommage patent et déclaré comme tel à l'une des créations de James Robinson : Starman. Ce qui est plus surprenant, c'est que dans un premier temps, Lemire rend plus hommage à Ted Knight qu'à son fils Jack Knight. En effet le personnage principal (qui s'appelle James Robinson, et non ce n'est ni un hasard, ni une coïncidence) semble âgé d'une cinquantaine d'années et il revient dans son observatoire. En outre sa carrière de superhéros a débuté dans les années 1940, pendant la seconde guerre mondiale. Le lecteur retrouve donc intact le principe de base de cet univers partagé : un hommage référentiel aux superhéros de Marvel et DC, assumé et revendiqué. La démarche de Jeff Lemire est de nature postmoderne, utilisant des matériaux préexistants, combinant des superhéros préexistants, pour une forme de pastiche qui respecte totalement le matériau de base, qui embrasse les conventions du genre, sans les tourner en dérision. De la même manière que Kurt Busiek estime que le superhéros relève plus du média que du genre, car il est possible de raconter des histoires dans tous les genres existants, Lemire estime que les superhéros DC et Marvel constituent également un média.


Ici, le lecteur découvre l'histoire d'un individu ayant inventé un outil d'anticipation lui donnant accès à une source d'énergie extradimensionnelle fantastique. Il s'en sert pour devenir un superhéros et combattre le Troisième Reich, ce qui apparaît logique et assumé puisqu'il a été financé par le gouvernement des États-Unis. L'histoire commence en 1941 et se termine au temps présent du récit en 2018. Pour la mise en images de ce projet, Jeff Lemire (et les responsables éditoriaux) a recruté Max Fiumara, habitué à dessiner des récits d'une autre franchise Dark Horse, à savoir Abe Sapien, une série dérivée de la série BPRD et Hellboy. Il réalise des dessins dans une veine descriptive et réaliste, avec une légère exagération dans les visages et les silhouettes, mais pas assez pour basculer dans un registre comique ou une lecture pour enfant. Comme à son habitude, Dave Stewart accomplit un travail de mise en couleurs minutieux et inspiré. Il opte pour une approche naturaliste, avec une utilisation mesurée et maîtrisée des dégradés pour ajouter un peu de relief aux surfaces, une impression discrète d'ombres portées. Il ne se lance pas dans des camaïeux complexes pour remplir les fonds de case. Il utilise une teinte entre gris et brun pour une impression entre nostalgie et tristesse pour les séquences du temps présent.


Les pages d'étude graphique en fin de volume attirent l'attention du lecteur sur 2 ou compositions de page plus complexes. Dans les faits, ce n'était pas nécessaire car le lecteur a apprécié cette double page montrant James Robinson à plusieurs stades de ses recherches, l'étonnante apparence de Wingman en individu âgé (la soixantaine) avec encore ses ailes, ou encore la palanquée de superhéros de l'équipe Star Sheriff Squadron s'élançant vers l'espace. L'artiste impressionne encore plus par sa capacité à conserver une dimension humaine aux personnages, quelle que soit la nature de la séquence. La visite à l'hôpital montre James Robinson comme un individu normal, affecté par la peine de voir un proche ainsi rongé par le cancer, ainsi que la colère froide de l'épouse du mourant. Le jeu des acteurs est juste et naturel, transcrivant bien leur état intérieur, leur état émotionnel, sans pathos démonstratif. Le lecteur ressent pleinement leur désarroi et leur frustration devant la maladie, qu'ils expriment chacun à leur manière. Lorsque Robinson rend visite à son épouse, d'abord pour lui annoncer le financement du gouvernement, puis pour lui annoncer sa découverte, la direction d'acteurs fait apparaître la différence d'état d'esprit entre les 2, le chercheur tout à sa joie de disposer de moyens à la hauteur de ses ambitions, puis d'avoir trouvé, l'épouse absorbée par les tâches du quotidien, partagée entre la joie pour son mari et le ressenti qu'il est plus intéressé par son métier que par son foyer.


Max Fiumara sait également conserver cette dimension humaine pendant les passages d'action. Le costume de superhéros de Doctor Star est bricolé, même s'il est moulant, avec ses bottes de lutteur, son short long de boxer et son imperméable. Il suffit de le regarder pour se rendre compte que c'est un civil qui a combiné son costume à partir de ce qu'il a pu trouver dans le commerce. Même si les costumes de l'équipe du Liberty Squadron sont plus colorés, ses membres conservent également l'apparence d'êtres humains dans des costumes, avec leurs imperfections. Cette capacité à préserver la banalité des individus ne signifie pas l'absence de merveilleux ou de spectaculaire. Le premier contact avec la para-zone baigne dans une lumière psychédélique très séduisante grâce au travail de Dave Stewart, avec une posture de James Robinson montrant bien la force de cette énergie. Les affrontements physiques sont tout aussi spectaculaires, à commencer par le combat entre Doctor Star et le Dragon, mais sans démonstration ridicule de virilité, sans poses conquérantes avec démonstration ridicule de force ou de puissance.


Cette fois-ci, Jeff Lemire a décidé de se focaliser sur son personnage principal, de raconter l'histoire uniquement de son point de vue, avec un accès à ses pensées intérieures qui apparaissent dans des cartouches de texte. Le lecteur peut donc ressentir son exaltation pendant ses recherches fiévreuses, son exultation à avoir trouvé, son entrain à utiliser ses pouvoirs, sa soif de découverte, son plaisir à aller là où personne n'est allé avant lui. James Robinson n'est jamais blasé ou condescendant. Il reste un être humain normal, émerveillé par ce que recèle l'espace, traumatisé par les conséquences de ses absences sur sa famille. L'auteur sait combiner le drame avec la joie, les mêler comme dans une vie normale, montrer comment Robinson essaye de prendre ses responsabilités, essaye d'assumer ses erreurs et de les réparer. Il parvient à rester dans le mode hommage et à écrire une histoire totalement originale. Il rend honneur à James Robinson (le scénariste), sans le plagier, ni le singer. Il se paye même le luxe d'incorporer un autre hommage, à d'autres superhéros de l'univers partagé DC, à la fois totalement transparent, à la fois totalement personnel. Avec ce récit, il prouve de manière éclatante qu'il est tout à fait possible de se montrer créatif et touchant, en écrivant des succédanés de superhéros préexistants.


Ce tome comprend une histoire complète, et finalement indépendante de toute autre. La connaissance préalable des superhéros de l'univers partagé de Black Hammer n'est pas indispensable et n'apporte rien à l'histoire en elle-même. Jeff Lemire et Max Fiumara racontent l'histoire personnelle de James Robinson, chercheur ayant accédé à l'objet qu'il poursuivait, à hauteur d'homme, sans héroïsme exagéré ou clinquant, sans minimiser ses accomplissements. Le lecteur se sent touché par le drame et les accomplissements de cet homme, imparfait et unique.

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le 22 juil. 2019

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