Ami, entends-tu le bruit sourd des lois qui nous enchaînent ?
Belle mise en images, ligne claire très lisible, vignettes noir et blanc dans un cadre dessiné à main levée, pour cette histoire d'ados saisis par le feu sacré de la BD, et qui tiennent à perpétuer l'auto-édition de leur fanzine, "Blackbird". Bon, c'est à peine autobiographique : Pierre Maurel pratiquait ce genre de sport.
Mais les ados, c'est la révolte, et il faut donc un grand Père Fouettard pour justifier les actes de rébellion et la délinquance qui s'ensuit. Dans notre société facho-démocratoïde, il n'y a qu'à se baisser pour ramasser des entraves à la liberté d'expression et à l'initiative individuelle. Ici, la "fiction" (une "fiction" ? Où ça ? T'as vu comment les CRS traitent ceux qui font des blagues nationalistes, ethniques, sexistes ? T'as vu comment on t'instille le prêt-à-penser sur la sexualité à deux balles qui fait politiquement correct ? T'as vu comment est utilisé le mot "dérapage" (verbal) à la télé et dans "Le Monde" pour désigner tout ce qui ne plaît pas au Pouvoir, et ce avec la bénédiction somnolente d'un peuple gavé de JT bourreur-de-crâne ?), la "fiction" ici, osé-je dire, c'est le vote d'une loi qui oblige toute publication (dont les "fanzines") à être prise en charge par des éditeurs reconnus, qui puissent ainsi "filtrer" les contenus idéologiquement douteux. Certains sites traitent cette loi d' "anticipation"; à mon avis, on y est déjà, pas sous forme de loi, mais en pratique...
Alors, nos ados, qui sont à l'âge des planches à roulettes, des squats et des soirées entre copains sur la moquette parce qu'il n'y a pas assez de fauteuils, entreprennent de continuer à distribuer leur fanzine clandestinement, malgré la surveillance policière; et puis d' "encrer" (on ne sort pas de l'imprimerie) les idéologues qui ne sont pas de leur avis, et puis la violence s'en mêle, et puis des larcins, et ça ne finit pas super bien... La réaction coercitive de la société à leurs actions délictueuses est bien introduite. Encore plus de contraintes parce que certains refusent les contraintes !
Nos résistants en jeans larges ont des côtés émouvants : ils y croient, ils sont ingénieux pour imprimer leur truc et pour communiquer entre eux. Il sont aussi assez cons : bouffés eux-mêmes par le monde médiatique (Ahhh ! l'Image !), ils préfèrent que leurs attentats potaches passent sur Youtube et Twitter plutôt qu'assurer la pérennité de leur créativité par une discrétion bien organisée; ils préfèrent être connus par leurs fanzines distribués à la sauvette plutôt que de gagner un minimum de pognon pour s'offrir une vraie photocopieuse; ils se lancent impulsivement dans des actions contre ceux qui ne leur plaisent pas, sans se rendre compte un instant que la police n'est pas née de la dernière pluie. Ils ont un côté assez rétro aussi : prétendument noyés dans l'image électronique et dans le Web depuis leur naissance, ils méprisent la perspective d'un fanzine sur la Toile, et préfèrent distribuer leurs gribouillages confidentiels dans des officines tout aussi confidentielles, où fort peu de gens entrent pour découvrir ce genre de publications.
Pour avoir moi-même distribué des trucs un peu partout dans des librairies, je peux témoigner que ce n'est pas là le meilleur moyen de se faire connaître, et c'est un euphémisme. On gagnera plus à considérer les héros comme des ados qui testent les capacités de réponse de la société à leurs agaceries, que comme une véritable histoire de résistance. A un certain moment, des résistants cohérents sont forcés de penser un peu avant d'agir.