En fait non. Pas vraiment. Il aura fallu que je potasse les archives des internets afin de comprendre le fin-mot de l'histoire et savoir de quoi il en retournait réellement. Et encore. Avec son lot de «peut-être» et autres «probablement». Il n'était au fond qu'un seul propos dont on pouvait être certain : BLAME! n'est pas conçu pour être compris. La volonté de l'auteur est délibérée et le tout premier postulat de son manga tend à nous le démontrer.
Ce que nous ne comprenons pas n'est même pas sujet à l'interprétation.
Sans savoir d'où il vient ni où il va, on se surprend dès le premier chapitre à suivre spontanément Killy, ce héros dont on ne sait rien et dont on n'apprendra que l'essentiel. «Où», «Quand», «Pourquoi» et «Comment» sont immédiatement à proscrire de notre vocabulaire. Non pas que Tsutomu Nihei ne maîtrise pas son œuvre ; il eut été aisé pour lui de nous délivrer une date, une carte, une origine et une narration, personne ne peut contester cela. Seulement, l'auteur n'a jamais eu l'intention de nous prendre par la main ; il veut dérouter et il y parvient sans peine.
L'univers dans lequel on évolue, ainsi que les enjeux qui recouvrent les protagonistes sont inintelligibles car appréhendés de manière parcellaire, par échantillons, sans que nous ayons au final suffisamment de pièces du puzzle pour dresser le portrait global de ce que l'on est censé observer. Observer et non pas nécessairement comprendre. C'est confondant mais malgré tout intriguant. On ne sait pas où on va, on ne saura même pas où nous nous trouverons une fois que nous y serons, cela, nous le savons pertinemment et pourtant, on s'étonne à vouloir absolument faire le voyage.
Peut-être sont-ce ces paysages si atypiques dévoilant sans cesse de nouvelles facettes graphiques qui nous donnent tant envie de les parcourir. Que les décors sont bien chargés. Chargés de bâtiments vides d'une par ,et d'une ambiance glaciale en dernier lieu. Cette architecture d'acier nous cloisonne plus encore qu'elle n'emprisonne les personnages ; pour un peu, j'entendais presque le métal grincer dans un écho lointain. On a beau ne pas savoir où on se trouve, on y est pourtant transporté en tant que lecteur. La patte graphique est un incontournable dont on ne saisit pas exactement ce qui fascine chez elle mais envers laquelle on ne peut rester indifférent.
Les personnages apparaissent pourtant si insipides. Les visages se ressemblent, ils sont inexpressifs et pauvres en détails mais ça a pourtant son charme. Précisément parce que le dessin est unique, il nous apparaît authentique et donc délectacle.
Les murs métalliques, concentrationnaires et vides du décor ne seront certainement pas remplis par des dialogues. Afin d'ajouter de l'imprécision à la confusion, Killy se veut un taiseux de compétition olympique, ne parlant qu'en cas d'extrême nécessité. Et les dialogues, quand ils fusent, ne font que nous perdre davantage dans des considérations qui nous échappent et dont nous ne pouvons saisir les enjeux véritables. Qu'on en sache beaucoup ou trop peu sur la situation, on ne la saisira jamais pleinement de quoi il en retourne.
J'aime qu'un auteur fasse réfléchir ses lecteurs quitte à les perdre en route, mais je dois avouer ne pas être suffisamment joueur pour réellement souscrire au procédé et m'abandonner entièrement au principe de la contemplation confuse. C'est angoissant de se sentir perdu, mais c'est aussi éminemment frustrant. Les clés de compréhension sont moins nombreuses que les serrures nécessitant d'être ouvertes. Qu'est-ce qu'on aimerait savoir ce que ces portes inamovibles recèlent comme trésor d'information. Nihei le sait et il en joue. Habilement d'ailleurs.
Le monde futuriste qui nous est offert - bien que ne se dévoilant que timidement pour ne révéler que très peu - est remarquablement bien foutu. Pas de science-fiction au rabais, l'auteur est remarquablement inspiré ; les innovations techniques sont complexes mais naturellement imbriquées dans l'univers qui nous est dépeint. C'est à la fois novateur et immersif. Là encore, on ne mesure pas exactement la portée de chacune des créations scientifiques, on ne peut que les observer à l'œuvre. La contemplation, toujours.
L'avancée de Killy et Shibo se fait incessante. Il nous faut courir après eux sans avoir le temps de se poser et faire le point. J'ai probablement attendu le volume cinq avant de me faire à l'idée que je ne comprendrai pas grand chose à l'histoire une fois le dernier tome achevé.
Cependant, le prétexte du contemplatif ne justifie pas tout. Ces nombreuses et interminables séquences de combat destructeurs et fouillis n'ont certainement pas manqué de me lasser. Je ne tolère pas ça dans un Shônen moyen, encore moins dans un Seinen ; je n'allais certainement pas faire une exception le cas présent au nom de quelconques considérations artistiques.
Je veux bien être perdu et laissé dans les bras de l'expectative mais certainement pas abandonné au milieu d'un maëlstrom débridé qui s'abandonne au tumulte pour la finalité du désordre. Ma confusion, je l'aime quand elle se déroule au calme.
BLAME! est une œuvre apparemment complexe dans son propos sans jamais être prétentieuse ou ampoulée. Complexe, mais sobre. Tout ce que j'aime. Cependant, la teneur du manga en lui-même me passe très au-dessus de la tête. Complexe, certes, mais finalement inabordable du plus grand nombre. Le manga touche par son atmosphère et séduit par là. Si vous n'êtes pas en proie au magnétisme certain qu'il exerce sur son lectorat, vous passerez à côté de quelque chose d'inédit et qui vaille la peine qu'on se penche dessus. Je le sais, car avec moi, le magnétisme n'a pas pris.
C'est au final trop expérimental à mon goût. Toutefois, n'ayant pas apprécié BLAME! dans l'ensemble de ce qu'il représente, je ne peux pas donner tort à ceux qui l'ont apprécié pour ce qu'il est. Aimer BLAME!, c'est avant tout une affaire de sensibilité ; si l'on n'est pas touché c'est que l'on en était pas la cible toute désignée.
En n'ayant pas apprécié l'œuvre comme il se foit, j'ai le sentiment d'avoir manqué une création géniale et peut-être trop bien pour moi. Mettre cinq sur dix au manga me paraît relever de l'immolation gratuite, un peu comme un chien qui pisserait sur le parvis de Notre-Dame sans réellement saisir la portée de son acte car n'en ayant pas les capacités neuronales.
Seulement, je dois me fier à ce que j'ai lu. Ça a beau être contemplatif sans être m'as-tu-vu, ça ne me suffit pas. Je persiste à croire qu'il eut été possible de conserver un ton éthéré et glacial tout en rendant la trame plus intelligible sans nécessairement nuire à la subtilité de la narration. De ma lecture, j'en ressors frustré, pas éberlué. Il est fort probable que je ne sois pas le seul dans ce cas. Si mon ressenti ainsi que ma réflexion sur la lecture aboutissent à la même conclusion, je ne peux pas les ignorer : BLAME! n'est pas pour tout le monde et il n'était certainement pas pour moi.
De la lecture, j'en ressors partagé. Partagé entre une fascination éhabie et une incompréhension pour le moins dubitative. L'œuvre était grandiose ; un regard objectif ne saurait nier cet état de fait. Mais pourquoi l'était-elle ? À cette question, aucune réponse que je puisse être susceptible de formuler ne m'apparaît satisfaisante. BLAME! n'était pas pour moi et ce douloureux constat ne s'en tient finalement pas à une incompatbilité de sensibilité. Pas seulement du moins. Cette œuvre était trop haut perché pour que je puisse seulement l'apercevoir avec ma vue basse.
De BLAME!, j'en ai été indigne. Mon regard porté, de trop courte vue, n'a pas pu observer avec acuité ce que le manga avait ici à nous offrir. Je n'ai pas lu BLAME!. En réalité, personne n'a jamais lu BLAME! ; car tous avons expérimenté cette œuvre comme si elle s'était imposée à nous de sa seule force. Et de cette expérience, j'en suis ressorti ébaubi, mais incapable d'analyser ce que je venais de vivre.
Non, décidément, je ne méritais pas Blame!, et cela, je le déplore. Pour une fois, je me sentais à la place de ces êtres médiocres et indignes des monuments dont ils tressent maladroitement les louanges en les salissant malgré eux de leur bassesse. À la seule différence que, contrairement à eux, j'ai pris conscience du fait d'être indigne de l'œuvre qui me fut ici proposée pour en attester publiquement.
L'expérience BLAME! se doit cependant d'être tentée par tous. Avec moi, la greffe n'a pas prise, il y avait sans doute une lourde part incompatibilité de sensibilité dont je ne saurais exactement retracer la provenance. En revanche, je reste persuadé que d'autres lecteurs seront infiniment plus réceptifs à l'œuvre que je ne l'ai été. Ce qui ne m'a pas été profitable à la lecture le sera peut-être à d'autres ; c'est en tout cas ce que je souhaite aux lecteurs futurs que j'enjoins à ouvrir le premier volume.