Essentiel
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Il faut faire attention car les avancées sociales et humanistes, émancipatrices, quand on croit qu’elles sont gravées dans le marbre, ne sont jamais gagnées. L’être humain est comme ça, il ne tire jamais de leçons de son histoire. Il aime parfois manifester son mécontentement, se prétendre contre des aberrations sans même avoir creuser le sujet et le nombre de corps et d’esprits qui ont dû être maltraités pour arriver à ce qu’on appelle un progrès. L’avortement en fait partie. On pourrait croire qu’il est un droit depuis que le monde est monde… mais rien n’était gagné il y a à peine 50 ans. Mais les astres, plutôt des femmes fortes, se sont alignés lors d’un procès mémorable où, pour une fois, les hommes n’ont pas su dicter leur loi, leur jugement (de valeur). Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel retracent avec verve et charisme le procès Chevalier, retentissant.
Ce qu’illustre cet album, c’est avant tout le pouvoir des mots bien choisis, encrés dans le vécu, face à la puissance des croyances paternalistes et esclavagistes envers les femmes. L’histoire de Marie-Claire Chevalier, c’est celle de la solitude des femmes quand les hommes partent sans se retourner, en remettant leur queue dans leur pantalon mais en ayant bavé sans avoir pris la peine de se protéger. Un enfant, c’est souvent la plus belle chose au monde. Mais ça peut aussi être une punition à vie face à des salauds qui jouent avec vos sentiments et ne donnent plus de nouvelles quand ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. Ou pire en l’obtenant sans consentement et par la duperie, la menace.
Il y a cinquante ans, en France, il n’y a pas de pilule du lendemain et les opérations chirurgicales sont tout bonnement illégales et donc réalisées clandestinement. Avec des risques de mort. Si pas au sens premier, un risque de mort sociale, jetée en pâtures dans les journaux. C’est ce contre quoi Marie-Claire Chevalier a dû lutter. Enceinte d’un enfant non désiré à cause d’un amant de passage, elle va être trompée une deuxième fois quand celui-ci va se rappeler à son souvenir, monnayant sa libération après d’autres conneries en livrant à la police et la justice celle dont il avait trahi les sentiments, refermant sur elle le piège de la biologie féminine. Car s’il faut être deux pour concevoir un enfant, devant une cours 100% masculine, Daniel ne risque pas la moindre poursuite. Quelle injustice. Double peine, peut-être triple. Car chez ces gens-là, Monsieur, on a pas forcément l’argent pour engager un avocat qui pourrait vous sortir de ce qu’une certaine société considérera comme un mauvais pas, impardonnable si on ne l’assume pas à terme.
Sur des thématiques différentes et en ne se restreignant pas aux quatre murs d’une salle d’audience, Bobigny 1972 est à la BD ce que le brillant Procès Goldman de Cédric Kahn est au cinéma, une sacrée claque, intense et jouée juste. Le trait de Carole Maurel est impeccable, avec des images fortes, des regards vrais, criant de vérité, d’urgence. Dans sa reconstitution, les mots choisis, les extraits de plaidoirie, le rythme et la juxtaposition des événements, le duo d’autrice nous fait vivre en temps réel, avec juste ce qu’il faut de vintage qui toque à la porte du temps présent, ce procès hors-norme. Car l’appareil judiciaire, mais aussi celui médiatique, se retourne contre lui-même, grâce à la force de la plaidoirie de Gisèle Halimi, de toutes les femmes (dont certaines stars) dans son sillage qui sortent du bois et n’ont plus peur d’avoir vu le loup, et du trait de Carole Maurel qui invoque ce discours intemporel.
Au-delà d’une justice de sexe, il y a celle de classe qui pointe le bout de son nez, inacceptable. Rendant hommage et grâce à toutes les Mmes Chevalier, Bobigny 1972 est un album marquant et haletant, impressionnant de souffle et de justesse, qui dépeint une époque pas si lointaine, sur un thème universel. Car par la force et les hasards de la vie, on peut tous à un moment être prévenu.
Créée
le 5 mai 2024
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