Ce tome fait suite à Deadly Class, Tome 8 : Never go back (épisodes 36 à 39) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il contient les épisodes 40 à 44, initialement parus en 2019/2020, écrits par Rick Remender, dessinés et encrés par Wes Craig, avec une mise en couleurs de Jordan Boyd.


Zenzele a organisé une rencontre entre Maya Lopez et Saya Kuroki dans une église. Les retrouvailles sont émouvantes jusqu'à l'irruption de deux tueurs de la famille de Saya, commandités par son frère Kenji Kuroki. Le combat s'engage et il est aussi sanglant qu'éprouvant. Une fois le sort des deux tueurs réglés, maître Lin fait son entrée dans l'église, accompagné par deux autres professeurs. Il décrète que Saya doit mourir. Dans un effort désespéré, Maya déclare qu'elle est sa protégée. À l'établissement scolaire King's Dominion, Helmut a décidé de faire la belle, sans rien dire à Tosahwi, son compagnon de chambrée. Il a mis quelques affaires dans un sac et se déplace dans les couloirs, en prenant grand soin d'éviter les surveillants et de ne se faire voir de personne. Dans le même temps, il pense à Brandy Lynn qui a assassinée son amoureuse Petra Yolga, et à Marcus Lopez Arguello qui a regardé le meurtre sans intervenir. Il parvient enfin à l'extérieur sans avoir été repéré, mais il est interpellé par Tosahwi qui l'avait entendu se lever et qui est sorti plus rapidement que lui en empruntant un passage dérobé. Bien évidemment Helmut refuse qu'il l'accompagne, mais Tosahwi parvient à le faire changer d'avis en indiquant qu'il a besoin de son aide pour coincer les répugnants personnages qui ont tué son oncle et sa communauté vivant dans la réserve. Ils volent un van et se mettent en route pour se rendre dans un culte de la mort, celui fréquenté par les parents de Petra.


Helmut et Tosahwa parviennent dans un quartier résidentiel de Sacramento et ils se garent devant l'église. Ils descendent du van et les gens qui se rendent à l'église se montrent très avenants et très normaux, accueillants. Ils pénètrent dans l'église, et regardent la statue du Christ en croix accroché au mur. Ils suivent le mouvement de la foule qui empruntent un escalier qui mène au sous-sol. Les fidèles se regroupent autour d'un rideau de lumière, chacun se félicitant de pouvoir adorer le seigneur Anthromal. Le monsieur qui les a accompagnés referme la porte derrière eux à l'aide d'un cadenas. Les personnes présentes dans la pièce se déshabillent complètement et enjoignent les deux jeunes hommes à faire pareil. Le rideau tombe au sol, révélant la présence de trois personnes nues (deux hommes et une femme) chacun avec une tête de bouc et tenant une épée. Les 3 individus s'avancent vers les fidèles, chacun s'agenouillant en demandant à être sacrifié. Les deux amis se précipitent sur la porte qu'ils ne parviennent pas à ouvrir. Helmut sort sa hache de sa housse et commence à tailler dans le vif, pendant que Tosahwi retourne des grands coups de skate sur ses agresseurs.


Arrivé au neuvième tome, le lecteur sait ce qu'il attend de la série, et il n'est pas déçu. Des combats qui font mal : les dessins présentent une forme d'immédiateté qui fait bien ressortir la violence des coups portés, avec une petite touche d'exagération mi-gore, mi-comique, parfaitement dosée. Le nudiste à la tête de bouc abat son épée sur un fidèle et la case suivante montre une grosse giclée de sang. Helmut manie sa hache et elle est bientôt tâchée de sang, ainsi d'ailleurs que son pantalon et son teeshirt. Tosahwi y va franco pour flanquer des grands coups de skate, d'un large revers. Lors de l'attaque du chalet dans la neige, l'artiste passe à une page de 15 cases pour simuler la rapidité de la succession d'attaques et de parades. Le lecteur reste sans voix devant les moignons de deux avant-bras tranchés net d'un vif coup de katana. Il a l'impression de sentir l'odeur de chair grillée, alors qu'un cadavre se consume sur un feu de camp. Impossible de résister à ce mélange de brutalité au premier degré, de représentation à la fois factuelle et à la fois trop pleine d'entrain pour être uniquement premier degré.


Le lecteur est également venu chercher des moments exagérés, entre drame atroce et ridicule assumé, entre situations à la fois logiques et absurdes. Là encore les auteurs se montrent en verve : Maya ne parvenant pas à s'extirper du cadavre qui repose sur elle et qui l'empêche de bouger, les pratiques du culte sataniste, le cadavre d'un violeur dans un wagonnet du tunnel de l'amour dans une fête foraine, Marcus assis sur le siège des toilettes et plié en deux à cause de la douleur dans un dessin en pleine page, Shabnam & Grogda en train de faire griller des shamallows au-dessus d'un feu de camp, Helmut grimé en fan de Death-Metal norvégien marchant dans la neige avec une hache à long manche, etc. L'artiste est impressionnant dans sa capacité à changer de mise en page, à trouver le bon angle de vue, de passer d'un moment calme à une scène d'affrontement sanglant, servi par une mise en couleurs avec une palette restreinte apportant une ambiance lumineuse souvent expressionniste, sans supplanter les traits encrés des dessins. Les auteurs transcrivent la fougue et l'exubérance de la jeunesse dans ces moments peu réalistes, mais rendant compte de l'état d'exaltation de ces jeunes gens formés à devenir des assassins performants, ayant connu une enfance placée sous le signe de la violence et souvent de la maltraitance.


Le lecteur vient également chercher les moments de prise de conscience de ces jeunes adultes. À l'évidence, Rick Remender sait retrouver les moments de révélation qui cueillent les adolescents alors qu'ils se heurtent de plein fouet aux réalités souvent cruelles de ce monde. Cela commence doucement lorsque Helmut s'en va en catimini de l'institut pédagogique. Les dessins montrent ses déplacements, avec un humour discret et une construction de pages intéressante. Le dessinateur intègre les courbes de l'escalier en colimaçon comme passage d'une bande de case à celle inférieure, et également pour passer d'un bas de case à un haut de case avec le personnage représenté 6 fois dedans à chaque fois quelques marches pus haut. Pendant ses déplacements, il est en train de penser au fait qu'il a choisi de laisser son copain derrière pour qu'il n'ait pas à subir les conséquences de sa prise de risque. Il songe à la cruauté du paradoxe qui fait que lorsque quelqu'un souffre, c'est souvent sa famille qui doit le supporter, qu'il fait souffrir ceux qui l'aiment. Cette réflexion pénétrante est à la fois soulignée et allégée par la case adjacente : deux surveillants à capuche, avec l'un d'eux se demandant dans son esprit pourquoi l'autre ne va pas lui parler, avec des petits cœurs autour du phylactère de pensée. Irrésistible.


En début d'épisode 41, le lecteur découvre le flux de pensée de Marcus. Celui-ci songe au fait que les choses qui importent à une génération seront déformées ou effacées dans le souvenir des générations suivantes, que les seules choses qui laissent une vague empreinte durable sont celles qui font le plus de bruit, c’est-à-dire rarement celles qui importent le plus, ce qui lui rappelle les paroles d'une chanson des Smith où Morrisey chante que la marée du temps vous étouffera. Il se rend compte d'un autre côté que les générations qui suivent n'ont pas d'autre choix que d'enterrer ces choses signifiantes pour la génération précédente, afin de faire de la place pour les leurs, et que celles-ci seront à leur tour enterrées par les générations d'après. Dans le même temps, la narration visuelle montre Marcus marcher dans les rues de San Francisco, racontant comment il rejoint l'institut King's Dominion, installant cette ambiance urbaine particulière, montrant l'isolement du protagoniste, l'accompagnant dans ses pensées solitaires. Après un passage à la fois étonnant, à la fois totalement dans la logique de ce qui précède (un passage par une fête foraine avec la femme obèse, et le politicien menteur), Marcus explique ce qui lui plaît dans Blue Velvet (1986) de David Lynch, en même temps que les dessins montrent la conduite à risque de Maria. En début d'épisode 43, l'artiste montre Marcus passer de pièce en pièce dans le chalet où tout le monde s'éclate, alors qu'il pense à quel point l'esprit humain est ainsi fait qu'il pense que le monde doit obéir à une forme d'ordre et doit avoir du sens, ce qui rend la réalité encore plus douloureuse.


Nul doute que s'il a apprécié les tomes précédents, le lecteur va retrouver l'effet bœuf de cette série. Les jeunes de l'académie King's Dominion souffrent toujours autant de leur parenté. Du coup, leur vie oscille entre les conduites à risque pour oublier quelques instants les conflits psychiques irréconciliables, et entre les affrontements sauvages pour conserver la vie. L'artiste sait créer des pages qui dégagent cette énergie du désespoir, cette volonté farouche de vivre, tiraillé par des contradictions qui doivent être extériorisées. Rick Remender est tout autant en verve, avec des situations énormes hors de contrôle, et des moments libérant une émotion dévastatrice et honnête, faisant penser qu'il puise largement dans sa propre expérience. Il ne reste plus qu'à espérer qu'il y aura un tome suivant.

Presence
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le 13 févr. 2021

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