Originaire du Costa Rica, l’auteur vit en Angleterre. Pour des raisons personnelles, il entreprend un voyage au pays pour interroger tous ceux des membres de sa famille qui voudront bien répondre à ses questions et lui livrer des anecdotes familiales.
À vrai dire, Edo Brenes reconnaît qu’il ne savait pas, à l’origine, ce qu’il pourrait faire des fragments d’histoire familiale qu’il pourrait recueillir, surtout qu’il n’avait prévu de séjourner au Costa Rica qu’une quinzaine de jours (il n’y était plus venu depuis trop longtemps). Au fil des journées, il réussit à discuter avec un certain nombre de personnes et recueillir des témoignages de plusieurs générations, remontant jusque 1937. Premier point intéressant, ce roman graphique met donc en lumière la vie au Costa Rica, petit pays d’Amérique centrale dont on ne parle que rarement. Et puis, il donne une idée de ce qu’est ce pays, avec ses paysages, sa faune et sa flore, sa culture propre. On ne se contente pas de la plage avec des palmiers comme sur l’illustration de couverture, puisque de temps en temps, on note la présence d’un magnifique toucan, ou de perroquets (entre autres), qu’on voit donc dans leur habitat naturel. Bien évidemment, on observe aussi l’évolution des conditions de vie, au fil des décennies, puisque la dernière époque citée est 1996. L’auteur se montre suffisamment habile pour que l’ordre dans lequel il a rencontré les différents membres de sa famille n’ait pas d’importance particulière, car il s’arrange pour que sa narration respecte l’ordre chronologique. C’est important pour nous simples lecteurs (lectrices) qui ne sommes pas membres de sa famille. Pour ce faire, il fait parler ses interlocuteurs sous forme de témoignages directs, ou bien pour évoquer des souvenirs plus anciens recueillis auparavant. Et il construit le dialogue à partir de commentaires sur des photos dont il dispose (une grande quantité). Ainsi, plusieurs fois, il fait parler quelqu’un, tout en présentant une succession de photographies où figurent les personnages évoqués. Ce qui ne l’empêche pas de nous les présenter sous forme de dessins. La structure de ce roman graphique est donc tout sauf simpliste, marquée par un format inhabituel (22,6 x 17,2 cm pour 269 pages). Le dessin est directement inspiré de la ligne claire et donc d’une grande lisibilité, ce qui n’empêche pas le dessinateur d’adopter un style personnel avec quelques ombres et nuances de couleurs, ainsi qu’une organisation de ses planches avec pas mal de diversité. Petit reproche avec quelques séries de photos, tellement nombreuses qu’il se résout à les reproduire en petit format, alors qu’il est beaucoup plus à l’aise avec des vignettes de plus grand format (voire quand il en isole une ou quelques-unes sur une planche où il reste du blanc, comme sur un album de photographies). À signaler que, de façon très classique, les photographies se distinguent par des couleurs plus pâles que la narration au présent. Par contre, un détail me laisse perplexe, c’est les différences de polices de caractères qui varient parfois d’une case à l’autre sans raison particulière (passage de lettres en caractères d’imprimerie à des majuscules, bien souvent, parfois aussi avec des lettres cursives).
La famille Brenes
Au fil des témoignages, on apprend donc à connaître différents membres de la famille du dessinateur. Pour nous aider, il présente un arbre généalogique. À vrai dire, il en présente même deux, reproduits sur les rabats de couverture, un pour son côté de la famille, l’autre pour le côté de sa femme restée à Londres et avec qui il converse pour faire le point (par messagerie électronique) et pour échanger quelques mots doux.
À force de creuser du côté des anecdotes…
Ce qui ressort de cette lecture, c’est donc un témoignage sur le Costa Rica et son évolution sur plusieurs décennies, plutôt au niveau de la façon de vivre et des états d’esprits, car il n’est jamais question de politique ou de sociologie. Globalement, il ressort une certaine douceur de vie dans un climat agréable. Ce qui intéresse l’auteur, c’est plus particulièrement l’histoire familiale, avec le souci de garder la mémoire des anecdotes, des caractères, etc. Enfin, à force d’interroger les uns et les autres, il met au jour une sorte de secret familial qui concerne les origines de l’une des personnes de la famille. Il est question d’histoires d’amour n’ayant pas tourné selon les souhaits et désirs de toutes les personnes concernées. Il apparaît donc que dans les esprits (et sans surprise, car ce n’est pas particulier à la société costaricienne), c’est à l’homme de faire le premier pas vers celle qu’il aime. Les hésitations peuvent créer de la confusion, avec des conséquences inimaginables.
Souvenirs du Costa Rica
Si sa conclusion est émouvante, on peut reprocher à ce roman graphique de se contenter bien souvent d’anecdotes dont l’intérêt ne dépasse pas vraiment le cadre familial. Heureusement, Edo Brenes a l’art de mettre en forme les petits riens de manière agréable. La lecture de son roman graphique donne une idée des mentalités et états d’esprits du Costa Rica, avec évolution sur plusieurs décennies. L’auteur réussit son pari d’orchestrer une série d’anecdotes familiales, sans qu’on soit en mesure de faire la part des choses entre fantasmes (ou souvenirs déformés) et réalité. Petit reproche, le titre original (en anglais) Memories from Limón correspond parfaitement à son contenu, alors que celui retenu pour l’édition française renvoie à Bons baisers de Russie et donc à un genre (l’espionnage) et à une franchise (James Bond) qui n’ont strictement rien à voir. Un choix éditorial absurde, destiné uniquement à attirer l’attention !
Critique parue initialement sur LeMagduCiné