Fomentée par la société secrète des Poings de la justice et de la concorde, la révolte des Boxers, au crépuscule du XIXe siècle, a mis la Chine à feu et à sang. Composée de paysans affamés et d’artisans ruinés, cette armée de fortune s’est levée contre la dynastie Qing, jugée passive et vendue aux «diables étrangers», colons chrétiens et autres officiels occidentaux qui venaient de faire céder Pékin lors des guerres de l’opium.
Jeune prodige de la BD indé américaine, Gene Luen Yang remue les problématiques de l’assimilation culturelle et du racisme depuis son premier ouvrage, le très beau American Born Chinese (Dargaud, 2007). Dans Boxeurs & Saints, ouvrage en deux volumes, il déterre un épisode sanglant de l’histoire du pays de ses parents pour le présenter à travers le regard de deux enfants du même village. Le premier volume, l’épique Boxeurs, suit le destin d’un frêle fils de paysan, Bao, formé presque par accident au kung-fu par un moine errant. Enivré de visions mystiques, il lève une armée de va-nu-pieds et défie les fusils occidentaux à coups d’épée. Mais les idéaux sociaux et l’ascétisme des débuts ne résistent pas à l’ivresse de la victoire, et la jacquerie bascule dans le fanatisme, exécutant femmes et enfants au nom de l’unité du pays ou brulant des bibliothèques pour mieux protéger la culture.
Contrepoint dialectique, le volume Saints, plus intime, s’intéresse à l’éveil d’une paysanne au catholicisme, d’abord comme un défi à sa famille, puis comme un outil de libération. En présentant deux points de vue qu’un champ de bataille oppose, Gene Luen Yang nuance et équilibre son récit sans pour autant verser dans le relativisme. Mais sa grande force tient à son immense compassion, au sens étymologique du terme : l’auteur souffre avec ses personnages, partage leurs peines et leurs douleurs sans chercher à les excuser.